Les séries scientifiques au Burkina Faso : Accompagnons et encourageons Poko, Debbo et Awa au même titre que Raogo, Gorko, et Adama !
Grâce aux nombreux efforts réalisés dans le domaine de l’éducation, l’école au Burkina Faso est en plein essor avec unemassification progressive des séries de BAC et des filières de formations. Et les parents Burkinabè, quelles que soient leurs catégories socio-professionnelles, luttent et s’endettent pour que leurs enfants, filles et garçons accèdent à l’enseignement supérieur, sanctuaire de l’élite intellectuelle.
Toutefois, dans un contexte de ressources limitées, nombre d’entre eux préfèrent investir plus et prioritairement dans l’éducation des garçons que des filles, car la filiation étant patrilinéaire, ce sont les garçons qui perpétuent la lignée familiale. Ainsi, l’État, conscient que les filles sont frappées de nombreuses inégalités et contraintes socio-culturelles, a mis en place, et ce, depuis 2013, des mesures telles la réservation d’un contingent de trois cent (300)bourses qui leur sont dédiées et qui étaient attribuées pour des études de cycle licence.
Dans la même dynamique et sous le leadership et l’impulsion du Pr Alkassoum Maiga, le contingent spécial « filles » a été élargi, en plus du cycle licence, aux cycles master et doctorat. L’âge limite pour postuler aux bourses de doctorat a également été revu à la hausse pour tenir compte des retards académiques dans certaines Unités de Formation et de Recherche(UFR). Pour les garçons, l’âge limite est passé devingt-huit(28) àtrente-deux(32) ans pour la bourse de doctorat et chez les filles, il est passé de vingt-huit(28) à trente-quatre(34) ans pour labourse de doctorat, cela pour tenir compte de la problématique de la maternité.
Les différentes mesures ont amélioré l’accès des filles à l’enseignement supérieur, mais elles constituent toujours moins de 40 % des effectifs des institutions d’enseignement supérieur. Pour exemple, on avait, selon les statistiques de la Direction Générale des Études et des Statistiques Sectorielles(DGESS) duministèreen charge de l’enseignement supérieur et de la recherche, en 2017/2018, 42 482 filles sur 117 725 étudiantes (36 %), en 2018/2019, 46 735 filles sur 132 569 étudiantes(35 %) et en 2019/2020, 52 779 filles sur 151 305 étudiant-e-s (34,88 %).
Il faut aussi noter que même dans l’accès à l’éducation et spécifiquement à l’enseignement supérieur, la formation des filles est frappée de freins implicites enracinés dans la culture. En effet, l’idéologie qui colporte l’infériorité « naturelle » du sexe féminin à l’égard de la raison est très puissante. Des chercheurs, notamment Aristote et Tönnies, ont même travaillé à démontrer que la raison serait du côté des hommes et l’émotion du côté des femmes. Une telle vision des choses est très perceptible dans le subconscient des Burkinabè, où l’on considère que les filles ne peuvent pas étudier les mathématiques, ne sont pas faites pour les maths. On les enjoint d’aller vers des filières en phase avec le rôle social que la société leur a assigné, soit le rôle lié à la reproduction, aux soins des personnes... On les voit ainsi mieux enseignantes, médecins, pharmaciennes, hôtelières qu’ingénieures, pilotes, inventrices, savantes, etc.
Les filles elles-mêmes ont intériorisé ces représentations sociales et cultivent un manque de confiance en soi relativement aux domaines des sciences exactes ; elles choisissent de se former dans les sciences humaines, sociales et de gestion. Or, nombre d’exemples montrent que pour peu qu’on les encourage et les accompagne, les filles sont d’excellentes scientifiques : Christvi Elija Sawadogo, Aicha Farida Ouédraogo et Paule Marie Pierrette Gampiné, toutes les trois titulaires du BAC D ont été sacrées meilleures bachelières du Burkina Faso respectivement en 2018, 2019, et en 2020 ; l’étudiante Assétou Kuela de l’université Joseph Ki-Zerbo a été élue meilleure hacker (capacité à pirater un système informatique) de l’année 2021.
Alors, il est temps que les représentations et les pratiques moins valorisantes à l’égard des filles changent. Il faudrait que nous arrêtions de présumer que nos filles souffriront, voire échoueront dans les séries E, C, D, F,..., les Classes Préparatoires aux Grandes Écoles(CPGE) et que nous les envoyions massivement dans les lycées et séries scientifiques. En effet, Poko, Debbo Awa peuvent aussi être scientifiques que Raogo, Gorko, et Adama, si on leur offre l’espace, si nous les accompagnons non seulement avec des ressources financières, mais surtout, avec des encouragements et des félicitations.
Déconstruisons l’équation science = masculin et reconstruisons-là en science = masculin et féminin. Faisons confiance à nos filles et accompagnons-les dans des domaines traditionnellement dits masculins pour qu’elles apportent plus de lumière dans nos vies et dans notre pays !
Dre Lydia Rouamba
Chercheure, INSS/CNRST
DG/CIOSPB
Les Echos du CIOSPB, N° 003, Novembre 2021