Niger/Coup d’Etat : Le Sahel perd sa dernière démocratie, l’Occident son dernier pilier, pour la sempiternelle cause de l’insécurité
Au Niger, le chef de la garde présidentielle, le général Abdourahamane Tchiani, s’est autoproclamé chef de l’Etat le 28 juillet 2023, mais l’ancien ne s’est pas encore démis. Le président Mohamed Bazoum n’est pas encore disposé à signer sa lettre de démission comme les président élus, chassés par les militaires avant lui : Ibrahim Boubacar Keita (IBK), Alpha Condé, Roch Marc Christian Kaboré. Jusqu’où peux-t-il aller dans cette résistance, alors que ses partisans ont été dispersés le 26 juillet 2023 lors d’une manifestation, quand ils ont appris son arrestation ? Le nouveau pouvoir a, depuis, interdit les manifestations.
Le coup d’Etat du Niger vient montrer à la face du monde l’état de désolation des pays sahéliens et de l’Afrique de l’Ouest tout entière, incapable de cerner le problème de la lutte contre l’insécurité et d’y remédier. Y a-t-il des raisons cachées à ce coup d’Etat ? Pourquoi ce coup d’Etat contre Mohamed Bazoum qu’une partie de l’armée voulait chasser avant son investiture ? Pourquoi ceux qui l’ont défendu en ce moment, lui retirent le pouvoir maintenant ?
Le président Bazoum, par son franc parler, a-t-il créé des frustrations au sein de la haute hiérarchie militaire nigérienne ? Que pourra faire la CEDEAO qui voulait instaurer une force pour lutter contre les coups d’Etat, alors qu’un des vaillants mousquetaires de cette lutte a lui-même perdu son pouvoir ? La communauté internationale ne devrait-elle pas agir avec sa sagesse, sans dogmatisme, dans un contexte où le Sahel est la proie des luttes d’influence entre superpuissances ?
Les groupes armés ont encore fait une victime collatérale présidentielle de plus. Après Ibrahim Boubacar Kéita au Mali en 2020, après Roch Marc Christian Kaboré en 2022 au Burkina Faso, le dernier des régimes démocratiques des trois pays du Liptako Gourma est tombé au Niger, le 26 juillet 2023 dans un plan séquence semblable à celui de la chute du dernier président élu burkinabè, où le pouvoir semblait suspendu quelque part dans un entre deux, durant quarante-huit heures, hésitant entre l’ancien et le nouveau avant de tomber entièrement dans les bras du nouvel homme fort qui, non sans peine, a rallié, semble-t-il, toute l’armée à son projet.
Un coup d’Etat vieille école de généraux
Mohammed Bazoum est détenu par sa propre garde au palais présidentiel. Comme les pays qui s’enfoncent chaque jour dans un mouvement au ralenti, les coups d’Etat sahéliens aussi se font désormais au ralenti avec des mouvements d’humeur, des mutineries de troupes.
Et la hiérarchie qui se concerte hésite à se décider entre légalisme et sédition pour finir par consommer le putsch difficile à se mettre en place. Les conditions de mise en place du pouvoir putschiste portent les germes de futures oppositions et divisions. Voici la raison du soutien du chef d’état-major, le général de division Abdou Sidikou Issa : « Le souci de préserver l’intégrité physique du président […], d’éviter une confrontation meurtrière entre les différentes forces qui, au-delà de ces dernières, pourrait provoquer un bain de sang et entacher la sécurité de la population ».
Au Niger, le coup d’Etat en cours n’est pas celui de jeunes capitaines ou de lieutenants-colonels. On est au niveau du top management de l’armée. Ce sont des généraux qui prennent le pouvoir, comme on le voyait dans les années soixante-dix dans la plupart des pays africains. Et là où le bât blesse c’est quand « la dégradation continue de la situation sécuritaire » est invoquée par ces hommes qui sont les stratèges et les opérationnels de cette lutte aux côtés du président Bazoum.
Le Niger connaît l’insécurité certes, mais il est loin d’être le dernier de la classe. Il suffit de consulter les statistiques sur le nombre d’incidents terroristes et le nombre de personnes décédées au Niger publiés par les organismes d’études et de recherches sur les groupes terroristes pour se rendre compte que cet argument ne tient pas la route.
C’est malheureux que des généraux puissent brandir cela pour prendre le pouvoir car ils savent bien que le terrorisme ne sera pas vaincu en trois mois ou huit mois, et que le même argument leur sera opposable par d’autres putschistes. Ce manque de recul sur l’analyse de la situation sécuritaire risque de les conduire à rejeter les bonnes pratiques de l’ancien régime qui marchent.
Les premières impressions amènent à penser que ce putsch, comme toutes les conspirations, ne repose pas sur un projet muri de lutte contre l’insécurité ou de développement du pays. Ce qui nous emmène à penser à l’équation personnelle, le sentiment messianique un peu tardif pour des généraux. Le plus probable est certainement la frustration née du franc parler du président Mohamed Bazoum concernant la faiblesse des armées sahéliennes face aux groupes terroristes. Dans son combat contre les juntes au pouvoir en Afrique de l’Ouest, Bazoum a peut-être blessé l’orgueil de certains de ses compatriotes.
Quel avenir pour les relations avec l’Occident ?
Le nouvel homme fort est face à un dilemme : verser dans le populisme de saison qui rend responsable de l’échec les alliés occidentaux ou reconnaître leur contribution. C’est la dernière option qu’il a choisie lors de son discours en louant, dit-il, « le soutien appréciable et apprécié de nos partenaires extérieurs ». Mais rien ne dit qu’il s’y tiendra. Les Occidentaux aussi marchent sur des œufs comme les Etats unis d’Amérique présents au Niger au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Le Niger, voisin de la Lybie, est devenu depuis une importante place géopolitique pour ses richesses minières, uranium et pétrole entre autres, et pour le passage des migrants pour l’Europe via le pays de Mouammar Kadhafi.
L’armée nigérienne a semblé être plus attractive, plus combative pour les Américains qui ont installé deux bases aériennes de drones à Niamey et Agadez qui fournissaient des informations à la force Barkhane, mais pas aux Etats sahéliens eux-mêmes. Voilà aussi l’un des paradoxes de la lutte contre le terrorisme où les alliés étrangers ne font pas confiance aux locaux. L’investissement sécuritaire américain est très important au Niger. Les soldats américains seraient autour de 850 à 1 000 hommes, selon les sources. Alors que les rescapés de la force Barkhane sont au nombre de 1 500, plus une centaine de militaires allemands.
Niamey est la principale et dernière place forte occidentale au Sahel et ce coup d’Etat va-t-il tout remettre en cause ? Ce n’est pas possible que le pays de l’oncle Sam regarde béatement ce pays se jeter dans les bras de l’ours russe comme les manifestants qui brandissaient des drapeaux russes le pensent. Même si la priorité est à l’Ukraine, il est impensable que les Américains voient toutes leurs pièces prises sur l’échiquier africain sans mettre en échec le tsar de Russie.
Quel que soit le bout par lequel on prend ce putsch au Niger, les véritables bénéficiaires sont les groupes armés terroristes qui jubilent de voir un nouveau pays tomber dans l’instabilité. C’est une rupture dans la chaîne de commandement, et peut être dans la stratégie de lutte. Les groupes terroristes ne se battent pas pour la démocratie, et sont heureux de voir les pouvoirs élus tomber chacun à son tour au Sahel. C’est une victoire idéologique pour ces hommes qui ne sont pas partisans du système un homme, une voix, le pouvoir du peuple.
Les opportunistes de tous bords qui acclament les coups d’Etat pensant avoir une place avec le nouveau régime enfoncent nos pays dans la situation catastrophique dans laquelle ils se trouvent. Les chefs d’Etat de la CEDEAO se réunissent ce 30 juillet 2023 sur le coup d’Etat au Niger, on attend de voir ce que le nouveau président du Nigéria, président en exercice de la communauté, va faire pour marquer son territoire.
Sana Guy
Lefaso.net