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Burkina/Fiscalité locale : « Pourquoi ne pas dire que les impôts sur les ressources, qui sont d’origine locale, restent dans la collectivité ? », demande l’ancien ministre Nébila Amadou Yaro

Publié le dimanche 5 novembre 2023 à 17h10min

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Burkina/Fiscalité locale : « Pourquoi ne pas dire que les impôts sur les ressources, qui sont d’origine locale, restent dans la collectivité ? », demande l’ancien ministre Nébila Amadou Yaro

Après son livre relatif à la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l’ancien ministre du développement de l’économie numérique et des postes vient de mettre à la disposition du public, un nouvel ouvrage intitulé : « Fiscalité locale et développement territorial au Burkina Faso ». Par cet ouvrage, paru chez les Editions Mercury, et dédicacé dans la soirée de ce jeudi 2 novembre 2023 à Ouagadougou devant de nombreux invités, le spécialiste expose le contenu de la fiscalité locale au Burkina et fait des propositions.

« En science politique, il y a deux choses qu’on apprend, qui sont les fondamentaux de l’Etat : c’est la fiscalité et la force publique. Lorsqu’un paysan, dans son champ, voit un policier ou un militaire qui arrive, il sait qu’il y a un Etat. Lorsqu’on demande à quelqu’un de payer un impôt, il sait qu’il y a un Etat », balise l’auteur, Nébila Amadou Yaro. Il relève ensuite qu’au moment où il est question de « souveraineté », le sujet de la fiscalité a tout son sens, car étant le signe de celle-là.

Selon l’ancien directeur général de l’ENAREF (Ecole nationale des Régies financières), tous les spécialistes des finances publiques s’accordent à faire en sorte que le développement national soit auto-financé (ce qui ne peut se faire que par la fiscalité).

Dans l’organisation de l’Etat burkinabè, poursuit l’auteur, la décentralisation occupe, depuis plusieurs années, une place importante dans le processus de développement. « Notre stratégie de décentralisation a transféré un certain nombre de compétences, pour ne pas dire beaucoup de compétences, aux collectivités. Lorsque vous êtes maire aujourd’hui, vous avez pratiquement tout à votre charge ; du foncier aux cantines scolaires. Pour cela, il faut des ressources. Nos collectivités n’ont pas toutes l’envergure d’un Etat, si fait qu’il faut bien qu’elles s’appuient sur les ressources internes (la fiscalité locale). Nous avons la chance que depuis 1960, on a mis en place la fiscalité locale. Maintenant, la question, c’est comment l’approfondir pour que les élus locaux, les maires, les conseils municipaux puissent disposer de moyens financiers suffisants pour respecter les engagements qu’ils ont pris auprès des populations », analyse Nébila Amadou Yaro.

Parmi les invités, et de g.vers la d. : Zéphirin Diabré, président de l’UPC ; l’ancien ministre en charge de l’urbanisme et de l’Habitat, Yacouba Barry, et l’ancien ministre délégué chargé de l’Alphabétisation, Amdou Diemdoda Dicko

A titre illustratif, l’enseignant pousse : « L’idée qui m’est venue, c’est à la suite de deux constats. Le premier, c’est que lors des dernières élections (locales), on a vu beaucoup de promesses qui ont été faites, mais au bout du compte, lorsque nous avons mené l’enquête, on s’est rendu compte qu’elles ne sont pas respectées. Le second constat, c’est l’état de délabrement de la structure locale. Je prends l’exemple de chez moi, à Pouni, on n’arrive même pas à convoquer le conseil municipal, parce qu’il faut leur donner (aux conseillers) un perdiem à la fin, et ce perdiem-là était fixé à 1 000 F. Le Conseil municipal n’arrivait même pas à trouver cette somme pour convoquer les élus. Alors que ce sont eux qui forment l’assemblée de la collectivité, si fait qu’il y avait vraiment des problèmes ».

De grands pouvoirs sont donc donnés aux collectivités, sans que les moyens conséquents ne suivent pour autant. D’où la nécessité de faire des propositions, pour permettre au système fiscal local de mobiliser des ressources nécessaires aux collectivités locales, à partir du moment où la décentralisation est adoptée par la Constitution comme option de gouvernance. « C’est un acquis aujourd’hui, il faut donc préparer les textes, préparer les esprits, discuter, pour pouvoir aboutir à la possibilité que le conseil municipal puisse avoir les moyens de sa politique. Quand je dis moyens de sa politique, ce n’est pas nécessairement le programme municipal, mais il faut que celui-ci soit adapté aux réalités des finances locales », soutient-il.

Dr Yaro préconise donc un changement de paradigme. « Nous apprenons tous aujourd’hui à nos étudiants, ce que c’est qu’un impôt direct, ce que c’est qu’un impôt d’Etat. L’impôt d’Etat, c’est celui qui est prélevé et reversé à l’Etat, organe central. Si on suit tout ce paradigme-là, on va arriver à une situation où on va se retrouver avec des impôts qui sont prélevés dans les communes, mais qui vont aller au niveau de l’Etat. C’est-à-dire les efforts que le conseil municipal va faire, les impôts prélevés vont aller au niveau de l’Etat. Il faut donc changer de paradigme, dire par exemple qu’un impôt d’Etat, peut à un certain moment, être prélevé et resté dans la commune. A partir de ce moment, plusieurs propositions peuvent être faites. Je prends deux exemples : lorsque le maire recrute un agent, sur les fonds de la collectivité, c’est un agent local, donc il a un salaire, il paie comme tous les salariés, l’IUTS (Impôt unique sur les traitements et salaires). L’IUTS, c’est un impôt d’Etat, qui est donc reversé au budget de l’Etat. Il y a quand même un problème. Les efforts sont consentis par le Conseil municipal, qui recrute un agent, mais les impôts sur son salaire sont reversés à l’Etat. Pourquoi ne pas dire par exemple que les impôts sur les ressources qui sont d’origine locale, restent dans la collectivité ? Le second exemple, ce sont les marchés publics ; les conseils municipaux se débrouillent et lancent les appels d’offres, sur les fonds de la collectivité, mais les droits d’enregistrement vont retourner à l’Etat, organe central. Or, ce sont des fonds venant de la collectivité », examine l’ancien.

De la d. vers la g. : Thierry Millogo, administrateur général de Mercury ; Me Salifou Dembélé, modérateur, et Dr Nébila Amadou Yaro

« Le Burkinabè est un bon contributeur, pourvu qu’il sache où va son argent »

L’auteur souffle également la solidarité entre les collectivités ; par la mise en place, par exemple, d’une sorte de caisse de péréquation, à même de permettre à celles moins pourvues de pouvoir y chercher de l’argent pour mettre en œuvre leur programme de développement.

« Il faut arriver à faire le lien entre le recouvrement, l’impôt que l’on prélève et les dépenses qui sont engendrées par ces recettes-là. Malheureusement, nous ne le faisons pas trop. L’impôt d’Etat, lorsqu’il est prélevé par exemple à Dori, peut servir à des dépenses à Banfora. Il est évident que celui de Dori qui paie un impôt, ne sait pas la différence entre impôt d’Etat et impôt local, lorsqu’il paie plusieurs fois un impôt et se rend compte qu’il n’y a pas d’investissements dans sa commune, il se pose quand même des questions à un certain moment. Il faut donc arriver à faire le lien entre les impôts que l’on paie et les charges de fonctionnement, les infrastructures qui sont réalisées », commente l’enseignant-associé de l’université francophone Senghor d’Alexandrie en Egypte.

Un ouvrage salué par le modérateur et spécialiste en fiscalité, Me Salifou Dembélé, pour qui, « Fiscalité locale et développement territorial au Burkina Faso » doit susciter de nombreuses productions et propositions sur cet important sujet. « On continue de faire comme si on n’était pas dans un processus de décentralisation. On a un dispositif qui est carrément en déphasage avec ce qu’on veut mettre en place. (…). On veut mettre en place quelque chose, mais en oubliant que ce doit aller avec un accompagnement. C’est pour cela que le changement de paradigme dont parle le Dr Yaro me semble capital. Il faut qu’on sache ce qu’on veut. Si on veut véritablement mettre en place une vraie politique de décentralisation, qui va permettre d’attribuer des compétences dans pas mal de secteurs à ces collectivités territoriales, il faudrait qu’on change de paradigme », appuie l’ancien ministre de la jeunesse et de l’emploi, Me Salifou Dembélé, rappelant que la fiscalité est l’essence même de l’Etat.

Le livre coûte 10 000 FCFA

« Tout part de la vision de l’Etat à accorder une place importante aux collectivités territoriales. Voilà l’essentiel de la fiscalité locale. Dès l’instant où l’Etat a estimé que les collectivités territoriales devaient jouer un rôle important dans le développement, il était impérieux qu’on puisse donner à celles-ci des ressources financières capables de leur permettre de mener à bien leurs missions », estime l’avocat Salifou Dembélé, qui constate qu’aujourd’hui, la plupart des collectivités territoriales vivent essentiellement de subventions de l’Etat ; ce qui n’est pas pérenne.

« Le Burkina est le seul pays à avoir ensemble l’IBICA (Impôt sur les bénéfices industriels, commerciaux et agricoles), alors que les autres pays ont séparé (…). Le Burkinabè est un bon contributeur, pourvu qu’il sache où va son argent. Si fait que la vraie question, c’est la transparence », commente le modérateur, qui, par-là également, appuie l’auteur pour qui, « une de nos failles, c’est que nous avons un système fiscal très généraliste ».

« Fiscalité locale et développement territorial au Burkina Faso » est disponible à la librairie Mercury et dans plusieurs autres points de vente et acquérable à un prix de 10 000 FCFA.

O.L.O
Lefaso.net

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