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Crise ivoirienne : Un impact limité sur l’économie burkinabè

Publié le samedi 10 janvier 2004 à 10h22min

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Cette année, le Burkina Faso a été sauvé par la pluie. Les très bonnes perspectives de récolte devraient combler les impacts négatifs de la crise ivoirienne. Les industries de la région de Bobo-Dioulasso, davantage touchées, prennent patience en attendant la reprise de leurs échanges avec le voisin ivoirien.

Les analystes économiques l’avouent de concert : "Nous nous sommes lourdement trompés sur les conséquences économiques de la crise ivoirienne." Tous les bailleurs avaient prédit le chaos pour le Burkina Faso. Le rapport Jumbo de l’Agence française de développement (AFD) sorti en avril 2003, qui renseigne sur les perspectives économiques et financières de la zone Franc, était très pessimiste, annonçant une croissance réelle négative pour l’année en cours. La mission du FMI qui s’est rendue au Burkina Faso en février 2003, avait annoncé, dans un rapport paru en juin, un taux de croissance économique annuel de 2,6%, soit une croissance nulle par habitant. "Nous étions très inquiets", se souvient Robert Franco, le représentant résident du FMI.

C’était sans compter sur la formidable capacité d’adaptation des acteurs économiques burkinabè. Les flux d’échanges se sont très vite recomposés car les acteurs économiques n’ont pas été pris au dépourvu. Effectivement, lors du coup d’Etat de Robert Gueï le 24 décembre 1999, ils avaient déjà dû faire face à des ruptures d’approvisionnement en provenance d’Abidjan. Ainsi, cela n’a pris que deux à trois mois à la fin de l’année 2002 pour que l’économie burkinabè se réorganisée, mais non sans mal. Les marchandises coincées au port d’Abidjan sont réorientées vers ceux de Tema, Lomé et Cotonou. Les corridors ghanéens, togolais et béninois ont été réactivés.

De lourdes interrogations pesaient sur la capacité du système régional de transport à faire face à la situation sans le corridor ivoirien, qui évacuait tout de même un million de tonnes par an par le chemin de fer. D’autres interrogations portaient sur les capacités des autres ports à répondre à cette hausse soudaine de trafic. Finalement, tous les observateurs ont constatéune adaptation de la logistique aux nouvelles contraintes. Certes, il est plus cher de passer par le Ghana ou le Togo, les délais de livraison sont plus longs, il y a des problèmes de stockage et d’engorgement. Mais cela fonctionne et les marchandises arrivent à bon port. Les engorgements dans le secteur des transports ont pu être résolus. L’Etat a pris des mesures, comme l’exonération de TVA pour l’achat de camions neufs, de façon à accroître l’offre de transports et à améliorer l’état du parc routier burkinabè.

La mission de juillet du FMI a révisé à la hausse de 0,6 point le taux de croissance. Mais, compte tenu de la très bonne pluviométrie et d’une production exceptionnelle de coton et de céréales, tous les experts penchent pour un taux de croissance au moins équivalent à celui de 2002 qui était de 4,5%. Certains sont même encore plus optimistes. "Etant donné les perspectives de production agricole, je pense que le taux de croissance sera de 5%", indique M. Franco. Une mission du FMI était attendue en novembre. "Nous allons mettre à jour le cadrage macroéconomique. "

L’industrie et l’élevage touchés par la crise

C’est le secteur industriel qui a le plus souffert de la crise. Principalement implantées à l’Ouest dans la région de Bobo-Dioulasso, les industries ont vu leur activité décliner car la région est directement connectée avec la Côte d’Ivoire par le chemin de fer et par la route. Leur approvisionnement en matières premières a été stoppé du jour au lendemain : 6 000 tonnes de blé destinées aux Grands moulins du Burkina ont été bloquées au port d’Abidjan. Le caoutchouc ivoirien n’arrive plus pour alimenter la Société africaine de pneumatiques. Ces sociétés utilisaient le rail pour convoyer leur matériel lourd, les coûts du transport étant arrangés avec la Sitarail. La diversification de leurs sources d’approvisionnement a engendré des coûts supplémentaires d’autant plus élevés que cette région est excentrée par rapport à celle de Ouagadougou, vis-à-vis des corridors ghanéen et togolais. Selon Francis Traoré, secrétaire général du Groupement des professionnels de l’industrie (GPI), "faire venir de la matière première du Ghana occasionne un surcoût de FCFA 25 000 la tonne transportée. Le différentiel de transport entre Ouagadougou et Bobo-Dioulasso s’est aggravé avec la crise. "

Mais, l’industrie pèse très peu dans l’économie burkinabè. Le secteur secondaire contribue pour moins de 20% à la formation du PIE réel. L’impact n’a donc pas étéressenti au niveau macroéconomique. Pour le doyen Souleymane Soulama, professeur de sciences économiques à l’université de Ouagadougou, la région de Bobo-Dioulasso ne remplit plus, depuis un certain temps, sa mission de capitale économique du Burkina Faso. "On assiste à une sorte de désenclavement du pays au détriment de BoboDioulasso. L’effet de carrefour, de plaque tournante, que jouait cette région risque d’être de moins en moins vrai. De plus, la crise ivoirienne a fait évoluer les mentalités et a modifié les réflexes pour l’approvisionnement", analyse-t-il.

Dans cette région, le secteur informel a pris le relais. Un mouvement commercial s’est recrée à la frontière. Des huiles, des savons, des cigarettes, toutes ces marchandises fabriquées dans les usines de Bobo-Dioulasso et de Banfora circulent de nouveau de part et d’autre de la frontière. "Outre le rail et la route, la frontière n’a probablement jamais été fermée. Cela handicape le secteur formel mais les échanges de l’informel ont sans doute continué", indique M. Paul Bonnefoy de l’Union européenne.

L : élevage a également été fortement touché. Les exportations dans ce secteur ont chuté de 65% en 2002 et la tendance devrait continuer cette année car la Côte d’Ivoire représente près de 40% des exportations de bovins burkinabè. Pourtant, de nombreux éleveurs passent par le Ghana pour alimenter la zone Sud de la Côte d’Ivoire.

Le coton épargné

Il est un secteur qui, s’il avait été ébranlé par la crise, aurait pu sérieusement déstabiliser l’économie tout entière. En raison de son importance pour le Burkina Faso, le coton a été particulièrement suivi par les bailleurs de fonds et le gouvernement.

La crise ivoirienne a eu un double impact. Dans un premier temps, les ventes ont été différées, ce qui a occasionné des stocks importants et un engorgement. Les délais d’embarquement des exportations ont augmenté, des aires de stockage ont dû être aménagées dans les ports. La Sofitex avait heureusement loué des entrepôts au Ghana avant la crise, ce qui a permis d’amortir un tant soit peu le choc. Les usines d’égrenage ont fait face à des frais financiers supplémentaires en raison d’un écoulement plus long. Le prix du transport a considérablement augmenté et les charges financières se sont creusées.

Les intrants sont en général achetés dans des entreprises implantées en Côte d’Ivoire. En début d’année, la Sofitex était très inquiète quant aux surcoûts sur les intrants. Le fait de s’approvisionner dans un pays extérieur à l’Uemoa risquait d’augmenter considérablement les coûts par l’effet cumulé du Tarif extérieur commun (TEC), du transport et de la logistique. Finalement, le surcoût a été deux fois moins important que prévu. Il s’est fixé à environ FCFA 25 le kilo. L:Etat l’a pris en charge en accord avec les bailleurs de fonds. "Cette crise a montré le caractère artificielle de la prétendue dépendance avec les entreprises ivoiriennes ", constate Yves Jorlin, directeur de l’AFD à Ouagadougou.

Paradoxalement, les recettes fiscales augmentent

Aucune analyse quantitative ne permet d’évaluer objectivement l’impact de la crise ivoirienne sur l’économie burkinabè. Les effets sur les finances publiques sont difficilement quantifiables. Les partenaires au développement avaient prévu, compte tenu du recul de l’activité, un impact fiscal négatif. Finalement, les recettes augmentent en 2003. rAFD indique que, selon des estimations des recettes fiscales à juin 2003, les réalisations hors droits de douane auraient largement dépassé les prévisions dans la région de Ouagadougou compensant presque totalement l’écart négatif entre prévision et réalisation dans la région ouest. Cela est essentiellement dû au fait que la région de Ouagadougou n’a pas connu de baisse d’activité importante au cours du premier semestre 2003. En intégrant les droits de douane, les résultats fiscaux sont tout aussi satisfaisants. En temps normal, les produits venant de la Côte d’Ivoire sont exonérés de droits de douane lorsqu’ils rentrent sur le territoire burkinabè. Compte tenu de la réorientation du commerce, les produits viennent du Ghana, du Nigeria, voire du Sud est asiatique. Ils paient donc des droits à l’entrée. Pour les premiers mois de l’année, le Burkina Faso est même allé au-delà des provisions en termes de recettes fiscales. Cet excédent se monte à plus de FCFA 10 milliards cumulés pour les dix premiers mois, selon le FMI.

Pas de mouvements massifs de réfugiés

Les craintes de rentrées massives de réfugiés burkinabés sur le territoire national ne se sont pas concrétisées. Plus de 3 millions de personnes d’origine burkinabè vivent sur le territoire ivoirien. Des champs d’accueil avaient été imaginés. Le retour massif d’immigrés vivants dans les villes ivoiriennes risquait d’alimenter la population sans abri des rues de la capitale. Au début de la crise, les autorités du Burkina Faso ont lancé une opération de grande envergure, l’opération "Bayiri", pour rapatrier 10000 à 15 000 personnes. Par la suite, des réfugiés ont continué à être accueillis à Pô et à Ouagadougou.

Selon les chiffres officiels, plus de 300 000 personnes auraient été rapatriées. Ce nombre laisse dubitatifs les bailleurs qui penchent pour une manipulation du gouvernement dans le but de recevoir plus d’aides. "Nous n’avons jamais vu de mouvement massif pas d’installation de camps, pas de secours importants. Aucun élément ne permet de confirmer ni d’infirmer le chiffre officiel. Les réfugies sont entrés par leurs propres moyens et se sont dispersés ", indique-t-on à l’Union européenne. Quelques bailleurs bilatéraux et multilatéraux comme la Banque mondiale, ont tout de même augmenté leur apport sous forme d’appui budgétaire et d’aide aux réfugiés.

L’impact sur les transferts financiers n’a, en tout cas, pas été significatif. L’analyse de la balance des paiements indique que, jusqu’en 1994-95, les travailleurs burkinabètransféraient jusqu’à FCFA 80 milliards par an. Il y a 2 ans, il n’y avait plus que FCFA 30 milliards de transferts sans contrepartie. Mais, depuis le coup d’Etat de Noël 1999, beaucoup de Burkinabè et de riches Ivoiriens ont ouvert des comptes à termes dans les banques du Burkina Faso. Ils craignaient une confiscation de leurs biens et ont donc profité de la liberté des transferts de capitaux dans la zone Uemoa. Ces opérations sont visibles dans la balance des capitaux.

Le fret ferroviaire pas assuré
La frontière est rouverte depuis le mois de septembre, mais les échanges sur l’axe Abidjan-Bobo-Dioulasso sont très timides. Le train fonctionne de nouveau. Il est sécurisé au Sud de la Côte d’Ivoire par les forces gouvernementales, au Nord par les forces nouvelles puis arrive au Burkina Faso. Pour l’instant, les compagnies d’assurances ne garantissent pas les marchandises qui passent par le rail. Les convois routiers sont toujours bloqués.

Le comité de coordination et de suivi du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire s’est réuni début octobre à Abidjan. Il a donné des consignes pour la poursuite et le renforcement des mesures de sécurité et d’escorte en vigueur sur le trafic ferroviaire en collaboration avec la Sitarail. La reprise du trafic routier passera par la mise en place d’un système d’escorte limitant le nombre de véhicules à 50 et par l’organisation de convois spéciaux pour les denrées périssables. A terme, le comité prévoit une amélioration de l’escorte des convois de marchandises pour baisser les contrôles et favoriser une plus grande fluidité du trafic.

Les prévisions pour 2004 ne sont pas très optimistes. Le coût des transports risque de peser lourdement sur les entreprises. Les routes commencent à fatiguer. La reprise effective et de grande envergure du train est appelée de tous leurs vœux par les opérateurs économiques.

Vincent Joguet


Enquête de l’Institut national de la statistique

L’Institut burkinabè de la statistique a présenté, en juin 2003 selon l’AFD, les premiers résultats d’une enquête menée en février auprès d’entreprises nationales sur le coût de la crise ivoirienne. Tous les secteurs ont été analysés. 4,5% des entreprises enquêtées ont indiqué un arrêt d’activités lié à la crise, surtout dans le secteur des transports (12,5%). Les deux tiers des entreprises ont annoncé une baisse temporaire de 10 à 25% de leur activité.

Avant la crise, les ports voisins constituaient la source d’approvisionnement de 87% des entreprises : 44% passaient par Abidjan. Depuis septembre 2002, les marchandises transitent pour 54% par le Togo et pour 44% par le Ghana. Les entreprises indiquent majoritairement une augmentation du coût de l’approvisionnement qui dépasse 10% dans 80% des entreprises interrogées. Avant la crise, 34% exportaient vers la Côte d’Ivoire et 31 % transitaient par elles ; 55% des entreprises ont subi une chute des quantités exportées. Les deux tiers des entreprises ont maintenu leurs prix mais les augmenteront si la crise dure : 70% ont pu honorer les commandes passées avant la crise. lly a eu 2 148 pertes d’emplois, dont 1 485 permanents. Une majorité maintient les projets d’embauche et d’investissement en 2003.

V. J.
Marchés Tropicaux Spécial Burkina (12/12/2003)
www.moreux.fr

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