Actualités :: Le silence complice des femmes burkinabè (Fin)

Face aux multiples violences faites aux femmes (viols, mariage forcé, lévirat, héritage en cas de décès de l’époux, harcèlement sexuel, etc.) on constate malheusement que les leaders des associations réagissent très rarement dans l’espace public (Journaux, Internet, manifestation de rues, etc.). Chaque femme semble vivre sa situation ou attendre son tour sans faire trop de bruit, quand elle ne se répend pas dans des commérages sur les malheurs des autres.

Le constat est désolant : il n’y a vraiment pas de groupes de pression dignes de ce nom pour exercer le leadership dans la promotion des droits des femmes, comme on en voit dans d’autres pays comme l’Inde, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la France, etc. Chez nous, on a le sentiement que les femmes s’en remettent au ministère de la Promotion de la femme pour combattre les injustices qu’elles subissent.

Or, le ministère qui ne dispose que de dérisoires moyens- son budget représente 0,005% du budget national- n’est là qu’en appoint pour apporter du poids à la voix des organisations de femmes de la société civile.

Pourquoi ce silence assourdissant ou ces murmures inaudibles quand il faut éléver la voix pour condamner les crimes à répétition sur des femmes ? Les ministres passent, mais les organisations féminines restent et c’est à elles d’être sur tous les fronts dans le combat émancipateur de la femme. En France, ce sont les associations de femmes qui ont pratiquement imposé le vote de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. La bienséance ou la miséricorde des hommes n’y sont pour rien dans le vote de cette loi.

La situation dans notre pays où seules quelques voix se font entendre est vraiment décévante car ces dernières, surexposées médiatiquement, finissent par apparaitre dans l’opinion comme des activistes aigries, frustrées et excessivement revendicatrices. Les rares ressources humaines du ministère très engagées dans le combat risquent de s’épuiser sans produire le moindre résultat en terme de changement des mentalités. Et là, les femmes vont se dépêcher de critiquer leur inefficacité, leur incompétence et le fait qu’elles ne soient pas à la hauteur de la tâche. Normal, leur hauteur se fonde sur la taille du groupe défendu.

A quand des récations communes et massives des collectifs et associations sur les cas de viols et de tueries sur des femmes et des filles ? Pourquoi ces associations et collectifs se traisent quand il faut élever la voix pour protester contre les violations des droits des femmes ? Si depuis que les cas sont rapportés par les médias, elles réagissaient pour crier leur raz le bol, peut-être que peu de coupables passeraient encore à l’acte. Peut-être qu’il y aurait plus de mesures de protection et des lois plus sévères pour punir les coupables.

Trop c’est trop ! Il est temps de se rendre compte que par leur silence, les leaders des associations se rendent complices des mauvais traitements que subissent les milliers de femmes et filles. Il est temps d’arrêter les commérages et d’agir ensemble, car comme le dit l’évangile, “quiconque voudra sauver sa vie, la perdra”.

Un adage bien de chez nous dit que “la bouche de la femme est son carquois”, autrement dit, ses paroles sont comme des flèches dont elle se sert pour se défendre. La société reconnait alors tacitement aux femmes, le droit d’utiliser leur bouche et leurs paroles comme arme d’auto-défense. Pourquoi diable, se privent-elles d’une arme qui leur est socialement reconnue pour dénoncer avec véhemence et insistance les violations des droits humains et les mauvais traitements subies individuellement et collectivement ?

Au lieu de mener ce combat, la célébration de la journée internationale de la femme donne lieu chaque année à des débats secondaires sur la pertinence ou pas des réjouissances populaires organisées ce jour-là et sur le pagne du 8 mars. Il est vrai que sur ce ce point, le monoploe de fait attribué à un “prestataire” pour reprendre les mots de la ministre de la Promotion de la femme Nestorine Sangaré, est en contradiction avec le libéralisme économique prôné par le gouvernement. Le marché du pagne du 8 mars n’étant pas un secteur stratégique, il faut l’ouvrir à la concurrence.

Bien souvent, dans les conflits homme-femme, on entend conseiller à l’homme de "casser la bouche de la femme pour qu’elle se taise". Ce mode de gestion des conflits qui n’est que l’apologie de la violence, vise à contraindre la femme à se taire et à renoncer à ses droits. Sous l’effet de la colère, il arrive hélas que ceux qui ont trop compris ce “conseil” fassent taire définitivement la femme en la tuant.

Est-ce à force de se faire "casser la bouche" que les femmes burkinabè ont interiorisé la peur des réprésailles au point de ne plus vouloir oser élever la voix pour dénoncer collectivement les violences qu’elles subissent ? On peut le penser !

Dans la vie publique, la même maxime s’applique. Quand une femme ose prendre souvent publiquement la parole, elle finit par agacer les tenants réels ou supposés du pouvoir social. On va donc sensibiliser gentillement mais fermement son mari à faire quelque chose, à prendre ses responsabilités d’homme et "faire taire" sa femme en privée. Car, dans une société phallocratique, se battre publiquement avec une femme est une honte pour un homme digne de ce nom.

Cette donne commence toutefois à changer avec la montée insidieuse des extrémismes religieux. Certes, le phénomène est encore marginal, mais dans nos quartiers, des femmes et de jeunes filles subissent des pressions parce qu’elles ne s’habilleraient pas “convenablement”. Toutefois, les manifestations publiques pour les droits des femmes étant très rares dans notre pays, il y a peu d’exemples de violences collectives et publiques exercées contre des femmes.

On a quand même en mémoire, le cas de l’élue de Boulmiougou, prise à partie par une meute d’hommes et dont les images humiliantes ont circulé sur la toile, les violences faites sur les femmes de Tougan et les viols commis lors des mutineries de 2011.

Malgré tout, l’usage de la violence modérée ou extrême contre les femmes est un fait culturel ancré dans les mentalités. Le meurtre n’est toutefois pas permis, mais toléré quand on juge que la victime a une part de responsabilité avérée, notamment si elle a posé un acte considéré comme attentatoire à l’honneur du coupable.

Cette acceptation sociale de la violence "légitime" et l’usage disproportionné de la force qui en résulte mettent les femmes en situation de grande insécurité et de vulnérabilité. Bien évidemment, éradiquer cette violence “légitime” n’incombe pas seulement aux femmes, mais c’est bien elles qui devraient être à l’avant-garde de ce combat pour prévenir les fémicides.

A la décharge des organisations féminines, il convient de reconnaitre que l’art et la manière de constituer une groupe de pression s’apprend. Créer, organiser et faire fonctionner efficacement un groupe de pression dans le respect de la loi requiert plus que la simple volonté et l’enthouiasme.

A l’image des syndicats qui manifestent régilièrement pour défendre la cause des travailleurs, les femmes aussi doivent défendre leur cause spécifique sans tomber dans le piège apparent d’une guerre des sexes qui ne dit pas son nom. L’objectif porsuivi par les organisations de femmes n’est pas de conquérir un quelconque pouvoir social au détriment des hommes, mais d’oeuvrer à l’instauration d’une justice sociale qui protège les droits élémentaires des personnes sans distinction de sexes.
L’heure est venue de trouver les règles organisationnelles et d’expression pour des groupes de pression féminins afin qu’ils puisent promouvoir le dialogue social et la protection des droits humains fondamentaux des femmes et des filles. C’est la prochaine étape dans le processus de construction d’un mouvement féminin efficace, responsable et socialement compris et soutenu. C’est une condition nécessaire pour que dans un avenir proche, tous les burkinabè soient égaux en droits comme le dispose la Constitution.

Joachim Vokouma

Lefaso.net

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