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Sommet CEDEAO sur le Mali : Peine minimale pour le colonel Assimi Goïta

Publié le mercredi 2 juin 2021 à 08h30min

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Sommet CEDEAO sur le Mali : Peine minimale pour le colonel Assimi Goïta

Le sommet des chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) réuni à Accra le 31 mai 2021 a discuté de la situation du Mali et pris des décisions concernant ce pays du Sahel qui connaît des crises itératives suivies de transitions depuis 2012. La junte militaire au pouvoir à Bamako peut considérer cette réunion comme une victoire diplomatique.

Elle a été reconnue dans son coup d’État, le pays n’est pas sanctionné économiquement et on lui a demandé de faire ce qu’elle voulait déjà faire, nommer un Premier ministre civil et respecter le délai de fin de la transition.

La réunion de l’organisation ouest africaine n’a pas mobilisé les chefs d’État comme celle d’il y a neuf mois où le coup d’État visait un membre déjà adoubé du clan, le syndicat des présidents, ayant eu deux mandats électoraux. IBK était connu, c’était un frère et un ami des Alassane Dramane Ouattara, Alpha Condé et autres. Tel n’est pas le cas du colonel-major à la retraite, Bah N’Daw, qui était-le pauvre- à sa première sortie officielle lors du sommet de Paris sur la relance des économies africaines suite à la Covid-19 qui fût son dernier voyage présidentiel. Bah N’Daw, bien que reversé dans la vie civile, est considéré comme un pis-aller nécessaire mais pas comme l’un des leurs par les présidents de la CEDEAO, parce qu’il n’est pas élu. Alors, son sort a été vite réglé comme celui de l’ancien militaire qu’il est, sans aucune légitimité si ce n’est celle des colonels putschistes qui l’ont choisi.

La preuve que personne ne voulait le défendre, les deux voisins du sud du Mali, les présidents Macky Sall et Alpha Condé n’ont pas fait le déplacement, chacun préférant « fouetter d’autres chats » au plan national. Le président béninois, Patrice Talon, a, comme à l’accoutumé, boudé la réunion. Autre absent, le président cap-verdien.

La CEDEAO, qui avait imposé à la junte une transition civile qui interdit au chef de la junte de succéder au président de la transition en cas d’empêchement, a ravalé ses prétentions et accepté le fait accompli. Elle ne demande plus aux putschistes que la nomination d’un Premier ministre civil, ce qu’ils étaient déjà en train de faire avec le nom de Choguel Maiga du M5 RFP (Mouvement du 5 juin Rassemblement des forces patriotiques) comme futur Premier ministre sur toutes les lèvres à Bamako. La seule inconnue est le respect de la date du passage du pouvoir aux civils par des élections. La junte dit oui pour le moment, mais elle pourra revendiquer pour le non-respect plus tard, les neuf mois de perdus à cause de la transition civile qui n’a rien fait. Du reste, cette excuse justifiera bien de choses et le colonel Bah N’Daw et l’ancien Premier ministre de la transition Moctar Ouane démissionnaires ou démissionnés porteront le chapeau de bien de manquements.

La junte malienne bénéficie aujourd’hui de la jurisprudence tchadienne. Macron fait le matador mais a adoubé le fils de Deby Itno, le général Mahamat Deby Itno et son Conseil militaire de transition. De même que l’Union africaine et bon nombre de présidents de la CEDEAO sont allés aux obsèques utilisées comme investiture internationale par les putschistes tchadiens. Avec ce qui s’est passé au Tchad, la règle de la condamnation des coups d’État venait d’être enterrée par la France et l’Union africaine.

C’est normal que les putschistes maliens revendiquent un autre regard sur la transition et que le colonel Goïta récupère toutes les prérogatives du pouvoir. C’est du reste ce qu’il a obtenu à Accra. Les voisins sahéliens du Mali savent que ce pays souffre d’une crise multidimensionnelle qui touche tous les secteurs sociaux et vu l’apathie de la population, qui ne s’est levée pour personne dans cette crise interne à la transition, il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu. Puisque le monde s’est accommodé du pouvoir kaki, Goïta aura son tour. La CEDEAO n’a pas imposé de sanctions économiques qui touchent la population et non les dirigeants.

Le colonel a tout le pouvoir, face aux forces d’inertie de la société malienne
Que pourra-t-il faire de toutes ses prérogatives avec une classe politique malienne en crise incapable de savoir ce qui est important quand elle est au pouvoir comme IBK, qui n’a rien fait face à la crise sécuritaire ? La corruption qui n’est pas seulement un mal malien a pris racine dans la société. La junte pourra-t-elle y changer quelque chose ? La crise sécuritaire qui devrait être le souci des militaires et non le pouvoir et la distribution des postes demeure entière et l’on ne voit pas comment la junte s’y prendra pour la résoudre. Les accords d’Alger ne sont pas respectés et IBK a été incapable de sévir contre les contrevenants des deux côtés.

Cette crise touche aussi les autorités morales et religieuses du pays qui ne sont pas indépendantes et prennent parti. La transition pourra- t-elle toucher ce ressort de la vie politique du pays, où les religieux sont des faiseurs de présidents ?

Ce beau pays qu’est le Mali, le Maliba a cultivé entretenu ce que des présidents comme ATT ont pris comme programme, le consensus, pas de clivage, pas d’opposition, l’entente nationale. Cette conception empêche de lutter contre la corruption et les différents maux et prône l’impunité. Ce n’est pas possible, un pays ne saurait être un beau jardin de fleurs où tout le monde est beau, tout le monde est juste, tout le monde est parfait. Les Maliens comme les Burkinabè ne sont pas des anges. Il y a des méchants, des bandits, des gens qui pactisent et traitent avec les groupes terroristes. Il faut un État qui sépare le bon grain de l’ivraie, qui juge et sanctionne les fautifs. La nouvelle transition militaire n’y pourra rien, les politiciens crieront à la chasse aux sorcières et lui demanderont de s’occuper de la préparation des élections, point.

Cette reconnaissance du putsch de Bamako, est un aveu de l’échec démocratique avec les présidents élus pour un troisième mandat suite à des révisions constitutionnelles (Alpha Condé et Alassane Dramane Ouattara), des présidents qui ont fortement envie de tenter le troisième mandat comme Macky Sall, des présidents qui ont promis de faire un seul mandat et qui ont écarté les vrais opposants pour se faire élire comme Patrice Talon. Bref les présidents de la CEDEAO ont reconnu qu’eux-mêmes ils ne sont pas des anges de la démocratie et que Assimi Goïta, même s’ils ne l’acceptent pas à leur table, a été accepté, salué et remercié par bon nombre de Maliens, donc il faut laisser les Maliens régler son sort. Ils aviseront en 2022 s’il ne tient pas des élections.

Sana Guy
Lefaso.net

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