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Burkina/Suspension de l’aide française au développement : « Les actions en cours pour renforcer la sécurité alimentaire dans les zones affectées par l’insécurité pourraient s’arrêter si… », prévient Mahamadou Diarra, économiste

Publié le mercredi 16 août 2023 à 22h08min

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Burkina/Suspension de l’aide française au développement : « Les actions en cours pour renforcer la sécurité alimentaire dans les zones affectées par l’insécurité pourraient s’arrêter si… », prévient Mahamadou Diarra, économiste

Le ministère français des Affaires étrangères a annoncé le 6 août 2023, la suspension de toutes les actions d’aide au développement et d’appui budgétaire au Burkina Faso, jusqu’à nouvel ordre. Pour mieux édifier ses lecteurs sur les conséquences de cette suspension pour le Burkina Faso, Lefaso.net est allé à la rencontre de Mahamadou Diarra, professeur titulaire, agrégé des facultés des sciences économiques. Il est aussi le président du conseil d’administration du Centre d’études et de recherche sur l’intégration économique en Afrique (CERIEA). Entretien !

Lefaso.net : Quelles sont les motivations économiques et politiques qui pourraient expliquer la décision de la France de suspendre l’aide au développement envers le Burkina Faso ?

Mahamadou Diarra : Pour les raisons politiques je n’en sais pas grand-chose, mais je voudrais simplement indiquer que le contexte y est pour beaucoup. Je voudrais rappeler que pour la plupart des partenaires bilatéraux et multilatéraux, leur aide au développement est soumise à des conditionnalités. Celles-ci concernent, entre autres, le respect et la promotion des principes démocratiques et de l’État de droit. Pour le cas spécifique de la France, il faut noter que c’est depuis la conférence de la Baule en 1990 que l’Aide publique au développement (APD) est soumise à ces conditions. Dans cette optique, avec l’avènement des coups d’Etats au Burkina Faso, la suspension de l’APD française, comme les Etats-unis l’ont fait avec le MCC, ne devrait étonner personne ! Ce qui est plutôt étonnant c’est d’avoir maintenu cette coopération depuis le premier coup d’État jusqu’au 27 juillet 2023.

Et alors qu’est-ce qui s’est passé entre temps, pour que la France décide de suspendre son aide ?

La réponse à cette question est à rechercher dans la diplomatie actuelle du Burkina Faso caractérisée, comme vous le savez, par la volonté affichée des autorités de la transition de sortir du multilatéralisme et de promouvoir, en allant même au-delà des frontières, des pratiques contraires aux valeurs qui sous-tendent la coopération internationale pour le développement. La suspension de l’aide française serait donc une des manifestations de cette escalade diplomatico-économique croissante entre Ouagadougou et Paris.

Comment cette suspension de l’aide au développement pourrait-elle affecter l’économie burkinabè à court et à long terme ?

Comme il a été indiqué par les sources officielles, le montant des interventions en cours de la France au profit du Burkina Faso s’élève à 325 milliards FCFA en 2023, soit près de 10% du budget national. Ce qui veut dire qu’en termes de financement ce n’est pas négligeable. Sur ce montant global, 8,5 milliards FCFA représentent des appuis budgétaires. De ce fait, la suspension de ces appuis entraîne mécaniquement un creusement du déficit budgétaire d’un montant équivalent qu’il faudra financer. Rappelons au passage que le budget 2023 de l’État burkinabè s’élève à 3235,9 milliards de FCFA, avec un déficit de 604,7 milliards.

Pour ce qui concerne la partie consacrée au financement des projets et programmes, le montant en cours s’élève à 316 milliards FCFA. Ainsi, la suspension de la coopération française pour le développement pourrait entraîner l’arrêt de l’exécution de ces projets et programmes si aucune mesure de substitution n’est envisagée urgemment. Et comme les finances publiques du pays sont exsangues, il est fort probable qu’aucune mesure palliative n’interviendra à court terme.

Par ailleurs, n’oubliez pas qu’il y a plusieurs projets et programmes qui sont cofinancés par d’autres partenaires notamment l’UE et les institutions multilatérales telles que la Banque mondiale, le Banque africaine de développement (BAD), le Banque ouest africaine de développement (BOAD) etc. De ce point de vue, il y a de fortes craintes que le manque à gagner résultant de la suspension de l’APD de la France soit sous-estimé. En général, pour un projet co-financé, lorsqu’un partenaire se retire et qu’aucun autre parti (notamment l’État) ne veut le remplacer, le projet peut s’arrêter et donc les financements des autres bailleurs sont perdus !

Quels sont les principaux secteurs de l’économie burkinabè qui pourraient être impactés par cette suspension de l’aide, et quelles sont leurs contributions actuelles à l’économie du pays ?

Les projets et programmes financés concernent des domaines variés allant des secteurs de soutien à la production au secteurs sociaux. Il s’agit principalement des secteurs de l’énergie, de la sécurité alimentaire, de l’eau potable et assainissement, d’aménagement du territoire et développement des collectivités surtout affectées par l’insécurité, etc. Apprécier l’impact réel ne peut se faire qu’à travers une évaluation approfondie. Toutefois, en considérant par exemple le secteur de l’énergie, où les projets financés par l’AFD sont en cours, on pourrait facilement apprécier l’impact de cette mesure. Il faut savoir qu’en la matière un des projets phares est le projet YELEEN qui a été initié en 2018 et dont une part importante du financement est assurée par la coopération française. Ce projet a pour finalité après sa mise en œuvre en 2025, de faire de l’énergie solaire le levier de la croissance économique et l’amélioration de l’accès des populations à l’électricité. Ainsi, après avoir perdu le financement des américains dans le cadre du MCC, le Burkina Faso vient de perdre encore un appui important pour le développement de l’énergie solaire pour tous.

Pour les secteurs sociaux, la suspension de l’aide de la France pourrait par exemple impacter les actions en cours pour l’amélioration de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement notamment dans les villes de Ouahigouya, Séguénéga et Bobo-Dioulasso dans le cadre du Programme d’investissement et de renforcement de capacités de l’ONEA. Aussi, les actions en cours pour renforcer la sécurité alimentaire dans les zones affectées par l’insécurité comme l’Est pourraient s’arrêter si le gouvernement ne dégage pas des ressources pour remplacer l’AFD dans ces projets.

En quoi la suspension de l’aide au développement de la France pourrait-elle influencer les relations économiques entre le Burkina Faso et d’autres partenaires ?

Comme je l’ai mentionné tantôt, le Burkina pourrait perdre les aides des autres partenaires dans le cadre de projets et programmes cofinancés. De plus, la suspension ou, à tout le moins, le non engagement des autres partenaires dans de nouveaux projets devrait être pris au sérieux d’autant plus que la plupart de ces PTF partagent les mêmes visions en matière d’aide au développement !

Existe-t-il des alternatives que le Burkina Faso pourrait explorer pour compenser la perte de l’aide au développement de la France ?

Dans le cas d’espèce, l’alternative la plus crédible est que le gouvernement dégage des ressources pour poursuivre les actions engagées dans le cadre des projets et programmes financés par la coopération française. Mais dans un contexte marqué par une forte dégradation des finances publiques et par l’urgence de financer la lutte contre les GAT et l’insécurité alimentaire, quelles marges de manœuvre pour le gouvernement ? Je rappelle que le déficit budgétaire du pays est ressorti à près de 10% du PIB en 2022, soit 7 points de plus par rapport à la norme communautaire de 3%, fait stylisé jamais observé dans l’histoire économique de notre pays !
Dans ce contexte où l’espace budgétaire du gouvernement est vraiment réduit, ce qui risque de se passer c’est l’utilisation des dépenses en capital comme coussin d’air pour pallier la suppression de l’appui budgétaire ; ce qui n’est pas sans effets sur l’activité économique à long terme ; puisque c’est l’exécution de certains projets d’investissements publics qui sera ralentie ou arrêtée purement et simplement.

En quoi la suspension de l’aide pourrait-elle avoir un impact sur la stabilité politique et sociale du Burkina Faso ?

Comme la coopération française appuie également les ONG et associations, sa suspension pourrait exacerber les tensions sociales souvent source d’instabilité. De plus, la suspension de l’APD de France entraînant l’arrêt des financements dans les domaines comme la lutte contre le chômage dans les zones affectées par le terrorisme, cela pourrait entamer les efforts déployés par la transition pour endiguer l’hydre terroriste au Burkina Faso. En effet, dans le cadre du projet « Territoires créateurs d’emplois », par exemple, qui couvrent la Boucle du Mouhoun, le Nord et le Sahel, l’AFD finance depuis 2020 des actions en faveur de la création d’emplois pour les jeunes et les femmes dans le but de rendre ces populations moins vulnérables aux propositions de recrutement formulées par le GAT.

Samirah Bationo
Lefaso.net

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