LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine.” Montaigne

Massacre de Yirgou : 100 jours après, toujours rien

LEFASO.NET | Par Nicole Ouédraogo

Publié le jeudi 11 avril 2019 à 21h25min

PARTAGER :                          
Massacre de Yirgou : 100 jours après, toujours rien

Trois mois après le drame de Yirgou, justice peine à être rendue. Au cours d’une conférence de presse organisée ce jeudi 11 avril 2019, le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) a dénoncé un manque de volonté politique dans le traitement du dossier. Les atrocités survenues à Arbinda, les exécutions extrajudiciaires commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ont également été évoquées au cours de cette rencontre.

Au Burkina, on se rappelle toujours cette horreur du 1er janvier 2019 qui aurait entrainé la mort de 210 hommes et plus de 5000 victimes et déplacés. Près de 100 jours après, les lignes n’ont pas bougé. Pourtant, 130 suspects sérieux ont été identifiés comme étant des personnes ayant participé aux massacres. « Personne n’a été arrêté jusqu’à ce jour. Il y a des risques sérieux que ces suspects se soustraient à la justice », a noté le porte-parole du collectif, Daouda Diallo, soulignant qu’il y a un manque de volonté politique de procéder à l’arrestation des suspects.

Et l’avocat du collectif, Me Ambroise Farama, d’évoquer un délit de justice. « Au regard de la gravité des crimes qui ont été commis, pourquoi ces personnes sont-elles toujours libres ? Nous pensons que pour des crimes ou des infractions moins importantes que le massacre de Yirgou, des personnes sont arrêtées et privées de leur liberté », a-t-il commenté.

Pour le collectif, la légèreté dont l’Etat a fait preuve dans le traitement du dossier de Yirgou aurait permis aux terroristes de récidiver avec la même atrocité à Arbinda. « La réaction de l’Etat n’est pas à la hauteur des attentes. Le décompte macabre fait par le gouvernement fait ressortir 62 morts. Mais des informations recoupées du CISC font état de 100 morts », a déclaré Daouda Diallo, soulignant que des membres de la communauté peule et fulsé (confondus par le faciès aux peulhs) ont été particulièrement visés dans cette horreur.

De l’évolution du bilan macabre des drames de Yirgou et d’Arbinda, l’organisation dit avoir mené un travail d’investigation. A titre d’exemple, le porte-parole du CISC confie : « Dès le début du massacre à Yirgou, nous avons envoyé des équipes sur le terrain qui ont séjourné avec les victimes et qui ont contribué au recensement des déplacés. (…) A partir du moment où on a commencé à divulguer les chiffres, certains acteurs de l’administration se sont braqués et ont commencé à fermer le site ».

Dans la même veine, Me Ambroise Farama soutient qu’il n’est pas question d’une guerre des chiffres. « Nous avons donné les identités et les villages dans lesquels ces personnes ont été tuées. Bien que la liste ait été publiée village par village, nous n’avons jamais reçu une contradiction formelle avec une identité d’une personne retrouvée et relevant d’un village précis ; ce qui crédibilise les résultats de notre enquête » a-t-il justifié.

Le Burkina est en train de perdre une valeur …

Si à Yirgou, le collectif n’hésite pas à évoquer un crime de génocide contre la communauté peule, la situation n’est pas meilleure à Arbinda. La Secrétaire chargée de la mobilisation féminine, Apsa Diaby/ Diallo, ne dira pas le contraire. « J’ai mal pour toutes ces femmes qui ne savent pas quoi faire. Nous avons marre de nous retrouver avec des orphelins sous les bras. Il y a des femmes qui se retrouvent sur les sites avec 9 enfants. En tant que Burkinabè, est-ce que la vie d’un Peul ne vaut pas celle d’un Mossi ? Il faut que nos autorités prennent la mesure de ce qui se passe sinon on risque de créer une société où les enfants seront des aigris, une société où un enfant peul sera traité de terroriste à l’école », a-t-elle déploré. Puis de poursuivre : « Quand on n’aura plus la possibilité de parler, que ferons-nous ? ».

Se référant par ailleurs au communiqué de l’Etat-major des armées en date du 4 février 2019 annonçant la neutralisation de 146 terroristes, les conférenciers indiquent être saisis au lendemain dudit communiqué par les parents des victimes de cette opération. « Ils affirment que c’est la troisième fois depuis 2016 que nos FDS commettent des exécutions extrajudiciaires dans leur village », a relevé Daouda Diallo.

Soulignant que le collectif n’a pas la prétention d’affirmer qu’il s’agit de personnes innocentes, Daouda Diallo estime que dès lors que l’identité d’une personne n’est pas vérifiée et que c’est le faciès seul qui sert de critères, il y a une crainte légitime d’assister à l’extermination d’une communauté.

Au final, confie le porte-parole du CISC, les populations disent être prises en étau entre des islamistes qui menacent d’exécuter ceux qui collaborent avec le gouvernement et les FDS qui attendent d’elles des renseignements sur la présence des groupes armés et n’hésitent pas à leur infliger une punition collective si elles n’en fournissent pas.

Invitant le gouvernement à assumer ses responsabilités, le CISC exige que justice soit rendue pour le double crime de Yirgou et Arbinda, la fin immédiate des exécutions extrajudiciaires en cours, l’ouverture d’enquêtes indépendantes pour situer les responsabilités sur les crimes commis.

Nicole Ouédraogo
Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos réactions (15)

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique