Coupe du monde Qatar 2022 : « Les équipes africaines ont leurs chances à condition d’être sérieuses et réalistes », analyse Madi Zongo
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Quatre ans et demi après le sacre de l’équipe de la France en Russie, le mondial Qatar 2022 a débuté le dimanche 20 novembre 2022. En Afrique, tous les regards sont tournés sur les représentants africains, notamment le Sénégal, le Maroc, la Tunisie, le Cameroun et le Ghana. Les « Lions de la Teranga » ont effectué leur première sortie contre les Pays-Bas et ont perdu 2-0. Est-ce fini pour les camarades de Sadio Mané ? Quelles sont les chances des représentants africains ? Est-ce que les Etalons ne pouvaient pas tirer leur épingle du jeu dans ce mondial ? Madi Zongo, consultant sportif, journaliste sportif et ancien arbitre nous livre son analyse dans cet entretien. Lisez plutôt !
Lefaso.net : Comment avez-vous trouvé la première sortie des Lions de la Teranga (Sénégal) contre les Pays-Bas ?
Madi Zongo : C’était un match passionnant. Le Sénégal a fait jeu égal avec cette équipe des Pays Bas. Parce qu’en termes d’effectifs, le Sénégal a quand même des joueurs qui évoluent dans les plus grands clubs d’Europe. Donc, elle a le même niveau de jeu, compétitive et le même état d’esprit que les joueurs des Pays-Bas. On a vu dès l’entame du match que le Sénégal avait les moyens de prendre l’avantage. Malheureusement, il a manqué de réalisme et n’a pas su concrétiser ses occasions de buts. Hors, au très haut niveau, si vous laissez passer votre chance, l’adversaire ne se trompe souvent pas. Je crois que c’est ce qui est arrivé au Sénégal.
Est-ce que l’absence de Sadio Mané n’a pas plombé quelque peu ses coéquipiers ?
Forcement ! Si votre leader technique n’est pas là et que vous êtes obligés de vous réorganiser autrement, cela va de soi. Parce que Sadio Mané, c’est le type de joueur qui peut vous débloquer une situation à tout moment. Il n’aura pas besoin de plusieurs occasions comme les autres pour marquer. Il a le sens du but, le sens du placement. Sa simple présence galvanise davantage ses partenaires et peut décupler leur façon de faire parce que l’adversaire va se focaliser sur lui parce qu’il est le plus dangereux et cela ouvre des espaces pour les autres qui peuvent marquer. Donc, être orphelin d’un joueur comme Sadio Mané joue forcement sur le rendement de l’équipe.
Est-ce que le Sénégal a des chances de sortir de sa poule ?
Je dirais que oui. Rien n’est encore joué. Il a la chance d’avoir joué son match le plus difficile de sa poule. Quoi qu’on dise, le Qatar est un ton en dessous. Peut-être que l’Equateur a les moyens de les embêter. Donc, attention surtout du côté de l’Equateur parce qu’en gagnant contre le Qatar d’entrée, contre les Pays-Bas, ils peuvent aussi faire les mêmes calculs comme le Sénégal, à savoir faire une bonne prestation. Faire par exemple un match nul. Et comme il y aura une finale entre eux et le Sénégal, cela peut être encore plus compliqué. C’est en cela que le Sénégal n’a plus le droit à l’erreur. Un match nul même contre le Qatar, et c’est le début de la fin. Les chances du Sénégal sont intactes à condition de faire des prestations sans faute lors de leur prochaines sorties.
Quelles sont les chances des autres pays africains, notamment la Tunisie, le Maroc, le Cameroun et le Ghana ?
Je n’aime pas trop quand on parle des chances des équipes africaines. Mais, par moment, nous avons des comportements qui se retournent contre nous-mêmes. Les équipes africaines perdent souvent pour des notions extra sportives. Ce n’est pas toujours la qualité des joueurs qui est la raison de la débâcle des équipes africaines au mondial mais plutôt notre organisation. C’est le désordre qui crée la plupart des problèmes aux équipes africaines. Je pense surtout au Cameroun. L’équipe du Cameroun est toujours coutumière de primes impayées ou de retards de paiement. Dieu merci cette année on a en pas eu écho pour l’instant. Le Ghana, lui, part avec une équipe complètement rajeunie.
Elle est la plus jeune équipe de la compétition. Alors que pour une compétition comme la coupe du monde, l’expérience compte aussi. Même si ils ont du talent, cela va être compliqué et l’expérience va manquer à un moment donné. La Tunisie est le facteur X parce qu’on ne la connaît pas très bien sur le plan continental. Aussi, elle n’a pas été rayonnante ces dernières années. Mais elle a tout de même des joueurs comme Wahbi Khazri qui évolue dans le championnat français. Mais vous savez, la coupe du monde c’est ce côté magique qui peut transformer toutes les certitudes en désillusion. Donc, les équipes africaines ont leurs chances à condition d’être sérieuses, d’être réalistes. Le Sénégal a payé les frais de son manque de réalisme hier. Et surtout croire en ses chances.
Comment trouvez-vous déjà l’arbitrage ?
D’abord pour le premier match, je pense que les arbitres se sont quelque peu fourvoyés. Le premier but a été refusé à l’Equateur sur une position de hors-jeu qui n’existe pas. Personnellement j’ai vu et revu, fait des arrêts sur image mais je ne trouve nul par un hors-jeu. Ce qui m’a le plus déçu, c’est qu’il y a la VAR (Ndlr : assistance vidéo à l’arbitrage). Donc, qui permet de juger une action passée. Si c’était avant, on pouvait dire que l’arbitre était mal aligné. Parce que cela donne l’impression qu’on ne voulait pas trop choquer le Qatar d’entrée de jeu. Pourtant, dès lors que vous êtes sur le terrain, c’est terminé, c’est la performance maintenant qui compte. A part cela, je n’ai pas vu un autre fait d’arbitrage qui peut laisser croire que les arbitres ne sont pas à la hauteur. Tout compte fait, ce n’est que le début d’une compétition qui durera un mois.
En seulement quatre matches, on a eu plus d’une heure d’arrêt de jeu, 64 minutes exactement. Est-ce qu’il y a un souci avec les chronos ?
Non. Vous savez, le football a assez évolué. Avant, le football ne couvrait pas totalement les 90 minutes. L’arbitre est à la fois le directeur du jeu, le chronométreur, en un mot, il est tout sur le terrain. Des études ont montré qu’au début des années 90 le temps réel de jeu ne dépassait pas 55 minutes par match. Le législateur a donc réfléchi pour augmenter le temps de jeu. On a d’abord supprimé la retro-passe au gardien qui interdit au gardien de prendre le ballon quand son coéquipier lui fait la passe. Parce que, c’était une arme que les défenseurs utilisaient pour retarder le jeu. Il y a la rentrée de touche qui fait que le gardien n’est plus autorisé à prendre également quand le ballon vient du partenaire.
Ce sont des outils que le législateur a mis en place pour réduire au maximum les pertes de temps. Il y avait des arrêts de jeu mais il a été officialisé à la coupe du monde de 1994. Vous savez qu’avec l’arrivée de la covid-19, les remplacements sont passés de trois joueurs à cinq même si cela se fait en trois temps. Or dans le calcul, un remplacement fait environ 30 secondes et l’évacuation d’un joueur du terrain, une minute. Si vous vous prenez cinq remplacements, cela donne 2mn30. Si le camp adverse fait la même chose, cela fait aussi 2mn30.
Au total, on a déjà 5 minutes de perdues. C’est ce qui explique que les temps additionnels soient plus longs. Il y a eu par exemple huit minutes d’arrêts de jeu lors du match Sénégal-Pays-Bas. Si c’était avant, cela serait un scandale et on allait demander à l’arbitre de faire un rapport. Je me rappelle que lors de la CAN 98 au Burkina Faso, il y a l’arbitre ougandais Charles Massembé qui avait accordé huit minutes d’arrêts de jeu lors d’un match à Bobo Dioulasso. La CAF lui a fait faire un rapport. Aujourd’hui, on va jusqu’à neuf, dix minutes sans que cela ne pose problème. C’est une façon de favoriser plus le jeu que la présence des joueurs sur le terrain.
Est-ce que les Etalons du Burkina Faso pouvaient tirer leur épingle du jeu à ce mondial au regard de la physionomie des matches ?
Rires…Dès lors que tu n’es pas qualifié, c’est que tu n’as pas ta place. Même si les éliminatoires se jouent à un moment T et qu’à ce moment-là tu n’as pas pu te qualifier, c’est que tu n’avais pas le niveau. C’est vrai que les gens peuvent surfer aujourd’hui sur les derniers résultats des Etalons pour dire qu’ils pouvaient y être. Pourtant si on n’y est pas, c’est que nous n’avions pas notre place là-bas. Je pense qu’il faut travailler pour l’avenir, on a un bon groupe. Si on se donne pour objectif d’être à la coupe du monde 2026, il faut une bonne organisation, bien gérer notre potentiel et nous donner des moyens financiers.
Propos recueillis par Obissa Juste MIEN
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