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Vivre ensemble au Burkina : « Il nous faut reconstruire l’école burkinabè pour les Burkinabè », recommande Souleymane Yago

Publié le mercredi 20 octobre 2021 à 23h00min

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Vivre ensemble au Burkina : « Il nous faut reconstruire l’école burkinabè pour les Burkinabè », recommande Souleymane Yago

Le Burkina Faso vit actuellement une crise du vivre ensemble liée à un déséquilibre social et sociétal. Dans un contexte où les canaux traditionnels d’éducation aux valeurs se sont effrités au profit de l’éducation scolaire, comment assurer une prise en compte dans l’éducation scolaire primaire, de l’apprentissage du vivre ensemble et de la tolérance des différences ? Souleymane Yago, diplômé de Psychologie de l’éducation de l’Université Pr Joseph Ki Zerbo et docteur en Sciences de l’éducation de l’université de Rouen (France) écrit : « Réflexion sur le vivre ensemble au Burkina Faso : esquisse pour une éducation à la tolérance à l’école primaire ».

Lefaso.net : Quel état des lieux pouvez-vous faire du vivre-ensemble au Burkina Faso, dans le contexte actuel ?

Souleymane Yago : Aujourd’hui, notre vivre ensemble est en crise. Il y a plusieurs raisons qui expliquent cela. Vous avez des revendications multiformes, des conflits entre autochtones et allochtones, la défiance de l’autorité de l’Etat, le déplacement des populations, et récemment, vous avez l’extrémisme violent. Toutes ces expressions expliquent que nous sommes dans une situation de crise de vivre ensemble.

Qu’est-ce qui a créé le déclic pour écrire ce livre ?

C’est un ouvrage qui émane de ma thèse de doctorat. Quand on veut entreprendre la recherche à de tel niveau, il faut aussi voir la contribution du produit de la recherche. C’est dans ce sens que j’ai pensé qu’il fallait regarder dans la direction du vivre ensemble au Burkina afin de faire l’état des lieux et interroger le système éducatif.

Quel est le message clé que vous voulez passer à travers cet ouvrage ?

Le message clé est d’accepter de faire un regard rétrospectif, de revisiter notre parcours historique avant la colonisation et après la colonisation pour prendre conscience que nous vivons manifestement une crise du vivre ensemble et qui est en lien avec le modèle de société que nous avons construit. Ensuite, c’est inviter à vaincre l’afro-pessimisme, c’est-à-dire nous sommes en crise mais ce n’est pas une fatalité ; nous pouvons sortir de cette situation en mettant l’accent sur l’éducation mais aussi en interpellant chaque acteur à jouer son rôle.

Vous avez choisi une cible et pas la moindre, les enfants. Pourquoi visez-vous l’école primaire ?

Il faut reconnaître qu’aujourd’hui, l’école est le principal canal d’éducation qui nous reste, même si l’école a été un instrument au service de la colonisation. Nos canaux traditionnels d’éducation ont pratiquement disparu. Il nous faut reconstruire une école en y intégrant nos valeurs traditionnelles. Il faut aussi agir sur la jeune génération. Pour le problème d’aujourd’hui, il faut qu’on construise un autre Burkina avec le vivre ensemble.

Selon vous, qu’est-ce qui cause l’intolérance de la différence de nos jours ?

Il faut remonter un peu plus loin parce que nous n’avons pas su préserver le vivre ensemble historique que nous avons avant. Si nous sommes une soixantaine de groupes ethniques, c‘est parce que nous avons su construire un vivre ensemble dans nos différences. Malheureusement après la colonisation, nous n’avons pas pu tenir compte de nos réalités traditionnelles. Nous avons construit un modèle qui s’est souvent opposé à nos valeurs traditionnelles si bien qu’aujourd’hui, nous sommes dans une situation qui crée un peu le désordre. Le modèle de société que nous avons construit n’est pas efficace.

Doit-on revenir aux canaux traditionnels d’éducation de nos valeurs ?

Il ne s’agit pas pour nous de revenir mais c’est de voir comment nous pouvons puiser dans nos valeurs positives pour essayer de les reprendre dans le système éducatif aujourd’hui. C’est véritablement le seul canal d’éducation qui nous reste.

Pour citer un exemple. Aujourd’hui, l’éducation au clair de la lune n’existe plus ; la société se nucléarise, donc le principal canal qui nous reste, c’est l’école. Il nous faut reconstruire l’école pour que ce soit une école burkinabè pour les Burkinabè.

« L’héritage colonial », pour vous citer, n’est pas adapté à nos valeurs. C’est ce qui remet en cause le vivre ensemble au Burkina ?

Pour notre vivre ensemble aujourd’hui, il faut faire une analyse profonde. L’héritage colonial dont je parle ici, c’est l’école parce qu’elle a été au service du colonisateur. D’ailleurs, lorsque vous lisez la circulaire de 1897, l’école avait pour mission d’inculquer les valeurs de la civilisation aux africains. Si vous remontez à l’arrêté du 22 mars 1922, il est clair que la mission de l’école était d’agir sur la jeune génération pour lui inculquer les valeurs occidentales. Si après l’indépendance nous avons hérité de l’école, il faut remodeler cet héritage colonial afin qu’il réponde à nos aspirations.

Je ne parle pas seulement de l’école mais aussi des institutions. Il y a par exemple des institutions judiciaires, tout ce qui est comme institution administrative aujourd’hui, vous voyez que nos systèmes de valeur ne sont pas toujours pris en compte. Nous traînons les tares de l’école coloniale.

J’ai été très critique dans cette réflexion. L’objectif est aussi de susciter des réflexions et de l’action parce que nous avons beaucoup parlé du vivre ensemble, nous avons beaucoup de discours mais peu d’action concrète.

Interview réalisée par Cryspin Laoundiki
Vidéo : Ange Auguste Paré
Images : Bonaventure Paré

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