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Mise sous scellés de L’Evènement : Un acte aussi inutile que nuisible aux institutions elles-mêmes

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Publié le jeudi 8 juin 2023 à 11h47min

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Mise sous scellés de L’Evènement : Un acte aussi inutile que nuisible aux institutions elles-mêmes

Après une pression sous diverses formes, les guetteurs du bimensuel d’information, d’analyse et d’investigation L’Evénement, sont passés à l’acte, par la mise sous scellés de ses locaux, avec pour motif d’avoir manqué à une obligation fiscale. Aussi légal soit le reproche qu’on puisse faire au journal, la réalité, la pertinence et l’opportunité d’un tel acte tiendront toujours du contexte, des conséquences sur les institutions nationales et du message qu’on renvoie ainsi au citoyen burkinabè.

Le sentiment que les institutions sont à la solde des dirigeants du moment pour régler des comptes personnels et asseoir leur assise n’est pas prêt à s’estomper. Il l’a été hier sous le pouvoir déchu du CDP, sous la transition de 2014-2015, le pouvoir de Roch Kaboré et semble se poursuivre. Ce qui ne finit pas donc de nourrir l’impression d’injustice dans la société ; une situation préjudiciable à tous les Burkinabè.

Cet acte de mise sous scellés apparaît comme l’ultime recours pour empêcher le journal de poursuivre sa dynamique de révélations, comme il l’a toujours fait, d’ailleurs ! Que n’a-t-il pas subi depuis ces révélations qui chargent un capitaine d’avoir ‘’empoché 400 millions…’’ et soulèvent ‘’le mystère autour d’un virement de dix milliards à l’Assemblée législative de transition ; les business de militaires dans la lutte contre le terrorisme ; ces interrogations sur le rapport de Inata… ou encore, la maîtresse d’un lieutenant-colonel achète une maison à 250 millions’’ ?

Le contexte de cette mise sous scellés, ce sont aussi ces appels, notamment d’« inconditionnels » du pouvoir, depuis plusieurs semaines, à fermer le journal ; ceux-ci estimant qu’il doit accompagner la transition ou se taire. Le contexte, faut-il ajouter, c’est qu’une telle méthode de manipulation des institutions est une malheureuse tradition au Burkina. De nombreuses entreprises ont, dans le silence, subi de telles forces, du simple fait de la position de leur premier responsable qui ne cadre pas avec celle des politiques au pouvoir.

Le contexte, c’est que même les médias qui, aujourd’hui, publient l’actualité sur les attaques, sont de plus en plus lorgnés, comme sapant l’image de la transition et, par conséquent, n’étant pas « patriotes ».

Le contexte, c’est itou un Premier ministre qui a, dans ses propos devant l’Assemblée législative de transition, du mal à détacher l’institution de sa propre personne et à un moment où les Burkinabè ont le plus besoin d’institutions nationales que de relents personnels.

C’est le contexte qui donne un sens à un acte. Et cet acte de mise sous scellés de L’Evénement ne déroge pas à cette réalité ; ceci expliquant cela. La question du fisc n’est donc que du vernissage.

Sous l’ère Roch Kaboré, précisément en novembre 2018, la même méthode de manipulation a servi à fermer la radio Oméga, avec des propos clairement crachés comme tels par les exécutants, eux-mêmes. « Radio Oméga a été mise sous scellés pendant trois heures, pour ‘’défaut de paiement de taxes fiscales’’, par des agents des impôts dont certains ne cachent pas, depuis des mois, leur volonté de faire taire la radio pour son rôle dans le débat national sur le Fonds commun. « Radio Oméga dénonce la fermeture de la Radio par des agents des impôts, malgré le paiement total de sa dette », déplorait la direction de la radio.

Autant le manquement fiscal ne doit être encouragé, encore plus, les institutions ne doivent servir d’outils de règlement de comptes personnels. De telles pratiques sont dommageables pour toute la société et à l’entreprise qui est en train de négocier les conditions d’exécution de ses obligations fiscales. « L’Etat burkinabè lui-même est redevable à la presse privée de plusieurs millions de factures impayées et ce depuis plusieurs années. Pour autant L’Evènement à qui plusieurs services publics doivent plusieurs années d’abonnements et autres services impayés, n’a pas jugé utile de suspendre leur abonnement. Même la présidence du Faso traîne des factures impayées de L’Evènement », rappelle la SEP dans une déclaration diffusée ce samedi 3 juin 2023, d’où il ressort également que le journal était en négociation avec l’administration pour éponger le dû. Et ce type d’arrangement entre entreprises et l’administration fiscale n’est pas nouveau. Alors, le cas de L’Evènement n’est pas une exception en la matière. L’exception, c’est surtout cette furie contre le journal, en dépit des efforts et de la bonne foi exprimée.

Il faut qu’on évite que le citoyen ait l’impression qu’on utilise les institutions pour lui faire la force. Il y a longtemps qu’un tel sentiment est nourri. Ainsi, tout citoyen lucide se dit que cela peut lui arriver, pour peu qu’il ne soit pas dans une position de convergence d’idées avec les détenteurs des pouvoirs du moment.

Certains pourraient dire que pour éviter ces désagréments, il faut être correct. Pourtant…, dans une société où les gens sont allergiques à la vérité et l’esprit de paresse et de légèreté une bravoure, il ne suffit pas d’être juste, correct, et même innocent, pour ne pas avoir de problèmes. En clair, à tout moment, n’importe qui peut être victime d’une injustice.

Dans l’actualité de l’adoption d’une nouvelle Constitution, pour, dit-on, répondre « à nos réalités », l’on se demande ce qu’elle pourra apporter de plus, si les dépositaires des pouvoirs publics ne sont pas prêts à abandonner les pratiques rétrogrades, depuis dénoncées par les citoyens. On peut affirmer que le problème du pays se trouve moins dans la qualité de ses textes qui régissent la vie nationale que dans le sort qui est réservé par les détenteurs des pouvoirs et, partant, par chaque individu de la société.

Le journal L’Evénement, pour avoir continué sa mission d’investigation, se voit subir un diktat, sous le sceau d’un manquement à un devoir fiscal. Pour autant, cet acte ne change rien aux faits qu’il a soulevés. Cela ne fera pas du morceau de bois, un caïman ! Cette politique de l’autruche ne fera pas la refondation tant prônée par tous ; parce que la refondation ne va pas sans un minimum de mœurs. Et le respect des mœurs n’est pas une partie de plaisir, il exige de la part de chacun un abandon de l’orgueil et un effort d’humilité, à commencer par ceux qui, de par leur position dans l’administration publique burkinabè, détiennent une portion de pouvoir. Il faut que chacun fasse un effort d’abandon des vieilles habitudes et de l’esprit égocentrique. Sinon, tout ce qui sera entrepris comme réformes et textes ne sera que de simples intentions, sans lendemain.

Oumar L. Ouédraogo
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