Paludisme au Burkina : Déjà plus de 1 700 décès en 2018
LEFASO.NET | Laurence Tianhoun (Stagiaire)
Saison des pluies rime avec paludisme, une maladie infectieuse qui continue de sévir au Burkina Faso. Pour prévenir la maladie, les spécialistes recommandent plusieurs mesures, à la fois collectives et individuelles. Pour en savoir plus, nous avons approché le docteur Vincent Nikiema, médecin généraliste. Causes et manifestations du paludisme, modes de prévention, etc., Dr Nikiema aborde plusieurs volets liés à cette pathologie. Interview !
Lefaso.net : Quelle est la situation actuelle du paludisme ?
V.N. : Le paludisme est endémique au Burkina Faso. Cela veut dire que nous avons des cas de paludisme en toutes périodes de l’année. Mais nous avons beaucoup plus de cas pendant la saison pluvieuse, parce que c’est une période favorable à la multiplication du vecteur du paludisme.
Pour vous donner quelques statistiques, si on remonte au début de l’année 2018 jusqu’à la première semaine de septembre, on a eu à notifier, au plan national, plus de 5 millions de cas de paludisme, dont plus de 250 000 cas de paludisme grave avec plus de 1 700 décès.
Seulement en une semaine, c’est-à-dire à la première semaine de septembre, il a été notifié, à l’échelle du pays, près de 300 000 cas de paludisme simple, dont plus de 140 000 cas chez les enfants de moins de 5 ans. Si vous faites un calcul rapide, vous remarquerez qu’environ 50% des malades sont des enfants de moins de 5 ans, qui constituent la couche la plus vulnérable.
Et parmi ces cas, il y a eu près de 15 000 cas de paludisme grave dont plus de 5 000 cas chez les enfants de moins de 5 ans, c’est-à-dire 40% environ. Pour vous donner l’ampleur par rapport à cette période cruciale, il y a eu, au cours de cette semaine, près de 110 décès dont 84 décès chez les enfants de moins de cinq ans ; ce qui représente près de 76% des décès. Actuellement, la maladie sévit beaucoup et la couche la plus vulnérable est constituée des enfants de moins de 5 ans qui représentent près de la moitié des cas notifiés.
Lefaso.net : Pensez-vous que la maladie a régressé cette année par rapport aux années antérieures ?
V.N. : Selon les statistiques, il n’y a pas de régression, plutôt une augmentation. Quand on analyse les chiffres de la première semaine de septembre 2018, on remarque que le nombre de cas de paludisme simple, de paludisme grave, de même que le taux de décès, sont en hausse par rapport à ceux de l’année 2017 à la même période. Cela veut dire que la maladie ne recule pas.
Lefaso.net : Quels sont les cas de complication que vous rencontrez ?
V.N. : Quand on parle de paludisme, il faut en distinguer deux formes selon la symptomatologie. Le paludisme simple, c’est celui qui se manifeste par les symptômes suscités : fièvre, céphalées, douleurs articulaires, troubles digestifs. Généralement, ce sont des prises de médicaments par voie orale qui finissent par résoudre le problème.
Quand on parle de paludisme grave, c’est quand il y a des signes de gravité qui s’y associent comme par exemple un trouble de la conscience, voire le coma ; l’anémie sévère qui peut nécessiter une transfusion sanguine, des problèmes respiratoires, l’insuffisance rénale, l’ictère…
Tout ça, ce sont des complications qui permettent de qualifier le paludisme de grave. En cette période d’hivernage, nous rencontrons toutes ces complications. Selon les chiffres, vous voyez que le nombre de décès est plus élevé chez les enfants de moins de 5 ans, parce que cette couche est plus vulnérable.
Lefaso.net : Quel est le traitement adapté en cas de paludisme grave ?
V.N. : Quand il s’agit du paludisme simple, le traitement fait appel à des combinaisons appelées Combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA), selon le protocole national. Ce sont des combinaisons qui permettent de prendre en charge facilement le paludisme simple.
Lorsqu’il s’agit de paludisme grave, ça veut dire que les organes nobles sont très rapidement affectés et le pronostic vital est vite engagé. Voilà pourquoi ce traitement se fait en hospitalisation et par voie veineuse, et fait appel à des médicaments tels que l’artésunate ou la quinine en forme injectable.
Lefaso.net : Il y a souvent confusion entre paludisme et dengue ; comment peut-on les distinguer ?
V.N. : Effectivement, les signes se ressemblent parce que dans la dengue, on n’a les céphalées, la fièvre, des troubles digestifs ; donc il est difficile de faire la différence. D’où la nécessité de consulter. C’est pourquoi on conseille aux gens, quand on a ces signes actuellement, à cause de ce contexte de dengue, d’aller consulter et c’est à l’agent de santé de faire cette différence en faisant des examens de laboratoire.
C’est après avoir fait le diagnostic, en affirmant que le plasmodium est dans l’organisme, qu’on peut affirmer que la personne a le paludisme. Il y a des examens comme la goûte épaisse, les tests de diagnostic rapide qui permettent de confirmer que c’est le paludisme.
Il existe également des tests qui permettent d’affirmer que c’est la dengue. On peut avoir les deux maladies à la fois ; donc pour éviter d’aller à la gravité, il faut consulter tôt, pour qu’on puisse faire des examens et faire la part des choses.
Il faut noter une spécificité des céphalées dans la dengue qui sont souvent très violentes, retro-orbitaires (on parle de ‘douleurs derrière les yeux’). Aussi, dans la dengue il y a souvent des saignements. Mais dans le paludisme grave, on peut retrouver également des saignements.
Lefaso.net : Peut-on prévenir ces deux maladies ? Si oui, quels sont les modes de prévention ?
V.N. : Là où ces deux maladies se rejoignent, c’est au niveau de la prévention ; parce que ce sont des moustiques qui en sont les vecteurs. Mais ce n’est pas le même genre de moustique. Ils ont le même procédé de multiplication et le même environnement. Donc la prévention va faire appel à deux types d’interventions : au plan collectif et au plan individuel.
Au plan collectif, la prévention, c’est l’assainissement parce que l’on sait comment le moustique se reproduit. Donc il faut avoir un cadre de vie sain. L’État aussi a son rôle à jouer, à savoir l’assainissement dans les communes et les quartiers, le traitement des caniveaux.
Au niveau associatif, les gens doivent améliorer leur cadre de vie pour empêcher les moustiques de se multiplier dans les endroits insalubres. Par exemple détruire les récipients abandonnés qui retiennent l’eau de pluie comme les pneus usagés qu’on laisse souvent trainer qui constituent des nids de multiplication des moustiques.
Au plan individuel, chacun doit prendre les précautions pour éviter le contact avec les moustiques en mettant des grilles de protection au niveau des ouvertures des maisons, en dormant sous des moustiquaires imprégnées d’insecticides à longue durée d’action, en utilisant des répulsifs comme les crèmes anti-moustiques, les mosquitos et bien d’autres insecticides aussi bien dans la journée que dans la nuit, parce que le moustique qui transmet la dengue sévit surtout dans la journée.
Autre forme de prévention, chaque année l’État distribue des médicaments à titre préventif une fois par mois, chez les enfants de trois à 59 mois, pendant la période pluvieuse d’août, septembre et octobre. Cela a permis, depuis un certain temps, de réduire la mortalité et la morbidité au niveau de cette couche vulnérable. Aussi chez les femmes enceintes, on donne un traitement préventif pendant la durée de la grossesse pour éviter les risques pour la mère et pour le fœtus.
Lefaso.net : Qu’en est-il du vaccin anti-palu ?
V.N. : Il y a beaucoup de recherches sur le vaccin, mais en ce qui nous concerne au Burkina Faso, il y a un vaccin en cours d’expérimentation. Il est en dernière phase d’expérimentation et pourrait être disponible dans les années à venir ; on ne sait vraiment pas quand mais on est presqu’au bout du tunnel. Tous les espoirs sont tournés vers ça et on espère d’ici quelques années qu’on pourra disposer de ce vaccin.
Lefaso.net : Comment un patient qui a déjà fait un traitement du palu peut-il rechuter ?
V.N : La rechute est possible, voilà pourquoi on dit aux gens de consulter. Avec l’auto-médication, les gens peuvent mal prendre le traitement. Il y a aussi des gens, quand ils prennent le traitement, une fois que les symptômes disparaissent, ils arrêtent ; alors que le traitement a une durée donnée et la plupart des traitements du paludisme simple se font pendant trois jours. Si le patient prend par exemple le traitement en deux jours et arrête, le plasmodium n’est pas totalement éliminé de l’organisme.
Quelques temps après, le reste de plasmodium va se multiplier dans l’organisme et la personne sera encore malade. Un autre cas de rechute, c’est peut-être que la densité parasitaire est très élevée. En faisant le traitement, si le plasmodium n’a pas pu être éliminé totalement, lorsqu’on arrête le traitement, on peut faire une rechute quelques temps après.
Si on fait une consultation en bonne et due forme, le médecin va suivre le patient jusqu’à la guérison totale avant d’arrêter le traitement. Mais une personne guérie après un traitement bien conduit peut refaire un autre épisode de paludisme quelques temps après, tout simplement parce qu’elle s’est laissée piquer encore par les moustiques.
Lefaso.net : Est-ce le même traitement que vous administrez en cas de rechute ?
V.N. : Cela dépend des cas. Par exemple, dans le cas où un traitement a été conduit jusqu’à la fin et que la personne a été encore exposée aux moustiques, ce n’est pas le traitement qui est mis en cause, car la personne refait un autre épisode de paludisme, et on peut bien reconduire le même traitement sans problème. Mais si c’est avéré que c’est le traitement qui n’a pas marché, là, on change de traitement. Cependant, il faut d’abord évaluer si c’est le traitement qui n’a pas été efficace ou si c’est la personne qui fait un nouvel épisode de paludisme.
Lefaso.net : Quels conseils avez-vous à donner à la population pour éviter cette maladie en cette période ?
V.N. : Le paludisme est une maladie grave, à ne pas banaliser, et la gravité se ressent plus dans la population vulnérable surtout les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. Le conseil que j’ai à donner, c’est d’inviter chacun d’entre nous à observer les mesures de prévention aussi bien collectives qu’individuelles, car le paludisme continue de tuer alors qu’il y a la solution qui est à la portée de tout le monde, à savoir la prévention. Ne pas attendre toujours que l’État ou la mairie fassent les choses ; nous-mêmes, devant notre porte ou à l’intérieur de notre cours, il y a des choses qu’on peut faire.
Par exemple en ne laissant pas trainer l’eau dans des pots pendant des semaines, s’associer dans les quartiers pour assainir, curer les caniveaux pour que l’eau ne stagne pas, détruire les pots et autres récipients qui peuvent contribuer à la multiplication du vecteur.
Individuellement, chacun peut se protéger contre les moustiques. Protéger les enfants en leur faisant porter, le soir, des habits qui protègent tout le corps, appliquer des répulsifs sur le reste du corps, dormir sous moustiquaire, mettre des grilles de protection aux portes et fenêtres.
Aussi, je demande à la population de consulter, d’éviter l’auto-médication et surtout d’aller assez tôt dans une formation sanitaire dès les premiers signes. C’est en cela qu’on pourra éviter l’évolution vers les complications du paludisme qui peuvent aboutir à la mort, car le paludisme continue de tuer.
Interview réalisée par Laurence Tianhoun (stagiaire)
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