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Sorcellerie en Afrique : « Les personnes accusées d’avoir mangé des âmes de personnes sont absolument innocentes », confie Bali Nébié

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Publié le lundi 22 février 2021 à 23h10min

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Sorcellerie en Afrique : « Les personnes accusées d’avoir mangé des âmes de personnes sont absolument innocentes », confie Bali Nébié

La sorcellerie existe-t-elle réellement ? Bali Nébié, professeur certifié de SVT (Sciences de le Vie et de la Terre), répond par la négative. Pendant plusieurs années, il produit de la littérature pour démystifier la sorcellerie , qu’il qualifie d’imaginaire. Dans cet entretien, Bali Nébié revient sur les différents aspects de la sorcellerie. Lisez plutôt !

Lefaso.net : Qu’est-ce que la sorcellerie selon vous ?

Bali Nébié : C’est une question récurrente et fondamentale dans un débat sur la sorcellerie. Souvent, quand les gens m’abordent, la première question qui leur vient à l’esprit est la suivant : Croyez-vous à la sorcellerie ? Quand je réponds en leur disant qu’il est nécessaire de nous assurer que nous avons la même compréhension du mot avant de répondre, ils sont offusqués. Pourtant les quiproquos viennent de là. Du contenu que l’on met dans le mot « sorcellerie » dépend la perception du sorcier.

Selon l’imaginaire populaire, la sorcellerie est un ensemble de pratiques surnaturelles que maitrise une certaine catégorie d’individus. Ces derniers sont alors appelés sorciers. Le sorcier, selon l’imaginaire populaire africain, a la capacité de : voler, se transformer en un animal quelconque, répandre les maladies pour tuer les enfants, jeter des sorts maléfiques à des personnes cibles, contrôler la foudre et le vent, provoquer la sécheresse, etc. Ils sont enclins à faire du mal et sont friands de la chair humaine.

Ces pratiques sont-elles réelles ?

Pour moi, la sorcellerie telle qu’elle a été définie relève de la fiction mais les populations y croient et l’impact de ces croyances sur leur vie est réel. La sorcellerie est donc une réalité sociale. Personne ne peut nier cela.

Ces pratiques sont-elles spécifiques à l’Afrique noire ?

Non ! En Europe par exemple, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les caractéristiques de la sorcellerie étaient similaires à celles de l’Afrique noire. En effet, selon leurs croyances, les sorcières avaient la capacité de voler, se transformer en animaux (cas des loups garous et des vampires), répandre les maladies dans les villages pour tuer les enfants, provoquer le gel et le grand froid pour détruire les récoltes, jeter des sorts maléfiques à des personnes cibles, tarir le pis des vaches, etc. Elles organisaient des festins de chair humaine.

Toutes les sociétés humaines ont connu la sorcellerie. Elles ont été confrontées à des phénomènes naturels comme les éruptions volcaniques, les séismes, les épidémies de maladies, les inondations, les sécheresses, les grands froids, etc. Chaque communauté interprétait ces phénomènes en fonction de ses connaissances de la nature. Très vite, les classes dirigeantes ont attribué à certains membres de leurs communautés le pouvoir de contrôler ces phénomènes. Ainsi s’ouvrit l’ère de l’utilisation de la méthode du bouc émissaire pour régler les problèmes auxquels sont confrontées les populations.

Quelle est la différence entre la sorcellerie en Afrique et la sorcellerie en Europe ou ailleurs ?

En Europe, la sorcellerie est détenue par Satan qui décide de l’attribuer à des êtres humains après que ces derniers ont signé un pacte avec lui. Compte tenu des préjugés qui entouraient la femme à l’époque (selon la Genèse, Eve a déjà cédé à la tentation), elle était toute indiquée pour accepter de signer de tels pactes. C’est une des raisons pour lesquelles on parle essentiellement de sorcières. Sont désignés comme sorciers, des personnes âgées, les infirmes (borgnes, bossus), les lépreux, les minorités raciales, etc.

En cas de calamité, cette catégorie de personnes est utilisée par la classe dirigeante comme boucs émissaires pour calmer les populations. Les inquisiteurs torturaient les personnes suspectées jusqu’à ce qu’elles avouent. Les tortures les plus cruelles étaient appliquées. Après avoir avoué, les coupables étaient brulées vives ou pendues sur la place publique.
En Afrique, on assiste à la même démarche sauf que les aveux se font de façon « spontanée ».
Sont désignés comme sorciers les marginaux, les contestataires, tous ceux qui sont considérés comme des fauteurs de troubles.

Les personnes chargées de faire avouer les suspects sont les membres de puissantes organisations secrètes appelées confréries. Ex : les confréries des hommes-panthères, des hommes-lions, des hommes-crocodiles, etc. en fonction des régions. La confrérie des hommes-panthères était présente dans toutes les zones forestières. Les sociétés secrètes se sont donné pour mission d’instaurer l’ordre, la discipline et la justice ; et de défendre les traditions. Les confréries sont exclusivement masculines, etc. Pour atteindre leurs objectifs, elles infiltrent tous les organes décisionnels et contrôlent tous les moyens de répressions.

Comment les confréries procédaient-elles pour faire avouer les suspects ?

Elles ont créé de puissants instruments « infaillibles » chargés de l’accusation en cas de procès en sorcellerie. Parmi ces instruments on peut citer le corps de la victime transporté sur un brancard, le fétiche transporté par une ou deux personnes et qui est spécialisé dans l’identification des sorciers, l’évocation de l’âme de la personne décédée, la vision du devin, etc.

Lorsqu’une calamité naturelle frappe la communauté (une épidémie de rougeole par exemple) la confrérie, avec l’appui de la classe dirigeante, fait recours à la méthode du bouc émissaire pour rassurer les populations et montrer qu’ils maitrisent la situation. Lorsque la confrérie désire se débarrasser d’un ou de plusieurs membres de la communauté, elle pousse la population à protester contre les agissements des sorciers et à demander la sortie du fétiche détecteur de sorciers. Elle organise alors une séance d’identification de sorcier sur la place publique et le fétiche désigne le(s) « coupables(s) ».

Les personnes accusées ne protestent-elles pas ?

Jamais ! La raison est simple : les membres de la communauté ont été conditionnés, je dirai même « dressés » depuis leur bas âge à l’idée selon laquelle les méthodes utilisées pour détecter les sorciers sont infaillibles. Dès qu’une personne est accusée sur la place publique d’un crime par sorcellerie, elle garde généralement le silence, ce qui équivaut à un aveu. Elle sait que toute forme de contestation met son lignage c’est-à-dire toute la grande famille en danger. Ceux qui ont osé le faire ont été confrontés à la question « extraordinaire » suivante : « Veux-tu insinuer que le fétiche détecteur des sorciers s’est trompé ? ».

Comment les confréries ont-elles pu conditionner à ce point les populations ?

En misant tout simplement sur le système éducatif. On dira aujourd’hui pour adopter le langage des TIC que les confréries formatent les cerveaux des enfants, puis installent les logiciels voulus.

En quoi consiste ce « formatage » ?

Il consiste à étouffer chez l’enfant la curiosité qui est la base de l’acquisition des connaissances.

Et quels sont ces fameux « logiciels » ?

Ce sont des dogmes qu’on inculque aux enfants et le système se transmet de génération en génération. Les principaux dogmes sont :
premier dogme : « Tout ce que disent les vieux est vérité absolue » ;
deuxième dogme : « Il existe des personnes dotées de pouvoirs surnaturels illimités, de façon innée ou acquise : ce sont les sorciers, les devins et les évocateurs des âmes de défunts » ;

troisième dogme : « Seules les divinités peuvent protéger les membres de la communauté contre l’action maléfique des sorciers » ;
quatrième dogme : « La dépouille mortelle, dans certaines conditions, a le pouvoir infaillible d’identifier le coupable » ;
cinquième dogme : « Il existe des fétiches qui ont le pouvoir infaillible de détecter les sorciers » ;
sixième dogme : « Les âmes des personnes décédées des suites d’accidents hantent tous les lieux où leur dépouille séjourne » ;
etc.

Et comment se fait l’assimilation de ces dogmes ?

Tous les membres de la communauté se chargent inconsciemment de faire assimiler ces dogmes par les enfants. Les enseignements sont illustrés par des contes, des légendes et de l’histoire présentés tous comme étant des réalités vécues par des Vieux. Et comme tout ce que disent les vieux est vérité absolue…
Ces illustrations mettent toujours en exergue le sort qui est réservé aux éventuels rebelles et autres contestataires : invariablement la MORT, une mort généralement atroce attribuées aux divinités en colère.

La remise en cause d’un de ces dogmes est le plus grave des crimes que puisse commettre un membre de la communauté. Et fait exceptionnel, dans ce cas précis, la sanction peut être collective et concerner tout un lignage même si le crime est commis par un seul individu. Tous les membres des lignages veillent par conséquent à ce que les normes sociales soient rigoureusement respectées par tous. Ainsi est distillée de façon permanente la PEUR qui est ensuite inoculée aux membres de la communauté.

Quelles sont les conséquences de ce système éducatif sur l’apprenant ?

C’est évident ! Un enfant éduqué dans un environnement communautaire de ce type, en devenant adulte, ne peut se comporter autrement que comme le chien de Pavlov conditionné pour réagir de façon précise à un stimulus donné. La croyance à la sorcellerie ayant été assimilée par les membres de la communauté sous forme de dogmes, il devient difficile pour ces derniers de s’en défaire. Les dogmes enseignés s’incrustent dans leur subconscient comme ceux d’une religion. Malgré eux, leur personnalité s’identifie à ces croyances qu’ils nient souvent avec véhémence ; mais ils sont toujours trahis par leurs comportements et attitude quotidiens qui en sont fortement imprégnés. A leur insu, cette croyance s’est muée en acte de foi.

Dès qu’on fait allusion à la « sorcellerie » en leur présence, les mots « Pourquoi ? » et « Comment ? » disparaissent automatiquement de leur langage. Le système les rend bornés et dépourvus de tout esprit critique. Les personnes instruites n’échappent pas à ce dressage mental. Elles deviennent incapables de lier les connaissances acquises au cours de leur formation aux réalités de la vie quotidienne. Comme le dit si bien le Professeur Boa Thiémélè Ramsès : « La croyance à la sorcellerie agit sur les esprits comme une torpille paralysante ».

Interrogés sur ces dogmes, les Africains instruits, dans leur large majorité, commencent à bafouiller pour terminer toujours par « Vous savez, nous sommes en Afrique ! » ou encore « Vous savez, l’Afrique a ses mystères ! », etc. comme si le continent africain ne fait pas partie de la planète Terre. Les Africains subsahariens ne sont différents ni des Européens, ni des Asiatiques. Le teint de la peau n’est qu’une forme d’adaptation aux conditions climatiques du milieu de vie.

Cette formule lapidaire de « L’Afrique a ses mystères », justifie des comportements et attitudes qui défient le simple bon sens. Sinon, comment comprendre que des personnes instruites puissent accepter un seul instant cette absurdité de la dépouille mortelle qui serait capable de faire mouvoir des hommes qui la transportent. D’où lui vient cette énergie ? Il y a de quoi se demander si cette aptitude des cadavres humains est spécifique aux Africains subsahariens.

Comment comprendre qu’une personne de surcroît instruite puisse accepter un seul instant le traitement dégradant qu’on fait subir aux cadavres des personnes victimes d’accidents sous prétexte que la pratique relève des coutumes africaines. Et pourquoi cette soumission aveugle à des us et coutumes dégradants en déphasage avec l’évolution de la société ? « Parce que c’est la tradition ! », répondront des gens. Une parfaite illustration de la démission et de la paresse intellectuelles de la part de l’élite africaine dénoncées par le Professeur Boa T. Ramsès.

C’est donc la raison pour laquelle tous les Africains croient jusqu’à ce jour à la sorcellerie ?

Tout à fait. La croyance à la sorcellerie est devenue un acte de foi. La personne s’identifiant à cette croyance, il devient impossible de la raisonner par des arguments scientifiques. Vouloir la faire raisonner est ressenti comme une agression contre son intimité.

Qui sont en définitive les sorciers ?

Comme vous pouvez le constater à partir de ce que je viens de dire, les sorciers ne sont nullement les personnes humiliées sur la place publique, puis bannies de leur communauté. Ces pauvres personnes ne sont que des boucs émissaires. On peut leur faire tous les reproches possibles sur leurs comportements et agissements au sein de la communauté sauf celui d’avoir assassiné un membre de cette communauté. J’insiste sur ce point. Les personnes accusées d’avoir mangé des âmes de personnes sont absolument innocentes. Les vrais sorciers sont ceux qui tirent sur les ficelles c’est-à-dire les membres des confréries.

Les sorciers sont les instigateurs des procès sur la place publique. Ils ont un contrôle absolu sur les instruments d’accusation. Exemple : parmi les deux porteurs du cadavre chargé d’identifier le coupable, le premier est forcément un membre de la confrérie ; l’évocateur de l’âme du défunt est un membre de la confrérie, etc. Les membres des confréries se proclament par ailleurs comme tels. Ils déclarent qu’ils possèdent effectivement les pouvoirs surnaturels attribués aux sorciers. Ainsi, ils sont craints. La mystification est leur arme favorite.

Pourtant, les sorcières avouent leurs crimes sans violence !

Pensez-vous qu’il est impossible de faire avouer par une personne un crime qu’elle n’a jamais commis ? C’est simple ! On fait chanter la personne. Les confréries affectionnent cette méthode. A la veille d’une cérémonie d’identification du sorcier coupable d’une mort jugée suspecte, la confrérie envoie un émissaire auprès de la personne qu’elle aura désignée pour endosser le « meurtre » pour livrer un message de ce genre : « Demain sur la place publique, tu te déclareras responsable de la mort de …sinon, un de tes enfants aura mal à la tête ». Entendez par « avoir mal à la tête » tuer par sorcellerie. La confrérie peut pousser le cynisme jusqu’à suggérer des complices à leur cible qui les dénoncera. Quelle femme va échanger la vie de son enfant contre sa dignité ?

Pourquoi par ailleurs, les personnes accusées sont souvent des vieilles femmes ?

C’est un véritable drame que vivent nos communautés d’aujourd’hui. Des sociétés qui étaient réputées grandes protectrices des personnes âgées sont réduites aujourd’hui à traquer ces mêmes personnes vulnérables. Autrefois, porter la main sur une personne âgée était passible de la peine de mort exécutée clandestinement et avec violence par les membres des confréries. Le simple fait pour un jeune de porter la contradiction en public à une personne âgée entraînait la même sanction. Les vieilles veuves jouissaient particulièrement d’une grande protection.

Dans certaines communautés, on les appelait « Les femmes des Ancêtres ». Elles étaient les conseillères des chefs des communautés. En Afrique, les confréries étaient animées exclusivement par des hommes compte tenu des conditions d’adhésion à ces sectes et des contraintes liées à leurs activités. Il n’y avait pas de sorcières en Afrique noire. Ce concept de « Sorcières » a été apporté de l’extérieur par certaines religions. Le contact des communautés avec le monde extérieur a provoqué des « séismes » en leur sein. Les confréries se sont plus ou moins désagrégées. Le désordre s’installa alors au sein des communautés dont les membres n’ont plus de repères pour les guider. Ainsi, le cercle des boucs émissaires s’élargit en prenant en compte les personnes vulnérables sans soutien.

La femme est le maillon faible du système parce qu’elle est considérée dans certaines communautés comme étrangère dans la famille de son mari ; elle n’est pas non plus considérée comme une membre « entière » de sa famille d’origine parce qu’elle est amenée à aller « agrandir » une autre famille. Précisons que dans d’autres groupes linguistiques elle bénéficie en toute circonstance de la protection et du soutien de sa famille d’origine. L’influence de certaines religions sur la vie de certaines communautés a contribué à diaboliser la femme.

Pourquoi observe-t-on une recrudescence des manifestations de la sorcellerie de nos jours ?

Les classes dirigeantes des différentes communautés, par l’intermédiaire des confréries, exerçaient leur fonction avec beaucoup de rigueur. Elles faisaient régner au sein de la communauté l’ordre, la discipline et la justice selon leur vision du monde. Chaque membre de la communauté connaissait sa place et son rôle. La communauté passait avant l’individu. Tout écart de comportement était sanctionné sans complaisance. La transgression d’un interdit grave était punie de la peine de mort. Elles avaient instauré un système politique que l’on pourrait qualifier de « totalitarisme sans état » selon Maurice Duval.

Le système semblait fonctionner à la perfection tant que les membres de la communauté vivaient en vase clos et maintenus dans l’ignorance. Le contact des communautés avec le monde extérieur a provoqué une fissure dans la citadelle, fissure qui s’est élargie à un rythme tellement accéléré que les confréries ne pouvaient la colmater. Ces nouvelles donnes sociales imposaient aux confréries, des changements de stratégies dans l’approche politique des problèmes communautaires. Confrontées à ce nouveau défi, elles n’ont pu s’adapter aux mutations qui s’opéraient inexorablement au sein de la communauté. Débordées, les confréries perdirent le contrôle du pouvoir : le désordre s’installa alors au sein des communautés dont les membres n’avaient plus de repères pour les guider. Les dogmes étaient désormais défiés et violés entrainant la naissance de nouvelles classes d’individus aux pouvoirs « surnaturels » illimités.

Quant aux membres des confréries, ils sombrèrent pour la plupart, dans la corruption et dans la déchéance morale. De la citadelle qu’ils avaient édifiée, il ne restait plus que quelques pans qui tenaient à peine debout. Avec la prolifération des détendeurs de pouvoirs surnaturels et la paupérisation des populations, les accusations de sorcellerie sur fond de vengeance et d’escroquerie se multiplièrent de façon exponentielle au sein des communautés.

Ce phénomène a deux causes principales : la paupérisation de plus en plus croissante des populations et le manque de volonté politique des autorités.
Par rapport au premier point : les populations, assaillies de toute part par les difficultés socio-économiques, deviennent fragiles et vulnérables : elles se jettent alors dans les bras des marchands d’illusions de tout acabit en espérant y trouver leur salut.

Par rapport au second point : bien que les confréries se soient désagrégées, l’effet pervers du système éducatif qu’elles ont imposé aux populations reste intact : la peur est omniprésente lorsqu’on prononce le mot « sorcellerie » dans tous les milieux. Presque tous les membres des communautés croient à la sorcellerie.
Toutes les structures des Etats y compris celles chargées de réprimer les délits liés à la sorcellerie sont gangrenées par ces croyances superstitieuses.

Aucun effort n’est fait pour faire appliquer les lois sur la sorcellerie. Le silence coupable des autorités politiques vis-à-vis du sort des « mangeuses d’âmes » des centres d’accueil de Ouagadougou au Burkina Faso, des agressions dont sont victimes de pauvres personnes pour cause de sorcellerie, des assassinats d’albinos partout en Afrique subsaharienne, etc., illustrent ce manque de volonté politique des autorités des pays concernés.

Quels sont les impacts de ces croyances à la sorcellerie sur la vie sociale ?

Premièrement au niveau de l’individu :
La croyance à la sorcellerie cultive chez l’individu l’irresponsabilité, la paresse intellectuelle, le manque de confiance en soi et une tendance à la soumission aveugle.
L’irresponsabilité : le succès et l’échec de l’individu ont toujours pour cause la sorcellerie.
Exemple 1 : un écolier a des difficultés scolaires ; il se présente à l’examen de fin de cycle trois fois sans succès. La personne responsable de ces échecs est toute indiquée : c’est sa marâtre jalouse qui, par ensorcellement, le fait échouer. L’écolier n’y est pour rien ;

Exemple 2 : un agent de l’Etat est mis aux arrêts, puis emprisonné suite à des malversations financières dont il est l’auteur. Le responsable de cet acte crapuleux est un de ses oncles paternels qui a décidé de l’humilier pour se venger de lui ;

Exemple 3 : un jeune entrepreneur n’arrive pas à atteindre ses objectifs. Le coupable est soit son oncle paternel soit un concurrent spécialiste de l’ensorcellement.

Exemple 4 : un employé n’arrive pas à obtenir une promotion souhaitée. La personne responsable de cette situation est un collègue ou un parent qui, par ensorcellement, contrecarre ses projets ;
Etc,
Ces situations sont quotidiennement vécues par les populations aussi bien citadines que rurales. Les individus ne sont jamais responsables des actes délictueux qu’ils posent. Ils ne sont jamais responsables non plus de leurs échecs.

Le manque de confiance en soi :
Les personnes qui croient à la sorcellerie sont convaincues qu’aucun projet ne peut aboutir sans le concours d’un féticheur ou d’un marabout. Les jeunes entrepreneurs qui, par persévérance, atteignent les objectifs de leurs projets ne sont jamais considérés comme des battants, des références pour les autres. Leurs succès sont attribués à des puissances occultes. Très souvent, ils font l’objet de mépris au sein de leur communauté au motif qu’ils ont offert en sacrifice à des fétiches de très proches parents (enfants ou mères) en échange de leur réussite sur le plan financier.

La paresse intellectuelle
Les attitudes des personnes instruites confrontées aux phénomènes dits mystérieux sont éloquentes. Face à un obstacle intellectuel, elles ne font aucun effort de raisonnement. Elles se réfugient dans des arguties du genre « L’Afrique a ses mystères ». Aucun effort de recherche n’est déployé pour identifier les causes de ces phénomènes. Bien souvent, des causes de phénomènes dits mystérieux ont été identifiées ailleurs.

En Afrique subsaharienne, dès qu’on évoque la sorcellerie, le mot “impossible” disparait du langage. Le minimum de bon sens n’existe plus : par exemple, personne ne peut admettre qu’un homme puisse parcourir mille kilomètres en cinq minutes ; mais si on ajoute que la personne a réalisé cette performance par sorcellerie, des gens soutiendront que c’est tout à fait possible.

La soumission aveugle aux coutumes
De nombreux Africains, confrontés aux us et coutumes, se conduisent en automates. Il suffit qu’on dise qu’une pratique relève des coutumes pour qu’ils s’y soumettent sans murmure.

Deuxièmement au niveau de la collectivité :
La croyance à la sorcellerie est source de tensions, de conflits et d’exclusions sociales permanents ; elle est également source d’insécurité et de régression sociale. Au niveau communautaire, la psychose s’installe car tout le monde sait que personne ne peut démontrer son innocence face à une accusation de sorcellerie. Les malheurs, ayant toujours des causes humaines, des conflits plus ou moins violents deviennent permanents au sein des familles, des services et de façon générale au sein de la communauté. La cohésion sociale devient un vain mot.

Troisièmement au niveau de la nation
La croyance à la sorcellerie est un obstacle majeur au développement des nations. Le développement économique d’une nation ne peut se faire que sur des bases scientifiques et donc rationnelles. Pour de nombreux décideurs, la rationalité est un concept étranger à l’Afrique subsaharienne. Pour eux, les conseils des féticheurs ou des devins et autres gourous coutumiers sont indispensables à la bonne conduite des affaires publiques. Les nominations aux postes de responsabilité se font sur des bases essentiellement occultes supervisées par des charlatans et des féticheurs le plus souvent analphabètes.

Les compétences sont léguées au second plan. Dans des services publics par exemple, bien souvent, la hiérarchie administrative fait place à celle de la puissance occulte de chaque agent. Ainsi, des agents subalternes sont craints et imposent leur loi à certains de leurs supérieurs hiérarchiques. En outre, la plupart des cadres nommés à des postes de responsabilité, procèdent à un exorcisme de leur cabinet de travail avant de s’y installer, font changer tous les meubles qui ont été utilisés par leur prédécesseur, etc.

Ces pratiques superstitieuses engendrent des coûts financiers à la charge du contribuable mais aussi et surtout révèlent le manque de confiance de ces cadres en eux-mêmes. Cette catégorie de cadres, face aux problèmes réels auxquels sont confrontés les agents de leur service, oppose des recettes de charlatans et autres marabouts. Ces mêmes attitudes et comportements s’observent malheureusement à des niveaux très élevés de certains États.

Sur le plan politique, dans de nombreux pays africains, les campagnes électorales sur fond de chantage et de menaces exercés sur les populations, sont toujours d’actualité. Pour recueillir les suffrages des populations, des candidats n’hésitent pas à brandir le spectre de la sorcellerie. Il n’est pas exagéré de dire que des charlatans analphabètes dirigent des départements ministériels et certains États en Afrique subsaharienne. Le développement d’une nation dans un tel contexte ne peut qu’être profondément compromis.

Pensez-vous professeur qu’on peut un jour éradiquer ce phénomène de la vie des populations ?

(Rires). Je pense que oui mais dans le très long terme. Certains parlent plutôt de diminuer les effets de la sorcellerie sur les populations. Aujourd’hui en Europe par exemple, on entend rarement parler de sorcellerie mais elle y existe sous des formes voilées comme la voyance, les horoscopes, les « diseuses de bonnes nouvelles », la crainte de certains chiffres, etc. L’accélération de l’alphabétisation des populations, les progrès scientifiques et technologiques et surtout leur vulgarisation ont été les facteurs déterminants au recul des limites de ce fléau.

Chez nous en Afrique, je voudrais suggérer des actions à mener.
Le mal est beaucoup plus profond qu’on ne veuille l’admettre. Des chefs coutumiers, des rescapés des confréries, des leaders politiques et des escrocs de tout acabit sont des forces foncièrement hostiles à toute éradication de ce fléau dont ils tirent, pour les uns leur pouvoir, et pour d’autres, leurs subsistances.

Au niveau individuel, pour vaincre la sorcellerie, il faut d’abord qu’on ait l’humilité d’accepter qu’on y croit ; ensuite il faut qu’on prenne la ferme décision de s’informer surtout à travers la lecture. La gangrène a été inoculée et répandue dans le corps des communautés par le système éducatif.

Pour l’extirper, il faut utiliser le système éducatif. Le processus sera très long car on est dans le domaine socio-affectif. Par le système éducatif, il s’agira de procéder à une « déconstruction » mentale, puis à une « reconstruction » mentale chez les jeunes et les adultes. Pour ce faire, il faut identifier et mettre en œuvre des méthodes pédagogiques appropriées au cours de leur formation. Les principaux acteurs du système éducatif (parents, décideurs et encadreurs pédagogiques) doivent être prioritairement concernés par cette formation.

Des actions immédiates ?

Elles sont axées essentiellement sur la législation des pays. Dans de nombreux pays, les textes de loi sur la « sorcellerie » sont inexistants ou s’ils existent, manquent cruellement de fond donnant ainsi lieu à des interprétations abusives et favorables aux personnes accusées de sorcellerie. Tous ces balbutiements sont sous-tendus essentiellement par la peur du sorcier. Les actions immédiates consisteront à :
 réviser la législation sur la sorcellerie pour la rendre véritablement répressive ;
 appliquer la rigueur de la loi à tous les acteurs impliqués dans l’accusation en cas de procès en sorcellerie (devins, féticheurs, porteurs de dépouilles mortelles, chefs coutumiers, etc.) ;

 rétablir dans leurs droits tous les citoyens et citoyennes bannis de leur communauté pour cause de sorcellerie ;
 assurer le suivi des mesures de protection des citoyens rétablis dans leurs droits ;
 créer des juridictions spéciales en nombre suffisant chargées de suivre tous les cas de sorcellerie dans les différentes régions de chaque pays ;
 impliquer les médias dans les campagnes de sensibilisation et d’information à l’endroit des populations ;
 etc.

Par l’ensemble de ces mesures, la Justice redonnera confiance aux honnêtes personnes et pourra ainsi compter sur leur collaboration pour démanteler les réseaux mafieux d’escrocs qui alimentent ces pratiques.

Des actions à moyen et long termes
Elles consistent pour chaque Etat à :
 améliorer les conditions de vie des populations ;
 rendre effectivement l’instruction gratuite, obligatoire et accessible à toutes les couches de la population ;
 privilégier dans les programmes d’enseignement, le domaine socio-affectif ;
 construire des bibliothèques dans tous les centres de formation afin d’encourager les jeunes à lire ;
 former des animateurs des bibliothèques chargées d’initier les enfants à la lecture.

Etes-vous soutenu dans votre combat de sensibilisation des populations sur ce phénomène de sorcellerie ?

Oui ! En Côte d’Ivoire, le Professeur d’université Boa Thiemèlé Ramsès mène exactement le même combat. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « La sorcellerie n’existe pas ». Nous coordonnons nos actions. Bien sûr, mon souhait est qu’il vienne un jour au Burkina pour que nous animions une conférence ensemble. Beaucoup de personnes approuvent mes actions même si elles ne le crient pas sur tous les toits. Des médias m’offrent des cadres d’échanges avec les populations. Ce sont des formes de soutien à mes actions. Je leur en suis reconnaissant.

Le dernier mot ?

Un mot de remerciements. Je remercie infiniment le premier responsable de Lefasot.net, le Docteur Paré Cyriaque qui, depuis des années, a apporté de multiples soutiens à mes actions en m’offrant ce puissant cadre d’expression pour partager mes opinions avec les internautes. Je remercie ses jeunes et dynamiques collaborateurs pour leur constante disponibilité.

Propos recueillis par Cryspin Laoundiki
Lefaso.net

P.-S.

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