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Burkina/Économie : « La fraude fausse les règles de la concurrence et asphyxie le développement socio-économique du pays », selon le coordinateur national de lutte contre la fraude, Yves Kafando

Publié le jeudi 11 janvier 2024 à 21h48min

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Burkina/Économie : « La fraude fausse les règles de la concurrence et asphyxie le développement socio-économique du pays », selon le coordinateur national de lutte contre la fraude, Yves Kafando

La fraude constitue un véritable cancer pour le Burkina, qui traverse l’une des crises les plus graves de notre histoire. La situation exige une mobilisation de ressources conséquentes pour la reconquête du territoire. En 2023, la Coordination nationale de lutte contre la fraude (CNLF) a intercepté à elle seule plus de 244 tonnes de marchandises frauduleuses d’une valeur de plus de 8,3 milliards de francs CFA. Lutter contre cette pratique est un défi constant. Pour mieux cerner le phénomène, nous avons échangé avec le premier responsable de la CNLF, Yves Kafando. Il nous apprend davantage sur son métier, et les défis qu’il doit relever.

Lefaso.net : Pouvez-vous présenter aux lecteurs, la structure dont vous êtes le premier responsable, la Coordination nationale de lutte contre la fraude (CNLF) et qu’est-ce qui la différencie des autres organes de contrôle de l’Etat ?

La Coordination nationale de lutte contre la fraude est une structure du ministère de l’Economie des finances et de la prospective (MEFP). Nous sommes chargés de l’exécution de la politique nationale de lutte contre la fraude fiscale, douanière, économique et environnementale définie par le gouvernement. Ce qui nous différencie des autres organes de contrôle de l’Etat, c’est que la CNLF est une structure hétérogène au sein de laquelle nous avons des représentants de la Direction générale des impôts (DGI), la Direction générale des douanes (DGD), la Direction nationale du cadre paramilitaire des eaux et forêts, la Brigade mobile de contrôle économique et de la répression de la fraude (BMCRF), la police nationale, et la gendarmerie nationale.

Que faut-il comprendre par « fraude », selon votre structure ?

La fraude pourrait se définir comme étant le fait d’agir en utilisant des moyens déloyaux afin d’obtenir un avantage de quelle que nature que ce soit, auquel on n’a pas droit.

Quels sont les moyens d’action et les mécanismes de fonctionnement de la CNLF ?

Les moyens et les mécanismes dont nous disposons sont les moyens reconnus pour le fonctionnement des services de l’Etat, notamment des officiers de police judiciaire, des fiscalistes, des douaniers, des environnementalistes, des financiers etc. nous travaillons beaucoup plus avec le renseignement.

Quel est l’ampleur de la fraude au Burkina Faso ?

L’ampleur de la fraude dans notre pays est importante parce que pour l’exercice 2023 qui vient de s’achever, la CNLF a intercepté a elle seule plus de 244 tonnes de marchandises frauduleuses avec plus de 8,3 milliards de valeur. Tout en sachant qu’il existe d’autres structures de contrôle dont nous n’avons pas les chiffres. Cela est extrêmement dommageable pour un pays comme le Burkina Faso qui, au regard de la crise sécuritaire, a besoin de suffisamment de ressources pour lutter contre le terrorisme et restaurer l’intégrité de notre territoire.

La fraude qu’elle soit douanière, fiscale, environnementale ou économique, est un frein au développement. Notre Etat ne pourra pas faire face aux multiples besoins et préoccupations des populations si ses sources de financement sont entravées par la fraude. C’est dire que la fraude est une gangrène pour l’économie d’un pays, elle fausse les règles de la concurrence et asphyxie le développement socio-économique du pays qui peinera à trouver des ressources pour faire face aux défis majeurs. Contre la fraude et les fraudeurs, la CNLF entend jouer pleinement sa partition.

Quelles sont les sanctions auxquelles s’exposent les fraudeurs ?

Lorsque nous interceptons un fraudeur deux options s’offrent à lui. La première option est la voie transactionnelle et la deuxième option la voie judiciaire. Pour ce qui est de l’option transactionnelle, lorsque nous interpellons un fraudeur, nous lui faisons savoir qu’il a causé un préjudice à l’Etat du fait de ses actions. L’Etat étant lésé du fait de ses actions, il lui appartient de réparer ce préjudice.

Il s’agit concrètement pour le mis en cause de payer les droits et les taxes qui sont afférents à la marchandise incriminée. Après avoir payé les droits et taxes, nous lui infligeons le paiement des amendes et des pénalités. Lorsque cette option est entièrement satisfaite, nous pouvons clôturer l’affaire. A contrario, nous enclenchons la voie judiciaire. Cela s’entend que nous transmettons le dossier aux tribunaux pour suite à donner.

En termes de bilan de vos activités, quelles ont été vos satisfactions en 2023 ?

En termes de bilan et satisfaction nous pouvons citer quelques opérations qui, à notre avis, ont été bien accueillies par la population. Le 22 février 2023 nous avons saisi 750 poulets impropres à la consommation humaine. Également, dans la nuit du 08 au 09 avril 2023, nous avons saisi plus de 10 tonnes de poulets impropres à la consommation humaine qui était en train d’être convoyés à Ouagadougou dans 13 véhicules de transport de personnes. Autre motif de satisfaction, nous avons saisi plus de 400 bouteilles de gaz, le 18 avril 2023, dans une opération de conditionnement et reconditionnement des bouteilles qui restent la propriété exclusive de la SONABHY.

Toujours au titre des acquis, nous avons incinéré, le 21 avril 2023, 45 tonnes de produits prohibés et de produits impropres à la consommation d’une valeur de plus de 700 millions de francs CFA. Il s’agit notamment d’amphétamines, de cigarette, de consommables biomédicaux, de farine de blé etc... Mais ce n’est pas tout. Le 11 mai 2023 en plein cœur de Ouagadougou, nous avons procédé à une importante saisie de marchandises prohibées d’une valeur de plus de 200 millions de francs CFA (cigarettes, piles et amphétamines).

S’y ajoute la saisie des amphétamines de plus de 20 millions de valeur. C’était, le 07 juin 2023, dans le quartier Kilwin de la ville de Ouagadougou. Pour donner plus de visibilité à nos actions sur le terrain, nous avons présenté à la presse une pratique d’estampillage sur les sacs d’engrais visant à tromper les consommateurs, et le démantèlement d’un vaste réseau de fraude à la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) respectivement le 23 juin et 02 octobre 2023.

Quel est le secteur d’activité le plus touché par la fraude ?

Le secteur le plus touché par l’activité de fraude est le secteur économique, notamment le domaine de l’import-export. C’est un domaine où il y’a véritablement de la matière parce que le tissu industriel de notre pays n’est pas suffisamment développé et nous importons presque tout.

A combien peut-on estimer le manque à gagner pour l’économie burkinabè ?

Il serait trop prétentieux de notre part de vous communiquer un chiffre avec précision sur le manque à gagner pour notre économie d’autant plus qu’il existe d’autres structures de contrôle dont nous n’avons pas les chiffres. Mais nous pouvons retenir que le manque à gagner pour notre économie se chiffrerait à plusieurs milliards de nos francs.

Quelles sont les manifestations du phénomène de la fraude dans un pays ?

Les manifestations de la fraude diffèrent en fonction qu’elle soit douanière, fiscale, économique, environnementale. D’abord, la fraude douanière est particulièrement observée par la contrebande, c’est-à-dire des importations en dehors des services. Ensuite, la fraude fiscale est remarquée par la fraude à la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA). En outre, La fraude économique se manifeste généralement par des procédés visant à tromper les consommateurs. Enfin, la fraude environnementale est régulièrement constatée par le non-respect des règles environnementales prescrites aux unités industrielles dans le cadre de production et l’entreposage de certains produits.

La dématérialisation des moyens de paiements peut-elle être une des solutions efficaces contre la fraude ?

Nous voyons la dématérialisation comme un moyen beaucoup plus de facilitation des procédures et de lutte contre la corruption.

La fraude est une pratique aussi vieille que les relations humaines, pensez-vous que le phénomène peut prendre fin ?

Oui, il est possible de mettre fin à la fraude dans notre pays avec l’adhésion des populations. Nous devons adopter la culture de dénonciation auprès des structures compétentes. De nos jours, si une personne physique ou morale se livre à des activités de fraude et se rend compte qu’elle est sujette à la dénonciation dès la première découverte, elle réfléchira davantage avant de passer à l’acte. Je rappelle en passant que le peuple est souverain et qu’à ce titre, il vaut mieux se conformer simplement aux lois en vigueur et ne pas entraver le plein épanouissement de ce peuple.

Des agents des impôts sont accusés d’entretenir aussi la fraude fiscale à travers certaines complicités. Qu’en dites-vous ?

Tant que le mis en cause ne nous dit pas qu’il a posé un acte en complicité avec un individu, il nous est vraiment difficile de présumer de la complicité d’une personne. Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore connaissance d’un dossier qui nous amène vers des complices de l’administration publique. Lorsque nous appréhendons les fraudeurs, ils viennent, reconnaissent leurs actes et nous expliquent leur mode opératoire.

Mais jusqu’à présent, ils n’ont jamais indexé un agent public comme étant leur complice. Si éventuellement un dossier pareil venait à voir jour, nous n’aurons pas la compétence pour connaître de ce dossier. Parce que, l’agent de l’administration publique n’est pas éligible à la transaction commerciale au regard de la déontologie qui encadre sa profession. Le dossier sera transmis au tribunal pour suite à donner.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face dans votre mission ?

Au début de notre prise de fonction le 27 janvier 2023, il nous arrivait régulièrement de rencontrer des poches de résistance sur certaines actions avec les populations parce qu’elles ne comprenaient pas les enjeux de nos actions sur le terrain. Il nous a fallu un moment de sensibilisation. En outre, nous menons une communication avec les populations riveraines avant toute intervention.

Nous pouvons avouer aujourd’hui que la population a mieux compris notre message et ces difficultés sont de plus en plus rares lorsque nous sommes sur le terrain pour des opérations. La population voit les actions fortes et salvatrices menées par la CNLF, et les difficultés majeures s’aplanissent au fur et à mesure. Il n’en demeure pas moins que certaines turbulences persistent. Du reste, nous faisons de la collaboration avec les populations un des axes majeurs de notre action sur le terrain.

Quelles sont vos perspectives pour l’année 2024 ?

En termes de perspectives pour l’année 2024, nous souhaitons que la question sécuritaire qui menace l’existence de notre pays puisse trouver définitivement une solution. Afin que, nous puissions non seulement, faire un maillage du territoire pour lutter efficacement contre la fraude parce que la coordination ayant une compétence nationale est juste représentée à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso mais également, faciliter la mobilité des agents du service.

Un message pour l’ensemble des populations, notamment sur le phénomène de fraude ?

Aujourd’hui nous traversons l’une des crises les plus graves de notre histoire. Et chacun de nous devrait apporter sa pierre à la construction de l’édifice commun. Les forces combattantes se battent pour la reconquête du territoire. Cette reconquête du territoire a un coût qu’il faut supporter, ce qui exige une mobilisation de ressources conséquentes.

C’est pourquoi nous demandons aux entreprises et aux individus qui s’adonnent ou qui aspirent à s’adonner aux pratiques évoquées d’abandonner la fraude car les actions de fraude portent un coup dur aux finances publiques et par conséquent à la reconquête rapide de notre territoire. Il est important pour nous de rappeler que le phénomène de lutte contre la fraude est une affaire de tous. Et surtout que le premier vecteur de lutte contre la fraude c’est la population. La CNLF est le bras technique, le bras policier. C’est ensemble que nous pouvons travailler à la reconquête de notre territoire à travers différents types d’efforts dont l’abandon de toutes les pratiques de fraude.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
Lefaso.net

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