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Catherine Colonna : Une « chiraquienne » pour gérer le Quai d’Orsay

Publié le mardi 24 mai 2022 à 11h14min

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Catherine Colonna : Une « chiraquienne »  pour gérer le Quai d’Orsay

La nomination d’une femme à Matignon, pour la première fois depuis 1991-1992, a éclipsé le fait que c’est aussi une femme qui a été nommée, le 20 mai 2022, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Catherine Colonna est ainsi la deuxième femme à gérer le Quai d’Orsay après Michelle Alliot-Marie, en 2010-2011 (présidence de Nicolas Sarkozy ; gouvernement de François Fillon). C’est le couronnement d’une longue carrière essentiellement diplomatique marquée notamment par une grande proximité avec Jacques Chirac. Elle prend la suite de Yves Le Drian qui, après avoir été pendant cinq ans, le ministre de la Défense de François Hollande (2012-2017) a été le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de Emmanuel Macron (2017-2022).

Une « sociale-démocrate » dans les petits papiers de la droite

Née le 16 avril 1956, à Saint-Symphorien*, dans le département de l’Indre-et-Loire, où son père, Joseph Colonna, corse et juriste de formation (sa mère, Josette Godin, étant d’origine catalane), était devenu « agriculteur » (elle en a gardé, dit-elle, une passion pour le « jardinage »), Catherine Colonna fera ses études au lycée Alfred-de-Vigny, à Loches, avant de rejoindre l’université François Rabelais à Tours. Titulaire d’une maîtrise en droit public et d’un DEA en administration publique, elle sera reçue à Sciences-Po Paris en 1978 puis à l’Ena (promotion « Solidarité ») qu’elle rejoindra en 1981.

A sa sortie de l’Ecole, après des stages à Ottawa et à Tours (à La Nouvelle République), elle choisira le Quai d’Orsay par « besoin d’ouverture sur le monde ». Le 1er juin 1983, Catherine Colonna sera nommée et titularisée secrétaire des Affaires étrangères. Elle rejoindra Washington où son patron sera tout d’abord l’ancien président du groupe Renault, Bernard Vernier-Palliez, puis Emmanuel Jacquin de Margerie, ambassadeur de France, membre d’une prestigieuse famille de diplomates. Elle y débutera comme deuxième secrétaire. Ayant rédigé un mémoire sur le droit de la presse, elle sera affectée au service de presse et d’information comme adjoint au chef du service. Elle y fera la connaissance de Dominique de Villepin, premier secrétaire, futur patron de la diplomatie française et Premier ministre (2005-2007).

En 1986, c’est le retour à Paris à l’administration centrale. Colonna est chargée du droit communautaire à la direction des affaires juridiques. Puis elle va rejoindre le cabinet de Maurice Faure, ministre d’Etat, ministre de l’Equipement et du Logement, en tant que conseiller technique. Faure a été un historique du mouvement radical. Il a été ministre sous la IVè République. Il l’est, également, peu de temps (1988-1989), sous la présidence de François Mitterrand, dans le gouvernement de Michel Rocard.

A l’issue de cette brève expérience « politique », Colonna va revenir au Quai d’Orsay au sein du Centre d’analyse et de prévision où elle sera chargée de mission « Europe ». L’année suivante, en 1990, elle sera nommée déléguée dans les fonctions de sous-directeur de la presse au sein de la direction de la presse, de l’information et de la communication ; en 1993, elle sera directeur adjoint et, par la suite, porte-parole adjoint.

Alain Juppé, qui a été son ministre des Affaires étrangères lors de la deuxième cohabitation (1993-1995), est alors nommé à Matignon à la suite de l’élection de Jacques Chirac à la présidentielle de 1995. Juppé et Villepin vont recommander la « sociale-démocrate » (c’est elle qui se caractérise ainsi) Colonna au président de la République. Qu’elle ne connaît pas. Mais elle est « d’accord avec sa volonté de changement ». Elle n’a pas encore quarante ans. Elle va être la porte-parole de la présidence de la République tout au long du septennat, poste auquel elle a été nommée le 20 mai 1995. Elle s’installera dans le petit bureau du rez-de-chaussée à l’Elysée. Chirac va lui demander, en 2002, de reprendre du service à l’occasion du quinquennat.

Au total, elle passera neuf années au cœur du pouvoir chiraquien, en grande proximité avec le chef de l’Etat. A cette occasion, elle participera, dans l’ombre, à tous les entretiens de Chirac avec ses homologues, à l’exception des chefs d’Etat africains francophones que le chef de l’Etat français avait pris l’habitude de recevoir en tête-à-tête. Elle affirmera avoir jeté ses notes et dira se refuser à écrire ses mémoires, acceptant cependant de préciser qu’elle avait gardé un souvenir ému de Nelson Mandela et de Jean-Paul II.

Elle n’ira pas au bout du quinquennat. Le 8 septembre 2004, elle sera nommée, en conseil des ministres, directrice du Centre national de la cinématographie (CNC), fonction qu’elle assumera effectivement à compter du 22 septembre 2004, Jérôme Bonnafont prenant sa suite à l’Elysée. On la disait alors « cinéphile avertie, prisant très haut le néoréalisme italien et les chefs-d’œuvre du grand Kurosawa ».

Ministre délégué aux Affaires européennes sous Jacques Chirac

Au printemps 2005, Dominique de Villepin sera nommé à Matignon. Catherine Colonna entrera au gouvernement au portefeuille de ministre délégué aux Affaires européennes. Elle prenait ainsi la suite de la spationaute Claudie Haigneré qui n’était ni une « politique » ni une « experte ». Son ministre était Philippe Douste-Blazy, qui ne s’illustrera pas dans la fonction. Le « non » venait de l’emporter, en France, à l’occasion du référendum sur le projet de constitution européenne. Le quotidien Libération écrira que Colonna est le « VRP de l’Union de l’après-non ». Ce ne sera pas faux.

Colonna entrera dans le vif du sujet. Il faut, dira-t-elle, construire l’Europe en prenant en compte la frustration que les citoyens français éprouvent face aux orientations de Bruxelles. Elle l’affirmera à Luxembourg, au lendemain de sa nomination, alors que la directive Bolkestein sur la libéralisation des services était à l’ordre du jour (elle consacrait « l’Europe libérale » tandis que les opposants agitaient la figure du « plombier polonais ») : « Il faut bâtir un marché intérieur des services préservant le modèle social européen […] Personne ne doit sous-estimer l’importance de ce débat qui a joué un rôle très négatif lors de la campagne référendaire. Il ne fait que commencer et est essentiel pour préserver le modèle européen ». Elle ajoutait alors : « Il faut revoir la relation entre les citoyens et la construction européenne. C’est une œuvre de longue haleine ». Sauf que les Français ayant dit « non » au référendum, c’est le parlement qui, en février 2008, adoptera le Traité européen de Lisbonne, nouvelle mouture du projet de constitution. Mais Colonna n’était plus aux affaires.

Il lui faudra, aussi, gérer les suites des drames de Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles au sein du territoire marocain, quand en 2005 des centaines de migrants vont, à plusieurs reprises, tenter de franchir la barrière de barbelés. Avec ses collègues italien (Giorgio La Malfa) et espagnol (Alberto Navarro), elle militera en faveur de « l’échange et [du] dialogue permanent entre l’Europe et l’Afrique ».

La tentation du politique.
Rien d’autre qu’une tentation !

En 2006, Catherine Colonna envisagera d’être candidate au titre de l’UMP aux législatives 2007 dans le XIIè arrondissement de Paris. Jean De Gaulle, petit-fils de Charles De Gaulle et fils de l’amiral Philippe De Gaulle, venait d’être nommé conseiller maître à la Cour des comptes et laissait le siège vacant. Colonna obtiendra l’onction de Françoise de Panafieu, candidate UMP à la Mairie de Paris, mais Nicolas Sarkozy, tout nouveau président de la République, et François Fillon, son premier ministre, préféreront l’avocat Arno Karsfeld, proche de Sarkozy (Karsfeld était également connu pour sa « romance avec le mannequin Carla Bruni »), à Colonna. Karsfeld se fera ratatiner par la candidate socialiste.

Quant à Colonna elle se retrouvera sur la touche. Elle n’intégrera pas le gouvernement Fillon et n’obtiendra pas l’ambassade de France à Rome qu’on lui faisait miroiter. Le mercredi 26 mars 2008, elle sera nommée ambassadrice, déléguée permanente de la France auprès de l’Unesco. Pas le plus motivant des postes diplomatiques.

Le 14 décembre 2010, elle quittera la place de Fontenoy, au lendemain des soixante-cinq ans de l’Unesco, pour le boulevard Haussmann où, dix ans auparavant, le groupe Brunswick avait ouvert son bureau parisien. Au sein de ce groupe, alors leader mondial en matière de conseil en communication – autrement dit de lobbying – Colonna sera nommée « managing partner chargée de la coordination de l’offre des antennes européennes du groupe en matière d’affaires publiques ».

Vice-présidente du Conseil franco-britannique, administratrice de la Fondation Chirac, administratrice du Conseil culturel de la Monnaie de Paris, Colonna sera nommée, en avril 2014, membre indépendant du conseil de surveillance du groupe BPCE, deuxième groupe bancaire en France (Banques populaires + Caisses d’épargne). Elle occupera cette fonction, cumulativement avec son job chez Brunswick, jusqu’en juillet 2014.

Retour à la diplomatie en Europe

Le 20 août 2014, Catherine Colonna renouera avec le Quai d’Orsay alors que François Hollande est à l’Elysée. Elle sera nommée ambassadrice de France à Rome (avec attributions pour la République de Saint-Marin). L’occasion, pour elle, de réaffirmer ses préoccupations européennes, l’Italie ayant été en 1957 membre fondateur de la CEE devenue l’UE en 1993. « Nous ne devons pas permettre que nos pays et l’Europe soient effacés par l’histoire. L’Union n’est plus comprise par les peuples, surtout parce que les réponses données à la crise économique n’ont pas été suffisantes. La solution ? Plus de coopération et plus de réformes ». En 2017, Emmanuel Macron ayant pris la suite de Hollande, elle quittera Rome pour revenir à Paris : elle sera nommée (décret du 4 octobre 2017) représentante permanente de la France auprès de l’OCDE. Elle restera en poste jusqu’en 2019.

Une fois encore, c’est à une capitale européenne qu’elle sera affectée. Le mercredi 19 juin 2019, Colonna est nommée ambassadrice de France auprès du Royaume uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Elle prend alors la suite de Jean-Pierre Jouyet, qui a été secrétaire général de l’Elysée de 2014 à 2017 ; Jouyet succédera à Colonna à l’OCDE. C’est en septembre 2019, qu’elle rejoindra Londres dans un contexte particulièrement difficile du fait du Brexit puis de la pandémie de Covid 19. L’accord de retrait de Londres de l’UE sera signé en octobre 2019 ; l’accord de commerce et de partenariat entre l’UE et le Royaume uni interviendra en décembre 2020. Mais, notamment en ce qui concernait le protocole nord-irlandais, les licences de pêches et la question migratoire, les tensions seront fortes entre Londres et Bruxelles et, du même coup, Paris.

Pour Colonna, pas de doute – même si elle reconnaît être « devenue sévère » – « le choix du gouvernement Johnson de mener une politique antagoniste aux Européens fonctionne sous l’angle de la politique intérieure du pays ». Et, pour sortir du cadre strictement européen, elle ajoutait : « Aujourd’hui, et nous le regrettons, les relations franco-britanniques sont profondément affectées, moins par le Brexit que par la façon dont le gouvernement britannique met en œuvre ce dernier […] L’atmosphère politique n’est pas bonne : aucune impulsion n’est l’œuvre du côté britannique, alors même que nos deux pays partagent, sur la plupart des dossiers internationaux, les mêmes intérêts, les mêmes valeurs, la même capacité d’engagement ; en somme, une même vision. C’est regrettable ».

Il y a un questionnement permanent dans le long parcours européen de Colonna. « Comment redonner le goût de l’Europe ? ». Elle posait la question en 2006, au lendemain du « non » français au référendum. Elle la posera encore à la fin de l’année 2021, alors qu’elle était ambassadrice à Londres, auditionnée à Paris par le Groupe de suivi sur la nouvelle relation euro-britannique : « La question est de savoir pourquoi le grand public [anglais] ne s’intéresse pas à cette question ».

L’Europe ne sera pas pour elle une affaire étrangère

Le 25 novembre 2020, ministre plénipotentiaire hors classe, Catherine Colonna a été élevée à la dignité d’ambassadrice de France par Emmanuel Macron sur proposition de Jean-Yves Le Drian. Elle n’est que la troisième femme à être ainsi distinguée.

Le vendredi 20 mai 2022, elle est nommée – alors qu’elle est en poste à Londres – ministre de l’Europe et des Affaires étrangères avec sous son autorité deux ministres délégués (Commerce extérieur et Attractivité ; Europe) et une secrétaire d’Etat (Développement, Francophonie, Partenariats internationaux). Elle est le numéro 4 du gouvernement après Elisabeth Borne, Première ministre, et deux poids lourds : Bruno Le Maire et Gérald Darmanin. Pas pour faire de la figuration… !

La politique étrangère de la France est considérée, sans que cela ait un quelconque fondement constitutionnel, comme un des domaines réservés du président de la République. Macron n’étant pas, déjà, enclin à déléguer, l’autonomie de Colonna sera nécessairement restreinte. Bien plus restreinte que lorsque Le Drian était aux affaires. En 2017, Le Drian avait déjà une expérience gouvernementale en matière d’affaires régaliennes alors que Macron débutait dans le job. Le Drian avait été, par ailleurs, le principal instigateur de l’intervention militaire française au Mali en 2012. Depuis, la situation diplomatique de la France dans les pays de la bande sahélo-saharienne (BSS) s’est fortement dégradée. Et l’invasion de l’Ukraine par la Russie a replacé les dossiers UE, Otan et Brexit sur le haut de la pile faisant oublier, quelque peu, les questions liées à la relation de la France avec les pays africains et à la géopolitique en mer de Chine. On peut donc penser que, hyper-technicienne de la question européenne, Colonna va relancer la relation Est-Ouest au détriment de la relation Nord-Sud.

* Saint-Symphorien n’est plus, depuis les années 1960, que le quartier Nord de la ville de Tours. Charles Maurras, figure majeure de l’Action française, y est mort en 1952 tandis que Alain de Benoist, figure majeure de la « Nouvelle droite » (souvent présenté comme un penseur d’extrême-droite, voire un néofasciste) y est né en 1943.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
23 mai 2022

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