Dramane Tou, DG du SIAO : « Le report de la 16e édition a eu un impact positif et négatif à la fois »
LEFASO.NET
La 16e édition du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO) approche à grands pas. Elle va se tenir du 27 janvier au 5 février 2023. A cet effet, Lefaso.net s’est entretenu avec le directeur général du SIAO, Dramane Tou. Très enthousiaste, il est revenu entre autres sur les grandes articulations qui vont marquer l’évènement et sur les difficultés survenues à cause du report du SIAO qui devait se tenir en octobre 2022.
Lefaso.net : Pouvez-vous nous présenter le thème de la prochaine édition ? Et pourquoi ce choix ?
Dramane Tou : Pour cette 16e édition, le thème est : « Artisanat africain, levier de développement et facteur de résilience des populations ». Ce thème a été choisi par les hautes autorités du Burkina Faso au regard du contexte national marqué par une série de défis, notamment la question sécuritaire et humanitaire. Nous avons voulu à travers ce thème, permettre aux responsables, à savoir les acteurs qui s’occupent de l’artisanat africain, de pouvoir échanger autour de cette problématique afin de faire des suggestions aux décideurs.
Nous avons aussi voulu que les artisans invités puissent nous dire dans la réalité du terrain, ce que l’artisanat pourrait apporter pour mieux contribuer au développement économique et social de nos pays. Aussi, nous avons voulu savoir comment est-ce que l’artisanat peut être utilisé comme un élément qui va permettre aux personnes qui sont en difficulté dans plusieurs pays africains et surtout en Afrique de l’Ouest de pouvoir continuer à espérer et à être plus résilientes. Lorsque vous avez appris un métier de l’artisanat, je prends par exemple la maçonnerie, et que vous êtes une personne déplacée interne, vous avez au moins la chance, s’il y a du matériel de travail, de mener une activité et de vous reconstruire une vie avec vos connaissances dans ce métier de l’artisanat.
Cette vie ne saurait être comme celle d’avant, mais on peut se retrouver dans une situation où elle n’est pas mauvaise. Le thème est donc en lien avec le contexte national. Il s’agit de permettre aux gens, au cours d’un séminaire, de réfléchir à comment on peut utiliser l’artisanat comme un élément pour plus de développement et de résilience.
A quelques jours de ce grand évènement, où en êtes-vous avec les préparatifs ?
Les préparatifs vont bon train, ils sont très avancés. Si nous faisons une estimation statistique, nous pourrions dire sans risque de nous tromper que nous sommes à plus de 95% d’exécution des activités qui étaient prévues dans ces préparatifs. Du coté des artisans, nous avons ouvert les inscriptions depuis le 15 décembre 2021 parce que l’évènement devait se tenir en octobre 2022. Mais avec les contraintes diverses que notre pays a connu, nous avons reporté le SIAO sous les orientations des autorités du pays. A cette date, nous sommes heureux d’annoncer que 550 stands ont été loués par des artisans qui disent qu’ils seront avec nous pendant les dix jours de l’évènement. Il est sûr que nous allons dépasser ce nombre d’ici la fin de cette semaine.
On a un objectif de 700 stands à écouler. Au niveau des acheteurs professionnels, nous avons sur une estimation de 50 personnes qui ont manifesté leur intention d’être présents, une quinzaine ayant réagi car ils doutent encore de notre capacité à les accueillir dans de bonnes conditions sécuritaires. Mais nous travaillons à les rassurer en expliquant que c’est vrai que nous faisons face à des défis, mais c’est aussi vrai que des actions vigoureuses sont menées pour permettre à tout ami du Burkina Faso, tout Burkinabè étant à l’extérieur, tout artisan qui veut venir, qu’il puisse le faire dans de bonnes conditions de santé et de sécurité . Il faut préciser que certains acheteurs professionnels viennent deux jours après le début de l’évènement.
Comme c’est un salon bien connu en matière de promotion de l’artisanat africain, nous pensons qu’ils vont venir étant donné que c’est le seul lieu où en dix jours, ils peuvent avoir la chance de rencontrer les artisans talentueux d’au moins 25 pays. A cette date, 22 pays ont déjà confirmé leur présence.
Nous attendons le grand public sur la période des dix jours. Qu’ils viennent pour visiter, mieux découvrir l’artisanat, trouver des biens fabriqués par nos artisans et les accompagner. Nous osons croire que nous pourrons mobiliser une grande partie du public. Autre élément de satisfaction, les partenaires ont répété qu’ils seront avec nous pour tenir la 16e édition. On avait quelques actions de réhabilitation des infrastructures pour offrir un cadre d’un certain standing aux artisans, nous l’avons fait. Nous disons aux artisans qu’à moins de cinq jours de l’évènement, s’ils veulent intégrer les stands, faire toute la décoration et disposer les effets, cela est faisable. Nous invitons les gens à venir pour que nous puissions célébrer l’artisanat africain.
Le report de cette édition d’octobre 2022 à février 2023 a-t-il impacté les préparatifs d’une manière ou d’une autre ?
Oui, il y a eu un impact positif et négatif à la fois. S’il y avait des détails à prendre en compte, nous les avons améliorés. S’il y avait des acteurs qui hésitaient, en voyant que les nouvelles autorités donnent le feu vert pour l’organisation du SIAO, ils vont avoir plus confiance et associer leur image à l’évènement. Comme impact négatif, nous avons engagé des ressources pour communiquer sur l’évènement avec des conceptions d’outils de communication pour octobre 2022. Mais lorsqu’il y a report, vous êtes obligés d’engager encore de la ressource pour essayer de mobiliser les acteurs autour. Il y a des artisans qui avaient mis leurs œuvres dans des bateaux car ils étaient hors du continent. Ils étaient même arrivés au Burkina Faso. La gestion de ces œuvres qui arrivent à quelques jours de l’événement qui est finalement reporté a des impacts négatifs. Cela a un coût, le SIAO a été obligé de fournir plus d’efforts qu’il n’en faisait d’habitude.
Les artisans avaient acheté eux-mêmes des billets d’avion. Maintenant, ils sont obligés de payer quelques charges supplémentaires. D’autres ont dû chercher de la ressource pour pouvoir produire les œuvres, les vendre à une période donnée et rembourser leurs établissements financiers. Ils se sont retrouvés dans une situation où peut-être lorsque la marge de négociation n’est pas grande, ils seront obligés de payer des frais financiers plus élevés vis-à-vis de leurs partenaires. L’essentiel de ce qu’il faut retenir est que face à une situation donnée, les hautes autorités ont analysé la situation du moment avant de dire si oui ou non, il fallait tenir l’évènement. Et je pense que c’est la meilleure option qu’elles ont prises. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. J’imagine qu’elles ont compris qu’il fallait mieux comprendre ce dossier et évaluer la situation nationale avant de l’autoriser.
Vu les conditions sécuritaires particulières que connaît le Burkina Faso, y a-t-il des dispositions spécifiques prises ou à prendre ?
Ce qui est intéressant, c’est de dire que nos Forces de défense et de sécurité (FDS) qui sont de vrais spécialistes de ces questions et qui sont dans l’organisation de l’évènement, nous disent de rassurer les acteurs qui vont venir pour le SIAO 2023. Toutes les dispositions seront prises pour les sécuriser, ainsi que leurs biens. Autre élément, il faut que les acteurs (artisans, presse, public, partenaires) qui vont venir sur le site puissent tenir compte des indications données par les FDS. Ils ne doivent pas venir avec des sacs trop chargés d’effets tranchants et qui ne sont pas autorisés parce que dans les rangs, les FDS seront obligées de prendre beaucoup plus de temps pour fouiller ou même de retirer certains effets interdits. Nous demandons à tous ceux qui vont venir d’éviter d’apporter des effets dangereux.
Certains artisans burkinabè plaident pour que le prix des stands soit revu à la baisse pour les participants nationaux, car la situation sécuritaire a contribué à réduire leurs chiffres d’affaires. Quelle est votre réponse à cette demande ?
Nous saluons nos artisans qui font l’effort de produire et qui s’intéressent au SIAO qui a été créé par l’Etat parce qu’on veut aider les acteurs du pays et ceux d’Afrique. Le SIAO est panafricain. Je peux comprendre la préoccupation, mais il se trouve que nous sommes dans le même contexte national où aussi bien les individus que plusieurs structures burkinabè ressentent l’impact de cette situation. Nous ne sommes pas dans une position où nous voulons organiser un évènementiel au rabais. Par conséquent, il faut prendre des dispositions pour que les charges puissent être comblées par des mobilisations de recettes. Les pans les plus importants qui nous aident à mobiliser les recettes sont les locations de stands, les tickets, les badges d’entrée sur le site…C’est ce qui nous permet d’avoir des ressources.
Si nous partons du postulat que compte tenu du contexte il faut abaisser le prix des stands, nous allons nous retrouver dans une situation où nous n’aurons pas de ressources pour bien communiquer, aménager les bâtiments, assurer la sécurité et mobiliser des partenaires. Le deuxième aspect, nous avons constaté que des conditions avaient été octroyées à des artisans du pays organisateur. Mais ces artisans ont revendu à d’autres artisans qui n’étaient pas Burkinabè, des stands à des montants élevés comme si le SIAO le faisait pour un dividende. Cela met à mal la structure organisatrice qui devra finalement dépenser plus d’argent pour permettre à des acteurs économiques de tirer plus de profits au lieu de l’utiliser pour leurs propres activités.
En outre, il faut savoir que nous sommes dans des organisations sous régionales et panafricaines. Vous prenez par exemple l’UEMOA qui est un partenaire qui soutient l’évènement depuis des années. Il compte des pays qui ont aussi des difficultés comme nous. Pensez-vous qu’on peut réduire les prix pour les artisans burkinabè, pendant que l’UEMOA apporte de l’argent pour nous aider alors qu’on ne le fait pas pour les autres ? Pourtant c’est une structure communautaire qui est appelée à accompagner les actions de développement des huit pays membres. L’un dans l’autre, nous comprenons leurs préoccupations, mais nous souhaitons qu’ils fassent l’effort d’accompagner l’Etat afin d’aider le secteur à émerger.
Quelle est la mobilisation financière pour l’organisation de la 16e édition ?
Le budget initial s’élève à 805 millions FCFA pour l’organisation.
Quelles sont les principales articulations du programme du SIAO 2023 ?
Je vais insister sur quatre points. La première est la cérémonie officielle d’ouverture qui est placée sous le très haut patronage de son excellence monsieur le président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré. La deuxième articulation c’est la journée du pays invité d’honneur qui est la Côte d’Ivoire. Durant cette journée, on met en exergue les potentialités artisanales du pays et sa culture. La troisième articulation importante, c’est la conférence des ministres du comité de Coordination pour le développement et la promotion de l’artisanat africain (CODEPA), avec la réunion des 28 experts des pays membres et des cinq pays observateurs.
Cette rencontre va permettre de discuter des problèmes de l’artisanat africain. La dernière est la cérémonie officielle de clôture qui va se tenir le samedi 4 février 2023 pour magnifier les lauréats des différents concours lancés en marge de ce salon. En plus de récompenser les lauréats, il y a le discours de clôture qui annonce la prochaine édition en 2024 avec le nouveau thème afin que les artisans qui repartent dans leurs pays puissent déjà réfléchir à créer de nouveaux produits en tenant compte des tendances de leurs pays et celles internationales dans le domaine de la création et du design.
Qu’attendez-vous de particulier pour cette 16e édition ?
L’attente particulière est de souhaiter que le public réponde présent chaque jour durant les dix jours à l’invitation faite par le gouvernement du Burkina Faso à tous ceux qui aiment l’image du pays, l’artisanat et de développement. Que chaque jour, le public puisse venir en grand nombre pour encourager les artisans qui y sont, pour mieux découvrir l’artisanat, pour faire des achats et tisser les liens. Sur le site, vous pouvez retrouver quelqu’un que vous n’avez pas vu depuis des lustres.
Des voix s’élèvent pour s’offusquer de la tenue du SIAO, du FESPACO et d’autres activités culturelles dans un contexte marqué par la crise sécuritaire. Votre avis ?
Je sais que ces bandits qui nous attaquent veulent désorganiser notre organisation sociale et nous dicter la manière avec laquelle nous devons vivre, en contradiction totale avec toutes les religions. Ces bandits souhaiteraient voir notre pays à genoux et que chaque jour, nous n’ayons que des larmes qui coulent. La meilleure réponse pour moi semble celle qui consiste à résister. Déjà, les FDS et les Volontaires pour la défense de la patrie le font par les armes. La population le fait en soutenant des actions de solidarité à l’endroit des Personnes déplacées Internes (PDI). Mais les structures qui travaillent à engranger des actions de développement, à améliorer l’image du Burkina Faso à travers le monde doivent aussi jouer leur partition. Pour le SIAO, imaginez les acteurs impliqués.
Il y a les hôteliers, les agents de voyage, de communication, les restaurants, les taxis, les parqueurs, ceux qui ont des maisons en location... Il y a aussi les artisans qui sont dans la société et qui doivent vivre de leur art. Cela permet à l’économie de tourner. C’est comme si on demandait aux commerçants et aux gérants de station de ne plus vendre. Vous verrez que ceux qui demandent cela vont sortir se plaindre. Autre élément, si nous avons besoin que des gens viennent dans notre pays pour faire tourner notre tourisme et faire rentrer des devises, nous devons aussi les rassurer que nous sommes capables d’organiser les activités de notre pays dans de bonnes conditions sécuritaires.
Si nous arrivons à faire cela, malgré que notre pays soit peint en rouge, on dira que nous sommes résilients. Le thème de cette édition en dit long sur la volonté de continuer à rester debout. Nous devons avoir une pensée directe à l’endroit des personnes déplacées internes, des FDS et VDP qui sacrifient leurs vies pour que nous puissions vivre. En organisant ces évènements, nous devons tenir compte du fait que la situation n’est plus comme par le passé. Voilà pourquoi parmi les innovations du SIAO, vous verrez que nous allons organiser une collecte de dons pour les PDI, les FDS et les VDP.
SB
Photos : Auguste Paré
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