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Fête de la Saint-Valentin : « C’est le jour des désillusions et des ruptures », explique le sociologue Désiré Boniface Somé

Publié le mardi 14 février 2023 à 22h10min

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Fête de la Saint-Valentin : « C’est le jour des désillusions et des ruptures », explique le sociologue Désiré Boniface Somé

A l’occasion de la fête de la Saint Valentin 2023, Lefaso.net s’est entretenu avec le sociologue, Désiré Boniface Somé, enseignant-chercheur à l’université Joseph Ki-Zerbo. Il a expliqué à travers la science humaine les aspects de cette fête au Burkina Faso. Il a aussi apporté son regard sur le célibat dans la société actuelle.

Lefaso.net : Selon vous, pourquoi le phénomène de la Saint-Valentin a pris autant d’ampleur au Burkina ?

Dr Désiré Boniface Somé : D’année en année, on constate que la fête de la Saint-Valentin prend de l’ampleur. Cette prise d’importance est liée à la communication. Il y a les moyens de communication et la mobilité de la jeunesse. Ces moyens de communication se sont propagés et ont permis à la jeunesse, même celles qui sont les plus reculées des villes, c’est-à-dire, celles rurales, d’y accéder. Et tout ce qui est en rapport avec la communication rime avec le commerce.

La jeunesse étant très mobile, fébrile et suivant les choses à la mode, elle suit d’autres jeunesses de par le monde. Aujourd’hui, la mode est celle occidentale qui est véhiculée surtout par les moyens de communication. La jeunesse du Burkina Faso y accède facilement. Qui dit fête de Saint-Valentin dit des coutumes et des pratiques occidentales. Aujourd’hui, la jeunesse burkinabè est animée par un certain nombre de valeurs et de pratiques occidentales, elle aussi est à la page en ce qui concerne la Saint-Valentin.

Quel est l’avantage de cette fête dans la société et plus précisément pour les couples ?

L’avantage est multiforme. C’est le renouvellement du sentiment amoureux et au plan psychologique, cela représente une satisfaction mutuelle. C’est un jour qui permet aux couples de renouveler l’aventure. Ceci peut permettre de progresser sur d’autres projets. Cela représente un sentiment d’apaisement, de prise en compte et d’importants accords réciproques. Sur le plan économique, il y a des cadeaux qui accompagnent. Il y a des gains pour les entreprises, l’économie se met en mouvement à travers la fête de Saint-Valentin. Les médias, les commerçants et les sociétés de communication sont en branle. Cela représente forcément un intérêt financier.

Quels sont les inconvénients de cette célébration du 14 février ?

Ils sont également multiformes ; ils s’expriment au niveau individuel et collectif. Pour une jeune fille ou un jeune homme qui a mordu à l’hameçon de la Saint-Valentin et ne disposant pas de moyens pour l’accomplir, cela représente une souffrance psychologique. Pour quelqu’un qui aimerait rencontrer l’âme sœur, qui n’en a pas eu l’occasion, mais qui espérait que la personne avec qui il discute va songer à lui offrir un cadeau alors que ce n’est pas le cas, cela peut être une désillusion. C’est le jour des désillusions et des ruptures. Il y a une personne qui a donné son exemple malheureux le jour de la fête de la Saint Valentin. Il s’est amené chez sa dulcinée et il a croisé quelqu’un qui avait plus de moyens que lui.

Pendant que lui était avec un cadeau d’un moindre coût, l’autre s’est présenté avec un cadeau d’une valeur 1000 fois supérieure au sien. Il a totalement déchanté parce que l’importance du cadeau du second a pris le dessus. Il a dit que depuis ce jour, il n’a plus jamais essayé une aventure de Saint Valentin. Ce jour peut être un jour de meurtrissure des cœurs, de brisure et de rupture de lien. Si on n’a pas reçu de cadeau, cela est aussi un moyen de reproche. Sur le plan économique, il y a des entreprises et des commerces qui peuvent faire une perte sèche parce que des produits ont été payés à cette occasion mais n’ont pas été vendus le jour de la fête. Il y a aussi les restaurants, les bars et les boîtes de nuit qui peuvent s’approvisionner et ce jour-là font une mévente. Les inconvénients sont : moraux, psychologiques et économiques. Si votre fille est abattue, c’est toute la famille qui peut être appelée à lui porter secours. Si ce secours est vain cela peut être une sorte de réclusion pour elle.

Cette situation n’augmente-t-elle pas la déprime des célibataires qui se rappellent qu’ils sont toujours seuls ?

Oui et c’est vice-versa. Si, l’on se rappelle que dans cette fête des amoureux, des couples renouvellent leurs sentiments d’amoureux et de reconquête amoureuse, il y a un autre pan de la société qui n’est pas concerné. Il peut citer ceux-là qui n’ont pas trouvé de conjoint. Cela peut les marginaliser, leur faire redouter la prise de conscience d’un certain regard de la société. Être célibataire dans notre société, surtout celle africaine et burkinabè, pousse à un questionnement et un regard.

Mais, il faut aussi l’admettre, aller avec une personne est une question d’aventure et de chance. Peut-être que ce n’est pas encore le jour où l’étoile a brillé pour la personne, mais quoi qu’il en soit, il y a toujours le regard de la société qui vous victimise. Cela fait qu’à telle enseigne que l’individu qui n’est pas fort psychologiquement et moralement peut effectivement avoir un ressentiment. N’est-il pas la personne qu’il faut ? Ne plait-il pas ? Est-ce qu’on appartient à la société ? Est-ce que la société ne nous déconsidère pas parce que nous n’avons pas ce lien qui ce soit exprimé le jour de la fête de saint valentin ? Cette fête représente un sentiment d’appartenance et il ne s’agit pas d’appartenir à quelqu’un, mais à sa société parce qu’on a pu s’exprimer avec une personne. Cela représente une marque de considération outre celle entre deux individus. Ceux qui ne sont pas en couple peuvent se victimiser.

Que doivent-ils faire pour ne pas se mettre de pression face aux exigences de la société qui ne normalise pas le célibat ?

La reproduction sociale est fondamentalement liée aux couples. Elle va d’abord dans la construction biologique homme/femme. On parle de la procréation, la continuité et le type de société avec ses normes, ses valeurs, ses idéologies et sa construction. Tout individu dans la société africaine est convoqué à répondre devant sa société à ce principe. Autrement dit, être en couple, procréer et éduquer selon les sentiments et l’idéologie de la société. Il est donc difficile de se mettre en marge de cette considération sociale. Ne pas le faire pose un problème.

Mais il faut aussi le dire, si dans le temps cela faisait pression, de nos jours, avec l’éducation, l’école et les contraintes, les individus hommes comme femmes, jeunes comme les personnes âgées se sentent de plus en plus déliés de cette pression. Avec la pression économique, ils font passer ces pressions sociales comme le mariage en second plan. Il faut disposer d’un revenu. Aujourd’hui avec le chômage et le coût élevé de la vie que nous constatons, il n’est pas si simple d’aller en aventure durable. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire, mais ces circonstances font qu’aujourd’hui, les jeunes ont beaucoup plus de marge de manœuvre que par rapport à la pression sociale d’antan.

Quel est l’avantage d’être un célibataire ?

Le célibat est aussi une option de vie et de liberté pour l’individu s’il est délibérément choisi. Vivre en couple, cela voudrait dire qu’il y a des engagements à respecter. A-t-on la possibilité d’assumer ces engagements ? Ces engagements s’expriment sous plusieurs facteurs. Le plus important est celui économique. Dans certaines sociétés, se marier a un coût financier. Dans une situation de difficulté matérielle, il est extrêmement difficile d’envisager de rompre le célibat le plus tôt possible. En témoigne une certaine jeunesse au chômage qui n’envisage pas le mariage comme la première de ses considérations.

J’entends souvent certaines filles dire que le premier époux c’est le travail. Quand on n’a pas encore réalisé son cursus comme on le souhaite, ce n’est pas évident de rompre avec le célibat. Le second facteur est celui psychologique. Est-ce qu’on n’est pas trop sous pression ? Est-ce qu’on dispose du soutien moral des parents pour aller en couple ? Est-ce que son parcours et ses ambitions permettent d’aller en couple ? Il y a aussi le célibat confessionnel qui pour une certaine option religieuse donnée, on décide de rester sans partenaire.

Pourquoi les femmes sont-elles le plus souvent sujettes à la pression du mariage par rapport aux hommes ?

Il faut remonter à nos considérations sociales d’antan. La femme a un rôle éminent dans la société. Elle est la reconstitution de la société. Elle est un enjeu majeur depuis la nuit des temps. Au premier temps avec Adam et Ève, il a fallu que Dieu intervienne pour construire la femme de la côte de l’homme pour faire d’elle une partenaire habituelle. Sous cet angle, des traditions ont été construites autour de cela.

Pour chaque société, les conditions de reproduction sont diverses et aussi sacrées que celle de la religion. La femme y a une image et une considération sacrée. C’est à ce titre que c’est elle qui permet à la société de bourgeonner. On voit immédiatement à travers la jeune fille, une femme qui doit donner suite à l’existence humaine de façon sociale, économique et culturelle. Toute société dispose d’une culture de conservation et de gestion de la femme très prononcée.

Chacune de ces sociétés et de ces catégories estiment que la femme doit se marier pour son rôle éminent de reproductrice de la société. Mais ces considérations sont en train de tomber petit à petit en désuétude. L’on constate une certaine liberté avec l’école. Aujourd’hui, la jeune fille qui accède à l’école qui a ses diplômes et son travail est ce qu’on peut lui imposer le mariage ? Cela n’est pas évident. Les contraintes sociales et les avantages de la société libèrent de plus en plus la femme.

Quoiqu’il en soit, nos sociétés ne sont plus en vase clos comme avant. Mais dans le temps, nos sociétés étaient beaucoup plus closes qu’aujourd’hui. Elles se sont éveillées par l’éducation et la communication. Nous vivons dans un village planétaire. Ce qui se passe en Occident, nous le vivons tous les jours à travers les médias. Qui parle de liberté de la femme en occident dit également liberté de la femme dans nos sociétés.

Le mariage ne représente-t-il pas pour de nombreuses personnes une alternative pour ne pas rester seul ?

Il y a la pression sociale. Les autres me regardent et me jugent. Ce jugement de la société et l’étiquetage peut nous pousser à toutes sortes d’aventure avec un partenaire qui n’est pas l’idéal. On le fait pour que cet étiquetage soit enlevé et que nous rentrons dans les bonnes considérations sociales. Hors, en réalisant cela, on peut se retrouver dans un enfer redoutable que celui de la société qui a un regard marginalisant. Une fois à l’intérieur, on peut souffrir le martyr. En ce moment, comment en ressortir ? Quelque part, divorcer entraîne un autre regard de la société.

On vous dira qu’un cheval sans selle a cassé le cou de nombreux cavaliers, divorcer devient un problème. A un certain âge lorsque vous êtes célibataire, surtout chez la femme, on se demande si elle n’a pas cassé le cou de plusieurs cavaliers pour être sans mari ? L’un dans l’autre, cela n’est pas facile. La recherche de la considération sociale pousse à contracter toute sorte d’engagement marital. Ce qui peut faire souffrir l’autre partenaire. Il faut équilibrer les choses, il faut prendre en compte les attentes de la société. Il faut savoir qu’aujourd’hui, notre société se libéralise tout comme l’individu. Je ne dis pas qu’un individu part dans une sorte de libertinage.

Il faut prendre en compte la liberté humaine, celle de la femme et de l’homme, surtout celle de la jeune fille par rapport à ses projets de vie. Le projet individuel doit passer d’abord par rapport à celui collectif. Les projets sous préoccupations, très souvent débouchent sur un échec. Quand ses accomplissements se déclinent en échec, l’individu est ruiné. Ce n’est pas évident qu’il ait du monde autour de lui pour le sauver. On constate des dépressions sociales et individuelles dans nos sociétés où l’assistance n’est pas la chose la plus partagée.

Ailleurs, cela se ressent par le suicide. Souvent, on constate des situations de ce genre chez la femme qui est poussée à un mariage plus ou moins forcé. Il faut craindre une dépression chez ceux qui se marient sous la pression de la société. Cela se répercute sur les enfants. Dans un ménage où la femme et l’homme sont malheureux, cela rejaillit sur les enfants à travers leurs comportements et leurs conditions sociales. Par la suite, ce n’est pas la société que vous construisez de la meilleure des manières. C’est seulement le libre arbitre des individus qui doit fusionner le désir d’aller en couple.

Samirah Bationo
Lefaso.net

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