LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Harmonisation des législations fiscales : une condition pour une monnaie indépendante

Publié le jeudi 27 janvier 2005 à 06h58min

PARTAGER :                          

Dans l’article ci-dessous, Amadou N. Yaro explique comment l’harmonisation des législations fiscales est (aussi) une condition de la création d’une monnaie indépendante.

La question de la déconnexion monétaire entre les pays de la zone CFA et la France (et depuis quelques années l’Union européenne) a longtemps été confinée dans les cercles et cadres de réflexion de chercheurs et d’associations universitaires surtout. Mais depuis la dévaluation du franc CFA le 12 janvier 1994 et à la suite de la création et la mise en circulation de l’euro, le débat s’est popularisé. Au-delà des passions que cette question suscite, il faut dire qu’il y a des conditions techniques, parmi lesquelles l’harmonisation des législations fiscales des pays africains concernés.

L’harmonisation de la fiscalité est une des conditions essentielles de la création d’une monnaie unique, indépendante et librement convertible sur les marchés internationaux. Avant d’analyser quelques raisons de cette affirmation, il importe de comprendre ce que veut dire harmonisation des législations fiscales, car c’est à dessein que ces termes ont été employés.

L’harmonisation de la fiscalité veut dire que les pays décident de s’imposer les mêmes principes généraux de gestion de leurs impôts et tout l’environnement juridique et institutionnel de la fiscalité. En effet, il s’agit d’avoir la même compréhension de l’assiette, de la liquidation et du recouvrement de l’impôt, la même compréhension des éléments constitutifs de l’impôt que sont la matière imposable, la personne imposable, le fait générateur, l’exigibilité, etc. Par exemple, qu’est-ce que l’on entend par impôt direct et impôt indirect ?

Il ne faut pas que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) soit un impôt indirect pour certaines législations alors qu’elle est considérée comme un impôt direct dans d’autres législations. Il faut par exemple accepter que la double imposition ne doive pas être pratiquée à l’intérieur de la zone monétaire, c’est-à-dire que si un revenu est touché par un impôt dans un pays, que ce revenu ne soit pas frappé par un impôt de même nature dans un autre pays. Il faut admettre le principe même de l’imposition de tout revenu ; en somme, que certains pays ne soient pas des refuges fiscaux, des formes de paradis fiscaux, alors que d’autres sont obligés de fiscaliser tous les revenus parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement.

L’harmonisation des législations fiscales ne veut cependant pas dire uniformisation des lois fiscales, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas nécessairement d’adopter les mêmes lois, rédigées dans les mêmes termes, comme un texte national. Ainsi il est possible d’avoir des taux différents, mais dans des limites ou fourchettes bien précises. Il est possible, dans le cadre de l’harmonisation, d’avoir des dates de recouvrement différentes d’un pays à un autre, etc.
A ces conditions de compréhension, l’harmonisation des législations fiscales est une des conditions de création d’une monnaie « non arrimée » à une autre monnaie et notamment à l’euro pour le cas du franc CFA. On peut avancer deux raisons principales :

L’harmonisation des fiscalités, facteur de stabilité monétaire

En créant une monnaie indépendante, les autorités doivent garantir sa stabilité pour qu’elle soit crédible. Il faut la stabilité monétaire pour que les populations aient confiance. L’harmonisation des législations fiscales peut contribuer à atteindre cet objectif. Il y a l’exemple des droits de douane ou fiscalité de porte. Les droits et taxes de douane sont prélevés à l’occasion du franchissement du cordon douanier, soit à l’importation soit à l’exportation. Dans les deux cas, il s’agit de charges financières dont le montant doit être connu et suivi par les autorités monétaires.

En achetant à l’étranger, l’opérateur économique « sort de l’argent » à destination de son partenaire, d’où la nécessité d’avoir des devises susceptibles d’être garanties par la banque centrale, sans se référer à une institution bancaire centrale d’une quelconque zone monétaire ou économique. S’il n’y a pas d’harmonisation des législations, la structure qui est chargée de veiller sur la monnaie (une banque centrale) n’aura pas un réel contrôle sur ces sorties de devises. Si l’on ajoute à ce point, les possibilités de fraudes et même une mauvaise interprétation des textes par les agents aux frontières (parce qu’ils ne sont pas nécessairement formés aux règles des autres pays), le risque est grand que les populations n’aient pas confiance à la monnaie, quand elles sont hors de la zone.

L’harmonisation des fiscalités intérieures est aussi un gage de stabilité monétaire. Lorsque tous les pays ont un même système de taxation sur la dépense (la TVA), il y a la possibilité de mesurer la circulation monétaire à l’intérieur de la zone. Lorsque le champ d’application des TVA des différents pays est le même, on évalue mieux les personnes imposables et leurs capacités contributives. Lorsque le refus de la double imposition est inscrit dans les législations de tous les pays membres de la zone, on mesure mieux la richesse à l’intérieur de cette zone.

L’harmonisation des fiscalités, facteur de croissance économique

A côté du premier objectif qui est la stabilité monétaire, il y a aussi la croissance économique. Une monnaie, unique et non dépendante d’une autre monnaie s’appuie sur des économies fiables, en progression constante, des économies qui attirent les investisseurs étrangers et qui donnent envie aux opérateurs nationaux ou de la zone d’investir sur place et non d’aller placer leurs fortunes dans des banques occidentales. L’investisseur a besoin d’abord d’une législation stable, c’est-à-dire que les règles ne soient pas modifiées à tout moment ; il a besoin de savoir que même si des changements sont possibles, que les procédures soient connues de tous et soient quelque peu draconiennes. Un espace économique où les législations fiscales sont harmonisées offre à cet opérateur cette garantie.

En effet, les procédures de prise de décision des législations fiscales étant communautaires, il y a des garde- fous. Un Etat ne peut plus décider seul de modifier une législation communautaire qu’il a intégrée dans sa législation nationale. De par le parallélisme des formes, il doit repasser par la procédure qui a abouti à la prise de décision pour la remettre en cause. Un opérateur économique a besoin de savoir qu’il ne sera pas doublement imposé s’il investit au Burkina et au Mali ou au Sénégal. Il a besoin de savoir que s’il fait venir une matière première dans la zone, il subira les mêmes taux de douane s’il choisit comme port d’entrée Lomé ou Cotonou.

Sur ces points, l’harmonisation des fiscalités lui donne cette assurance. L’espace économique harmonisé est comme un élargissement de l’espace national, en intégrant même les règles liées à la décentralisation. Un opérateur économique étranger ou national a besoin d’un marché plus large, de consommateurs plus nombreux que ceux de la zone de fabrication de sa marchandise. Un espace fiscal harmonisé lui permet d’être dans cette dynamique. En investissant au Burkina, il pourra exporter au Niger, en Côte d’Ivoire ou en Guinée Bissau, comme si le territoire était de la même zone juridique. Si l’on prend l’exemple de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), il y a la possibilité d’agréer des produits (certes à certaines conditions). Cette technique permet de vendre aux mêmes conditions, un produit aussi bien au Burkina qu’au Sénégal par exemple.

L’harmonisation des législations fiscales évite les discriminations. Les capacités de compétitivité des entreprises sont basées sur d’autres règles que la fiscalité. Le débat sur la création d’un espace monétaire en dehors de l’euro doit prendre en compte cette donnée fiscale.

Amadou N. YARO, professeur
Directeur Général du Centre d’Enseignement
à Distance de Ouagadougou
Tél : 50 39 66 37 Email : eliou@fasonet.bf

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)