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Trente ans de recherches ethnobotaniques : La synthèse de Ouétian Bognounou

Publié le lundi 5 janvier 2004 à 11h35min

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Un pionnier de la recherche scientifique au Burkina Faso vient d’achever la synthèse de ses travaux de botanique et d’ethnobotanique. Afin de partager avec le public le capital de savoir de ce chercheur, l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) a organisé le 23 décembre dernier, une conférence sur les trente (30) dernières années de recherches (ethno) botaniques au Burkina Faso.

A la confluence des sciences sociales et biologiques, "l’ethnobotanique est l’étude des relations que l’homme entretient avec son environnement végétal.

L’ethnobotaniste, à cet égard, se doit de répondre à un certain nombre de questions : Comment les hommes, quels qu’ils soient et où qu’ils soient, voient-ils, comprennent-ils leur environnement végétal, comment s’y insèrent-ils ? Et comment en reconnaissent-ils les éléments ? Quelle est la signification culturelle des végétaux ? Quelles sont les origines, les usages, les propriétés et la valeur économique de ces derniers ?"

Arriver à rendre compte de 3 décennies de recherches scientifiques n’est pas un exercice d’écolier. Surtout dans un domaine aussi vaste. En fait, il s’agit de répondre à une autre question du genre de celle posée à Théodore Monod, directeur de l’IFAN de 1938 à 1965, par Philippe de Tonnac, écrivain et journaliste au Nouvel Observateur. Question dont voici la teneur : "Nous sommes dans un monde magique. Nos savoirs sont malheureusement parcellaires, épars et tellement étendus dans chaque discipline qu’on voit mal qui pourrait faire une synthèse significative. Il manque aujourd’hui une vision d’ensemble, vous ne croyez pas ?".

C’est cette vision d’ensemble que l’INERA a demandé à Ouétian Bognounou de dégager, sur la base de son expérience de chercheur. Pour ce faire, l’ethnobotaniste s’est appuyé sur de nombreuses sources dont le "Bref aperçu histoirio-bibliographique concernant la recherche botanique en Haute-Volta" et "l’Histoire de la connaissance de la végétation et de la flore du Burkina Faso : de l’époque des explorateurs à nos jours" (en collaboration avec Jeanne Millogo-Rasolodimby et Sita Guinko). Quant aux travaux personnels de Ouétian Bognounou, ils sont étendus et diversifiés, constituant le trésor d’une vie consacrée à l’acquisition du savoir utile.

La voie de la connaissance utile

Faisant siennes les pensées de Diderot et du Dr. Pham Ngoc Thach du Vietnam, Ouétian Bognounou affirme avoir fondé sa carrière de chercheur sur deux conceptions-piliers : "Je distingue deux moyens de cultiver les sciences : l’un d’augmenter la masse des connaissances par des découvertes ; c’est ainsi qu’on mérite le nom d’inventeur ; l’autre de rapprocher les découvertes et les ordonner entre elles, afin que plus d’hommes soient éclairés, et que chacun participe selon sa portée, à la lumière de son siècle...".

D’autre part, "la recherche est comparable à l’exploration d’une forêt vierge. Si on suit les pistes qu’ont frayées des gens mieux équipés, plus expérimentés, on ne peut plus glaner grand-chose. Il faut étudier soigneusement ce qu’ont fait les autres, essayer d’acquérir les connaissances scientifiques les plus modernes mais frayer sa propre voie". Pour sa part, Ouétian Bognounou a trouvé sa voie dans un domaine qui le passionne depuis la jeunesse : la nature verte, l’univers des plantes. C’est-à-dire la botanique en général et l’ethnobotanique en particulier.

La synthèse de ses travaux se compose de quatre volumes traitant de thèmes majeurs : Taxonomie et floristique ; phyto-écologie ; environnement et éducation environnementale ; et enfin, ce secteur de connaissance pour lequel il a un penchant particulier : l’ethnobotanique. Ce faisant, il n’a fait qu’emprunter le chemin tracé par d’autres, bien avant lui. C’est lors de la préparation du symposium de Farakoba sur la recherche scientifique (sous le CNR), précise Bognounou, que s’est posée la question de savoir s’il n’a pas existé en Afrique des "chercheurs traditionnels", des hommes du savoir aux connaissances étendues mais malheureusement non écrites.

Car malgré l’absence d’écrits, l’Afrique n’a pas méconnu la science : de nombreux savoirs locaux existent, qui ont été acquis grâce à ces hommes de sciences traditionnelles, notamment dans le domaine agricole (plantes domestiques), zootechnique (maîtrise parfaite des espèces animales) et dans le domaine de la pharmacopée et médecine traditionnelles. C’est pourquoi, estime le chercheur, "Nous nous devons d’avoir une certaine humilité lorsque nous prétendons parler de recherches botaniques et ethnobotaniques".

Ethnobotanistes d’hier et d’aujourd’hui

Humilité qui oblige à considérer quatre grandes périodes dans la quête de ce type de savoir. D’abord la période des explorateurs qui débute avec les voyageurs/géographes arabes et berbères dont Ibn Batouta ; puis celle des explorateurs européens dont le premier connu est Barth (1853), qui entra par le Yagha (région de Sebba) en juillet 1853, avant de sillonner le Liptako (Dori) et de sortir par Arbinda. Binger, Voulet et Monteil sont également de cette période, qui explorèrent différentes régions de l’actuelle Burkina Faso. La deuxième période est celle des conquêtes coloniales et des expéditions botaniques en tant que telles. C’est le nom de Chevalier Auguste qui vient en premier par rapport à cette période. "Sa première mission au Burkina Faso date de mai 1899. C’est le début des vraies recherches avec une phase de prospection botanique et d’inventaire des ressources".

Outre Chevalier, on doit à Perrot (1927-1928), Begue (1937) et d’autres, les travaux de cette période. C’est à partir de 1954, que commença la troisième période de recherches botaniques et ethnobotaniques au Burkina Faso. Avec Théodore Monod qui créa le Centre IFAN de Haute-Volta en 1954, Guy Le Moal en étant le premier directeur de Centre, et Bozi Bernard Somé, Winkoun Dénis Hien, Joseph Ouédraogo et Paul Rouamba comme chercheurs et assimilés. Enfin, la recherche dans un cadre universitaire vint introduire une nouvelle époque pour les botanistes et ethnobotanistes. C’est ainsi que la création du Centre d’Etudes supérieures en 1968 et celle de l’Université de Ouagadougou en 1974 dynamisèrent les recherches en impliquant directement des nationaux.

Depuis lors, "on note un accroissement exponentiel de ces recherches sous formes de mémoires d’ingénieurs divers, de DEA, de thèses de troisième cycle, de thèse d’Etat/PHD". De l’avis de Ouétian Bognounou, ces chercheurs nationaux devraient bénéficier d’un meilleur encadrement matériel et financier de la part de l’Etat. Ce serait un plus indispensable : "L’élaboration d’un plan stratégique de la recherche scientifique et le PNDSA I et II témoigne d’un certain engagement politique qu’il convient de souligner. Ceci est à saluer mais l’effort doit se poursuivre", plaide Bognounou.

Sibiri SANOU


Les enjeux de l’ethnobotanique

La connaissance des plantes n’est pas une question occulte. Disons, pour restituer les choses, qu’il a existé une médecine et une pharmacopée traditionnelles en Afrique depuis la nuit des temps.

C’est grâce à celles-là que nos parents dans les sociétés africaines ont pu subsister, même avant tout contact avec l’extérieur. Malheureusement, cette médecine et cette pharmacopée traditionnelles ont été négligées pendant la période coloniale.

Nos tradipraticiens ont même été pourchassés parfois. Heureusement que le code de santé actuel leur reconnaît un droit de pratiquer leur science. Il existe même diverses associations qui militent de façon à leur assurer un droit de cité. Cette médecine et cette pharmacopée traditionnelles sont essentiellement fondées sur les plantes, même s’il y a aussi des produits d’origine animale ou minérale. A cet égard, l’ethnobotaniste que je suis ne pouvait pas ne pas être impliqué dans les recherches sur la médecine et la pharmacopée traditionnelles. C’est ainsi que j’ai eu à travers le Burkina profond beaucoup d’amis tradipraticiens, j’ai beaucoup appris auprès de ces tradipraticiens.

Leur savoir repose essentiellement sur des plantes, mais attention ! L’Afrique est beaucoup complexe. Avant de soigner quelqu’un, on l’interroge, on explore pour poser un diagnostic sur les causes de sa maladie. Lorsqu’une maladie est très grave en Afrique, la société se pose des questions pour y trouver des causes profondes. On peut en conclure que le patient a transgressé un certain interdit ou qu’il a posé un acte grave, ce qui serait à la base de sa maladie.

Ce sont des croyances, et il faut les prendre telles qu’elles sont, même si, à l’analyse, on voit bien que c’est un agent pathogène qui est à la base de la maladie. Ces croyances font qu’en plus de l’administration des plantes, il y a aussi des rites d’exorcisme pour éloigner le mal.

De mon point de vue, ces rites ne sont d’ailleurs pas à négliger dans la mesure ou cela peut sécuriser le malade. Parce que le malade dans l’Afrique traditionnelle n’est pas comme le malade en Europe.

Il a besoin d’être sécurisé sur le plan psychique, tout en lui donnant la plante qui va combattre le germe pathogène.

Enjeux de développement

Lorsqu’on parle de santé, il est évident qu’il s’agit d’un secteur stratégique. C’est le professeur Ki-Zerbo qui disait lors d’un colloque que la santé est un bien précieux qui conditionne la jouissance des autres biens. Si vous êtes malade, vous avez beau être milliardaire, vous ne prouvez pas en jouir. C’est pourquoi la santé est un domaine stratégique. Pour le développement d’un pays, il faut que les populations soient en bonne santé. Donc tout ce qui peut concourir à la bonne santé des populations est d’importance capitale.

Concernant l’application pratique de nos recherches en tant qu’ethnobotaniste, c’est aux chimistes, aux pharmaciens, aux biochimistes de voir les principes actifs des plantes pour en faire bon usage. Comme le fait admirablement le docteur Dakuyo à Banfora : trouver des formes simplifiées de préparation de médicaments à partir de plantes.

Donc le botaniste ou l’ethnobotaniste ne constitue qu’un maillon d’une longue chaîne. Voilà pour l’aspect médicinal. Mais l’ethnobotanique, c’est aussi les plantes cultivées. Vous savez que l’Afrique a été un grand berceau de l’agriculture.

C’est un aspect auquel l’ethnobotaniste s’intéresse. Je reviens justement de Bamako, où j’ai participé avec d’autres collègues à un atelier sur la bio-diversité biologique organisé par la FAO et la GTZ . J’y étais au nom d’une association de la société civile, la fondation NATURAMA. Dans le cadre de cet atelier, on a fait le point de l’état de connaissances traditionnelles en matière de plantes cultivables, de plantes domestiquées. Le but étant de sauvegarder la diversité biologique".

A propos des OGM

A l’atelier de Bamako, il a aussi été question des OGM. Parce qu’au Mali, de même qu’au Burkina Faso, il y a un projet de culture de coton biologique (écologique si vous préférez). Je crois qu’il y a une prudence à observer au niveau de l’Etat qui veut s’entourer de garanties dans ce domaine. La société civile n’est d’ailleurs pas indifférente à ce sujet. Il ne s’agit pas d’être contre la biotechnologie, mais il convient d’être prudent, car on ne sait pas toujours où cela peut mener. Le principe de précaution, invoquer par le ministre Salif Diallo en la matière, est très important".

Propos de Ouétian BOGNOUNOU
Retranscrits par Sibiri SANOU


Ouétian Bognounou, un exemple d’humilité scientifique

Pour l’observateur non averti, le parcours scientifique de Ouétian Bognounou est bien trompeur.

Trompeur, au sens d’un cheminement de valeur indéniable, mais qui ne répond pas aux normes d’une carrière universitaire marquée du sceau des parchemins, ces prestigieux diplômes qui réflètent un niveau de connaissance réel de la part de celui qui les possède, mais aussi hélas, dans certains cas fâcheux, ne sont qu’un paravent pour masquer la profonde nullité de celui qui les exhibe. Ces vrais faux diplômes existent aussi, des titres ronflants et profonds, profonds au sens de creux, de vides, il est chevalier de l’Ordre national et chevalier des Palmes académiques. Mais cet homme de grande stature (au sens propre du terme) et à l’allure imposante dont les collègues soulignent volontiers l’altruisme et l’humanisme, la générosité et l’honnêteté intellectuelle, cet homme ne serait-il pas de la lignée de ces chercheurs, découvreurs et autres inventeurs d’autrefois ? Ceux dont la catégorie est de ceux qui aujourd’hui encore font avancer la science ? Ceux qui, passionnés et absorbés par l’objet de leur quête scientifique, n’ont plus guère ce temps, ne se préoccupent plus d’accumuler des reconnaissances quelconques.

Pas que les diplômes et titres scientifiques soient seulement honorifiques ou inutiles, quoique les authentiques et les "vraiment méritoires" soient plus rares qu’on ne le pense, mais c’est tout simplement une question de parcours. Un parcours sous le signe du sacerdoce. Dans un article consacré à Ouétian Bognounou parce qu’il est "sans conteste le plus ancien, l’aîné des chercheurs (...) au CNRST, monument vivant et témoin privilégié de l’histoire de la jeune recherche burkinabè ainsi que des mutations survenues au centre depuis les années 60", O. Kaboré, chargé de recherche au CNRST écrivait ceci : "Les jeunes qui veulent faire la recherche doivent cultiver un certain nombre de qualités, selon Bognounou qui cite le Pr Auguste Chevalier :

- avoir un haut idéal moral et l’esprit positif ;

- avoir une culture générale étendue ;

- avoir le respect profond de la vérité (car le mensonge scientifique est un crime) ;

- sentir le besoin de publier dès qu’un résultat est acquis scientifiquement ;

- avoir beaucoup d’initiatives créatrices, du caractère et un peu de désintéressement ;

- observer un certain devoir de réserve sur le plan politique (sans que cela soit de l’apolitisme). Ces qualités, Bognounou s’est toujours efforcé de les développer, puisse en souffrir sa modestie". Parce que, il faut le reconnaître, cet ethnobotaniste burkinabè est vraiment modeste, disent ses collègues. Nombreux sont ces collègues chercheurs, à avoir rendu ou voulu rendre témoignage à sa contribution dans l’univers de notre recherche scientifique, lors de la conférence animée par lui, le mardi 23 décembre dernier dans l’Amphithéâtre de l’UFR/SVT, à l’Université de Ouagadougou.

Bachelier en sciences expérimentales du lycée Terasson de Fougères à Bamako (actuel lycée Askia Mohamed), licencié de sciences naturelles d’enseignement (option science de la terre) de l’Université de Besaçon en France, il obtient son diplôme d’étude approfondie de botanique tropicale à l’Université de Paris en 1967-68, avant d’être rappelé au pays par le gouvernement voltaïque de l’époque "pour qui la thèse n’était pas vraiment une priorité".

Une fois revenu au pays, commença alors pour Bognounou une riche carrière d’enseignant et de chercheur, faite de missions sur le terrain, au Burkina comme à l’extérieur, en tant que botaniste et ethnobotaniste, œuvrant pour le développement d’une recherche scientifique nationale dans des domaines comme la médecine et la pharmacopée traditionnelles, l’environnement et la gestion des ressources naturelles. A ce titre, "il a presque fait le tour du monde".

"L’ethnobotaniste qu’il est souligne avec force le rôle décisif des sciences sociales et humaines dans la connaissance approfondie de nos sociétés. Puis, de manière plus large, il perçoit la recherche comme indispensable à l’amélioration des conditions de vie dans notre pays. Sans elle, beaucoup d’actions de développement relèveront de l’empirisme avec des résultats aléatoires".

Sibiri SANOU
Sidwaya

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