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Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

Publié le dimanche 23 avril 2023 à 23h25min

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Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

Malgré les appels au cessez-le feu pour la fête de l’Aïd el-Fitr, les forces belligérantes des Forces armées du Soudan (FAS) et des Forces de soutien rapide (FSR) continuent de se battre dans Khartoum plongé dans l’obscurité, et sans eau courante. Débuté le 15 avril 2023, le bilan est déjà de plus de 400 morts et plus de 3 500 blessés, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Les affrontements se font à l’arme lourde et par des bombardements aériens ne laissant le choix aux civils que de se terrer chez eux ou de quitter la ville. Depuis 2019, où les Soudanais ont réussi à chasser le dictateur Omar el Béchir qui régnait sur le pays pendant trente années, le pouvoir balance entre les civils et les militaires.

Ces derniers ont décidé d’enclencher la partie finale qui décidera du meilleur général qui l’emportera dans une guerre dans la ville, où la vie des civils ne compte pas, pour aucune des parties. Qui sont les protagonistes et leurs passés ? Le Soudan va-t-il replonger dans les heures sombres de son passé, lui qui a vu la sécession du Soudan du sud, et qui a fait face à des rebelles au Darfour ?

Un accord de transition impossible

Le Soudan est proche de nous, du Burkina Faso, pour plusieurs raisons et sa trajectoire comme on le verra ne peut nous être indifférente. A observer nos deux pays si différents, ils passent très souvent par les mêmes chemins. En 2014 le Burkina Faso a chassé le dictateur Blaise Compaoré qui a fait presque trois décennies au pouvoir (27 ans).

En 2019, le Soudan a emboité nos pas pour mettre fin à 30 ans de pouvoir d’un autre dictateur. Dans les deux pays, il y a eu un accord entre militaires et civils pour que la transition soit civile et que le retour à un pouvoir civil élu se fasse. Dans les deux pays, Burkina, Soudan, les militaires ont tenté de mettre fin au processus par des coups d’Etat. Les deux peuples ont eu la même réaction, celle de résister à ces putschs réactionnaires.

Au Burkina, face au coup d’Etat du général Diendéré, le reste de l’armée va aussi rejeter cette prise de pouvoir de la garde prétorienne du régime déchu et l’obliger à se rendre à la justice. En 2021 au Soudan, l’armée va mettre fin au gouvernement civil de Hamdoke et du Conseil de souveraineté par l’entremise des deux généraux Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’Etat et no 1 du pouvoir de transition et son no 2 le général Hamdane Daglo, dit « Hemedti ».

Ces deux hommes ne sont pas des nouveaux venus, ils ont tous collaboré avec le général El Bechir, le premier comme chef de l’armée de terre, et le second comme patron de la milice arabe des janjawib de triste mémoire pour ses méfaits au Darfour. La société civile soudanaise pense que ces deux généraux sont aussi coupables de crimes au Darfour. Ce qui explique pourquoi Omar el Béchir n’a pas été remis à la Cour pénale internationale (CPI) pour les deux mandats d’arrêt que celle-ci lui a décernés.

Une chose est de prendre le pouvoir et d’en chasser les civils, une autre est de le gérer. Avec le putsch de 2021, la situation économique s’est fortement dégradée et les prix de l’essence, du pain, de l’électricité se sont envolés. Les militaires ont accepté de reprendre langue avec les civils regroupés dans la coalition des Forces de la liberté et du changement (FLC) pour des discussions, organisées sous le patronage des Etats unis, du Royaume uni, de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.

L’accord obtenu en décembre 2022 prévoit le retour à un gouvernement civil, et le casernement des militaires et l’intégration de la milice FSR au sein de l’armée. Voici le casus belli entre le numéro un et le second, car cette intégration des forces de soutien rapide va changer le rapport des forces au sein de l’armée. Le général Hemedti reproche en plus au général Burhane d’avoir fait un retour au pouvoir islamique déchu de Omar el Béchir. Quand les oppositions sont si tranchées et qu’il n’existe pas dans le pays des forces qui peuvent s’interposer entre les parties et négocier un modus vivendi, c’est la guerre comme on le voit aujourd’hui au Soudan.

C’est encore un grand pays d’Afrique, le troisième par son étendue qui renoue avec la guerre et peut être la rébellion ou une sécession. Ce qui est sûr et certain c’est davantage de misère et de désolation pour les Soudanais qui pour beaucoup n’auront d’autres choix que de prendre les routes pour se déplacer à l’intérieur du pays ou en dehors.

L’Egypte joue au grand frère du Soudan

Le nom Soudan « vient de l’arabe balad as-sūdaan, qui signifie littéralement « pays (balad) des Noirs » Ce pays situé au nord-est de l’Afrique, voisin de l’Egypte fait partie de l’ancienne Nubie et a fourni historiquement des dynasties de pharaons. La proximité du Soudan avec l’Egypte n’est pas que géographique, elle est historique et culturelle. Parler des pays sans parler des hommes, c’est omettre de parler de la vie. Peut-il y avoir vie sur terre sans eau ? Et dans cette partie de l’Afrique, la vie, l’eau, c’est le Nil que l’Egypte et le Soudan ont en partage mais pas à eux deux seulement.

Le bassin versant du Nil compte une dizaine de pays et le partage des eaux du fleuve avec la construction du barrage de la Renaissance en Ethiopie dont la mise en eaux a eu lieu en 2020 crée des différents entre l’Egypte et l’Ethiopie. Le pays des pharaons est soupçonné de chercher à s’allier le Soudan dans ce conflit de l’eau.

Est-ce une raison de penser que cette guerre a pour cause le barrage en Ethiopie ? Les généraux belligérants sont tous proches du régime égyptien et ont tous envoyés des hommes pour combattre au Yémen, avec l’Arabie saoudite et l’Egypte, même si les FSR ont capturé plus d’une centaine de soldats égyptiens que les FAS présentent comme des formateurs.

Le Soudan est convoité de partout

La volatilité de la situation politique mondiale fait craindre à certains que les dirigeants africains une fois encore se laissent aller à faire une guerre pour des intérêts qui ne sont pas ceux des Africains. L’Afrique redeviendrait ainsi une terre d’influence et de combats des puissances étrangères. Il est certain que l’or du Soudan est convoité par les puissances étrangères comme les Emirats arabes unis et que la société sécuritaire et de business russe Wagner, est présente dans le pays pour cela aussi.

Mais les deux généraux qui se battent sont aussi des prédateurs qui exploitent l’or. Le Soudan a exporté 42 tonnes d’or en 2022 pour 2,5 milliards de dollars soit 1250 milliards de francs CFA. Les réserves d’or du pays seraient immenses parmi les plus grandes du continent. Le dictateur déchu avait accordé aux Russes le droit d’installer une base navale à Port Soudan sur la mer Rouge. On comprend aisément que la guerre avec l’Ukraine ait retardé ce projet mais que les Russes n’y aient pas renoncé, vu leurs ambitions impérialistes et leurs désirs de s’affronter avec les Américains.

Sana Guy
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 23 avril 2023 à 20:48, par Renault HÉLIE En réponse à : Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

    C’est terrible, spécialement pour les civils.
    J’ai eu suffisamment ma dose de troubles au sud du Sahara pour imaginer la détresse des petites gens.
    Non seulement ce sont des militaires au pouvoir, mais ce sont plusieurs clans, et armés jusqu’aux dents ; et en plus, il y a aussi des groupes terroristes.
    Remarques : France, Angleterre, ou autre ex-colonisateur ?
    Contrairement à ce qui est souvent trompeté dans le présent forum, le fait d’avoir été colonisés par les Anglais n’empêche pas les désordres graves.
    C’est le respect de la démocratie et des institutions après les indépendances qui compte.
    Mais il y a toujours des démago-populistes qui croient réinventer l’eau tiède.... et permettent à des officiers ventrus de se servir.
    Les explications « par les prétendus défauts des ex-colonisateurs » sont complètement hors-sujet, surtout plus de 30 ans après les indépendances.

  • Le 23 avril 2023 à 23:15, par Etirev En réponse à : Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

    Ce qui se passe au Soudan, se passera au Burkina. Les affames du pouvoir, les putschistes qui se sentent plus patriotes que tous, vont tout faire pour garder leur chose. Au Burkina, grâce à la sagesse des coutumiers et des religieux, on a évité un affrontement dans la ville peuplée de Ouaga entre deux fractions. On imagine seulement les pertes en vie humaine que tel affrontement aurait causé. Voici qu’un groupe se proclame vainqueur, les forts sans avoir vraiment combattu et l’autre groupe disparait dans la nature.
    Chacun doit jouer son rôle et le pouvoir ne doit pas se prendre par les armes quelle qu’en soit la raison.

  • Le 24 avril 2023 à 01:44, par Jean En réponse à : Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

    Il suffit de fouiller on constate la main cachée du groupe de mercenaire russe Wagner. l’idée étant de créer le chaos, la mort, la sueur et ensuite en profiter pour faire de la PRÉDATION et du Pillage des matières premières ! Pauvres Africains !

  • Le 24 avril 2023 à 06:45, par Fretback En réponse à : Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

    Là-bas des généraux, ailleurs des colonels et lieutenants-colonels... Au fait, j’attends avec gourmandise, ici et ailleurs, les diatribes anti-françaises de rigueur, haha ! Toujours étonné que le panafricanisme décolonialiste tchatcha ne s’exprime jamais quand les Ethiopiens se massacrent, quand la population civile soudanaise manifeste des mois durant contre ses généraux golpistes, quand les milices armées par l’Ouganda et le Rwanda dépècent l’est de la RDC etc. Toujours la belle parabole de la paille et de la poutre dans l’oeil, hein !

  • Le 24 avril 2023 à 08:19, par kwiliga En réponse à : Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

    Bien vu, Monsieur Sana Guy.
    "Le Soudan est proche de nous, du Burkina Faso, pour plusieurs raisons et sa trajectoire comme on le verra ne peut nous être indifférente."
    Reste à espérer que, si "sa trajectoire... ne peut nous être indifférente", la notre, sera quelque peu différente.
    Il est intéressant de voir comment Wagner évite de prendre partie entre les deux généraux belligérants, pour se consacrer à protéger ses intérêts miniers.
    Quant au projet d’implantation d’une base militaire russe, il semble qu’après avoir connu une période de léthargie, il fasse à nouveau l’objet de toutes les attentions, malgré (ou à cause ?) les difficultés actuelles de la Russie.
    Merci d’essayer de nous informer et de nous démontrer que, dans notre monde capitaliste mondialisé, l’impérialisme est partout. C’est ce mentir que de croire que l’on peut totalement l’éviter.

  • Le 24 avril 2023 à 09:02, par Bajazet En réponse à : Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

    Excellent article, on y dresse un tableau très complet de la situation et de l’armée soudanaise.
    La mise en parallèle avec le BF a son intérêt, mais il ne faut pas la pousser trop loin. En effet, je n’ai pas un amour infini pour le mélange « armée plus politique », mais nos amis burkinabè doivent savoir que leur armée nationale est infiniment plus respectable et sérieuse que l’armée soudanaise.
    La soldatesque soudanaise est d’une avidité et d’une violence effrayantes, et considère son pays comme une propriété privée qu’il faut « traire à fond » quels que soient les dégâts. Plutôt que des « généraux », les dirigeants sont de véritables des « barons pillards » ; situation qui rappelle la Chine entre 1900 et 1937.
    Le Soudan, pays Sahélien arabophone, est beaucoup plus riche, potentiellement, que le BF et le Mali, car il a du pétrole, des côtes, le fleuve NIL, et beaucoup d’or. Il devrait, théoriquement, avoir un niveau de vie comparable à l’Algérie.
    C’est une ex-colonie anglaise, mais la population y est bien plus malheureuse que ne l’a jamais été la population burkinabè. En effet, avec leurs défauts et leurs qualités, vos dirigeants ont été infiniment plus respectueux du citoyen burkinabè de base.
    « »

  • Le 24 avril 2023 à 14:32, par AMKOULEL En réponse à : Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

    Ah africains et son élite politico-militaire, quelle déception !! On nous a blagué, en 2005, que soudanais du nord (musulmans) massacraient les soudanais du sud (chrétiens), toute l’élite politico-militaire et intellectuelle africaine, de Tunis au Cap, a gobé ce gros mensonge et a regardé le .... "faux con" américain Bush fils dépecé ce Grand pays Africain en 2.
    Croyant résoudre le problème avec ce dépeçage, les affrontements fratricides repartent de plus bel, au Soudan du sud entre les chefs de guerre, Salva Kir et Riek Machar, tous "chrétiens".
    Aujourd’hui, c’est le Soudan du nord qui voit s’affronter 2 généraux pour le partage du pouvoir, tous "musulmans".
    Ce n’est plus musulmans vs chrétiens, ni arabes vs noirs mais pro russes vs pro occidentaux qui se déchirent. Ah l’Afrique, tout est prétexte pour se combattre au profit de l’étranger, tout est prétexte pour se battre à mort pour l’extérieur, tout est prétexte pour se ruiner mutuellement et enrichir l’étranger... quelle décadence !!!! Individuellement, on est excellent, mais qu’est ce qu’on est nuuuulllll collectivement pour concevoir, construire et défendre un destin collectif.

  • Le 24 avril 2023 à 17:42, par Yako En réponse à : Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

    Analyse bien structurée sauf qu’au Burkina Faso la transition civilo-militaire a livré le pays aux jihadistes alors qu’au Soudan le problème est interne à l’armée. Certes les populations civiles en font les frais mais avec la médiation americano-Egypto-petromonarchie du golf on peut espérer à un retour rapide de la paix.En gros votre comparaison Mr Sana est grossière.En effet, contrairement au Burkina l’armée Soudanaise a su prendre ses responsabilités puisque c’était la seule institution qui tenait debout face aux désordres en 2019 ,elle démet El Béchir pour éviter au pays l’effondrement tandis qu’au Faso l’immaturité a pris le-dessus au lendemain de la démission du président BC plongeant ainsi notre pays dans une crise existentielle et qui se prolonge à nos jours ! Le putsch avorté du Gl Diendere n’était que conséquence directe de cette immaturité des élites civilo-militaire car ni Michel Kafando ni Zida n’était qualifié pour diriger une transition à mille inconnues.Bref.Notre insurrection était dirigée par des petits bras ce qui explique d’ailleurs l’exil des uns et la discrétion des autres. Le trio Kafando-zida-sy dont le quinquennat apocalyptique de Rock n’était que prolongement tant marqué par la haine et l’amateurisme ont fini par détruire notre pays. Yako

    • Le 25 avril 2023 à 05:43, par Renault HÉLIE En réponse à : Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

      @ Yako
      Messire Yako, notez que, sauf votre respect, les jihadistes sévissent aussi au Soudan.
      C’est même une base arrière pour eux (Tchad, Cameroun).

      Notez que l’Armée du Soudan est une grosse armée surarmée, mais totalement corrompue et prédatrice.

      Vu de l’étranger, on peut quand même penser que vos militaires et fonctionnaires burkinabè sont infiniment moins pourris que leurs collègues du Soudan, formés à Sandhurst et Oxford au Royaume-Uni.
      Le Soudan est un enfer sur terre pour l’africain « noir » qui n’est pas un privilégié...

  • Le 25 avril 2023 à 21:05, par Renault HÉLIE En réponse à : Soudan : Après avoir chassé les civils, deux généraux du pouvoir de transition en guerre pour la première place

    Tiens, je constate le « silence assourdissant » des prétendus anti-impérialistes à propos du Soudan .
    Que se passe-t-il, amis burkinabè ? Y aurait-il une épidémie de mutisme gêné ?
    Ne serait-ce pas l’implication de Wagner dans ce bain de sang africain qui « colle les dents » et paralyse les claviers ? Ou bien nous cacherait-on quelque infâme complot bien complotiste des complotards impérialo-capitalistes ?

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