Intelligence artificielle : « Des emplois vont disparaitre, beaucoup d’autres seront créés », Moctar Compaoré, ingénieur en cybersécurité
Ingénieur en développement de logiciel et en cybersécurité, Moctar Compaoré a pris une disponibilité à la fonction publique pour mieux s’investir dans son domaine. Très averti des questions sur le numérique, il créé une entreprise pour le développement des logiciels. Pour l’informaticien, l’avènement de l’intelligence artificielle va tuer des métiers et en créer beaucoup d’autres. Interview !
Lefaso.net : Comment est né votre passion pour ce domaine ?
Moctar Compaoré : il faut dire d’abord que j’ai eu un baccalauréat scientifique. Après mon bac, j’ai suivi une formation en mathématiques et en informatique. Au cours de cette formation, nous avons eu le choix de faire les mathématiques, les statistiques et l’informatique. J’ai opté pour l’informatique au regard de son impact dans le monde actuel.
Comment voyez-vous l’impact de l’informatique dans le monde ?
L’informatique est une science nouvelle, très récente. Elle s’intègre dans tous les domaines. Elle impacte même le travail des journalistes, ce qui veut dire que les outils de travail ont radicalement changé. Le travail de l’agriculteur aussi est impacté parce qu’il est assisté par des machines qui sont équipées par des capteurs d’intelligence artificielle qui peuvent les aider à optimiser leurs rendements. C’est la même chose pour le médecin. L’informatique aide à rédiger des rapports et à interpréter certains résultats d’examens. Elle impacte le travail même de l’athlète, parce qu’il utilise des capteurs qui vont calculer leurs rythmes cardiaques, les orienter, les conseiller. En fait, c’est un domaine qui impacte presque tous les autres domaines.
Vous avez pris une disponibilité à la fonction publique pour créer une entreprise dans le domaine de l’informatique. Pouvez-vous nous parler de cette entreprise ?
C’est ÜWAZY SARL. Comme vous l’avez annoncé, j’ai effectivement pris une disponibilité à la fonction publique pour pouvoir gérer cette entreprise. C’est une entreprise qui évolue dans le développement des logiciels et la formation dans le domaine du numérique. Des clients aussi nous approchent pour solliciter un accompagnement avec des logiciels dans la gestion de leurs stocks, de leurs quotidiens dans l’entreprise. Il y a aussi des plateformes que nous avons aussi développées comme celles des restaurants. Sinon, nous formons spécifiquement dans les programmations des logiciels, dans la conception des logiciels. Nous apportons en tant qu’acteur du numérique, des formations gratuites parce qu’on veut amener les populations à adopter le numérique.
En tant qu’ingénieur en sécurité informatique, quels sont les enjeux du cyberespace ?
D’abord, il faut savoir que les enjeux du cyberespace sont énormes. Nous constatons malheureusement qu’il y a d’autres acteurs du numérique qui profitent de l’innovation pour faire du mal. Ces cybercriminels sont de plus en plus nombreux. Cela remet au goût du jour la question de la protection des données des citoyens dans le cyberespace, la protection de la vie privée. Il faut vraiment lutter pour la protection des données à caractère personnel qui relève de la vie privée des citoyens.
L’Intelligence artificielle (IA) est une réalité aujourd’hui qui s’impose. Quels sont les défis liés à l’IA ?
Au Burkina Faso, il faut que dire que l’intelligence artificielle est une innovation, sinon une révolution technologique. Comme toute révolution, il faut l’adopter, cela veut dire qu’au Burkina Faso, il faut qu’on adopte cette révolution technologique au regard des avantages qu’elle peut apporter au pays. Je parlais tantôt de l’intelligence artificielle qui peut aider les agriculteurs à avoir de meilleurs rendements, qui peut aider les médecins, qui peut aider les athlètes, qui peut aider vous et moi à être beaucoup plus efficients et efficaces. Il faudra règlementer son utilisation parce que c’est une innovation, il peut y avoir des abus. On peut prendre par exemple le cas où les gens utilisent des images d’autres personnes pour faire des montages en utilisant l’intelligence artificielle. Il y a des sanctions qui sont prévues pour ces faits. Cela signifie qu’il faut un réel encadrement. Il faut donc regarder les textes élémentaires, si ces textes ne sont pas prévus, il faut donc les prévoir. Si l’on prend une personne qui fait une mauvaise utilisation de ces outils, qu’on puisse la condamner. Aujourd’hui, l’IA nous impacte beaucoup parce qu’en tant qu’enseignant dans certaines universités publiques et même privées du pays, nous utilisons l’intelligence artificielle pour améliorer nos contenus. Nous avons constaté aussi que lors des devoirs non- surveillés, les étudiants font usage de l’intelligence artificielle. Il faut que dans les milieux académiques aussi, nous soyons plus regardants et voir comment intégrer cela pour que cette donne ne joue pas sur la qualité de l’offre académique mais plutôt qu’elle contribue beaucoup plus à améliorer sa qualité, son niveau.
L’avènement de l’IA suscite la peur, voire une incertitude de certains métiers dans l’avenir. D’aucuns estiment que beaucoup de métiers vont disparaître à cause de l’IA. Comment voyez-vous cela ?
Oui, cela apparaît comme la révolution industrielle. Quand elle est arrivée, beaucoup de gens ont perdu leurs emplois, c’est une innovation, une révolution, des gens vont perdre des emplois, des emplois vont disparaître, c’est bien évident. Maintenant l’homme étant résilient, l’homme qui sait s’adapter saura que face à ces technologiques, il faut plutôt s’adapter, moderniser la manière de travailler plutôt que de rester avec les anciens outils dépassés. En l’adoptant, nous verrons que les anciennes pratiques ne vont pas disparaître mais elles vont changer. De toutes les façons, elle s’impose à nous. Donc c’est évident que des emplois seront perdus mais beaucoup d’emplois aussi vont être crées. Donc, il faut s’adapter, se former pour pouvoir être parmi ceux qui auront ses nouvelles compétences pour pouvoir travailler.
Que faut-il attendre de l’IA dans l’avenir ?
Il faut dire que l’IA a commencé déjà à transformer nos habitudes. Il faut donc s’attendre à un changement d’habitudes, de comportements et même d’interactions. Nous arrivons dans un monde où nous serons plus immersifs c’est-à-dire que nous serons plus en contact avec le monde virtuel. C’est par exemple, dispenser des cours, comme si on était présent physiquement. Ce sont des choses qui vont arriver et qui sont déjà même là. Le domaine de l’industrie par exemple, nous voyons qu’il y a l’usage des robots dans les systèmes de production. Ce sont des choses que nous allons expérimenter. On a déjà des robots livreurs, en utilisant des drones qui peuvent localiser les lieux de destination. Ce sont des choses qui sont déjà dans les laboratoires et qui sont à expérimenter. Cela signifie que l’impact de l’intelligence artificielle est une réalité, il faut s’attendre à ce qu’il arrive. Et comme je le disais, il ne faut pas s’opposer, il faut plutôt adopter, essayer d’encadrer pour que son utilisation profite beaucoup plus à nos populations, nos entreprises et à nos Etats.
Est-ce que vous avez l’impression que les jeunes sont enthousiasmés par l’informatique ?
Je pense que l’informatique intéresse les jeunes. Il y a beaucoup de jeunes qui ont compris et qui s’inscrivent dans les filières informatiques. Seulement, nous remarquons qu’au niveau de la population féminine, c’est encore faible, et je pense qu’il y a des programmes qui vont leur permettre aussi de rentrer dans la danse parce qu’il y a de la compétence parmi elles aussi.
Dans cette crise sécuritaire, quelle peut être la contribution de ces outils numériques dans la mission de reconquête du territoire ?
L’un des impacts visibles de cette situation est la mésinformation. Il y a un envahissement des fake news qu’il faut combattre. C’est-à-dire que les outils comme l’IA sont capables de reconnaître les fake news, de les trier et d’empêcher leur diffusion. Ces outils peuvent empêcher que les informations non fondées ne circulent sur la toile et dans des groupes de réseaux sociaux de nos populations. Les caméras de surveillance au niveau des routes par exemple, peuvent être efficaces pour traquer certaines personnes malveillantes.
La souveraineté numérique est l’un des défis des autorités. Vous qui êtes un acteur du numérique, quelle perception avez-vous de cette souveraineté numérique du Burkina Faso ?
Il faut dire que la sécurité numérique est quelque chose qui est une quête perpétuelle. Mais, je dois dire qu’il y a déjà une loi qui protège les données à caractère personnel des citoyens. Il y a aussi une nouvelle loi qui a été adoptée et qui va permettre au niveau du cybersécurité, la protection des systèmes d’information de nos structures étatiques et même des entreprises privées. Ces lois ont pour but de protéger les citoyens et aussi leurs structures. C’est déjà un grand pas que l’État a fait. Il y a des structures étatiques comme la Commission de l’informatique et des libertés (CIL), l’Agence nationale des systèmes d’information, la Brigade centrale de lutte contre la cybercriminalité. Il y a aussi la promotion du nom de domaine .bf qui sont des efforts faits pour promouvoir le domaine le secteur du numérique. Cela est une preuve de la souveraineté numérique. Je rappelle qu’il y a avait beaucoup de plateformes qui étaient basées à l’extérieur, ils sont maintenant pour la plupart de retour au pays.
Interview réalisée par Serge Ika Ki et retranscrite par Néimata Rouamba (stagiaire)
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