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Comment redonner vie à l’industrie africaine ? (1/4)

Publié le mardi 2 avril 2013 à 21h24min

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Comment redonner vie à l’industrie africaine ? (1/4)

Il était un temps, en Afrique subsaharienne, où le mot « industrie » n’était pas tabou. Loin de là. Il suffit de feuilleter le spécial Côte d’Ivoire (décembre 1954) d’AOF Magazine, « Revue mensuelle illustrée d’information africaine », pour constater que c’était non seulement une réalité (même si elle était encore récente) mais surtout une ambition affirmée.

Le Syndicat des entrepreneurs et industriels de la Côte d’Ivoire réclamait alors des allégements fiscaux et l’encouragement aux investissements privés, la fin de l’essaimage des ressources propres de la Côte d’Ivoire « dans une multitude de territoires non rentables »*, une législation du travail équilibrée et la mise au point d’une formation professionnelle africaine. Dans les années 1960-1980, l’industrialisation de l’Afrique était encore un sujet d’intérêt (et d’études). Pierre Chauleur, administrateur de la France d’Outre-mer reconverti dans le journalisme**, avait publié « L’Afrique industrielle » (éd. G-P Maisonneuve et Larose, Paris, 1979).

En 1985, encore, l’économiste Bernard Prost, qui avait été « conseiller » auprès du ministre de l’Economie et des Finances puis du ministre de l’Industrie de Côte d’Ivoire, avait rédigé un numéro spécial de Marchés Tropicaux et Méditerranéens (27 décembre 1985) : « L’Industrie ivoirienne. Stratégie de son développement ». Quant à moi, tout au long de la décennie 1970, j’ai multiplié pour le compte d’Ediafric-La Documentation africaine, les monographies sur l’industrie dans les pays africains de la zone franc, sujet de préoccupation repris et développé lorsque j’ai obtenu la rédaction en chef de Marchés Tropicaux (1985) puis de Jeune Afrique Economie (1988).

En mai 1985, le Centre Nord-Sud de l’Institut de l’entreprise avait publié un rapport sur le bilan et les perspectives de l’industrie africaine. Il était intitulé : « Pour un vrai partenariat industriel avec l’Afrique » et était le résultat d’un groupe de travail présidé par Gérard Egnell***. Ce rapport identifiait une cause profonde de dysfonctionnement des entreprises industrielles en Afrique : l’inadéquation des procédures contractuelles et de financement, et trois séries de causes « circonstancielles » correspondant aux trois phases de développement des projets : programmation ; réalisation ; exploitation. Le bilan était particulièrement critique à l’égard du secteur privé ivoirien, « réticent ou incapable de prendre à son compte des risques industriels », sans pour autant minimiser les responsabilités des entreprises « occidentales » qu’il s’agisse des cabinets d’ingénierie (la mode était alors, dans le « tiers-monde », aux usines « clés en main ») ou des groupes industriels chargés de la gestion des unités réalisées.

Il faut se rendre à l’évidence : le discours « entrepreneurial » des années 1960-1980 a fait un flop. Les activités industrielles sont décimées partout en Afrique ; aucun projet significatif n’a été engagé dans ce secteur depuis plus de trente ans ; le nombre de pays victimes de délestages en matière d’énergie électrique ne cesse d’augmenter ; la formation professionnelle et technique a été abandonnée au profit d’une pseudo formation générale… L’Afrique a pensé être le continent des activités tertiaires, des activités de service (grâce à une main d’œuvre post-universitaire bon marché), elle n’a pas émergé dans ce domaine mais a, dans le même temps, lâché la proie pour l’ombre au nom d’une mondialisation dont, pourtant, elle savait qu’elle en avait été exclue (sauf au temps de la traite négrière et de la colonisation). En mai 1985, le « rapport Egnell » posait déjà la question : « Le gâchis constaté amène à se poser une première question : faut-il redonner vie à l’industrie africaine ? ».

L’industrie, en Afrique francophone, avait été d’abord (y compris en Côte d’Ivoire), le fait de l’Etat. Démarche s’inscrivant dans les politiques publiques en vogue : « socialisme » pour les plus idéologiques ou héritage d’une France coloniale qui avait fait des nationalisations l’outil de son développement industriel (dans un contexte particulier : au lendemain de la Deuxième guerre mondiale et alors que le monde « occidental » connaissait un boom technologique nécessitant des ressources publiques). En Afrique, les crises pétrolières de la décennie 1970 et les politiques d’ajustement structurel du FMI vont porter un coup mortel au secteur industriel.

En Côte d’Ivoire, la Banque internationale pour le commerce et l’industrie de la Côte d’Ivoire (BICIC) pouvait bien affirmer que « le dynamisme de l’industrie, qui ne se dément pas depuis plusieurs années, se traduit par une diminution de la part, traditionnellement prépondérante, du secteur agricole dans l’économie », le bulletin du FMI (mai 1981) soulignait que « les coûts élevés et la faible productivité du secteur secondaire, résultant en partie de la protection accordée aux nouvelles industries, ont entravé l’expansion des activités à vocation exportatrice dont le pays a besoin pour développer le secteur industriel, car la plupart des possibilités économiquement viables pour l’industrie de remplacement des importations sont désormais épuisées. Ce phénomène a contribué à faire stagner les investissements privés ». Jugement sans appel. Les privatisations vont être la règle. Pas plus qu’il n’y a de révolutions sans révolutionnaires, il ne saurait y avoir d’entreprises privées sans entrepreneurs privés ; en Afrique, les privés ne sont souvent que des hommes politiques publics. Faire des coups, O.K. ! Prendre des risques, no !

La privatisation des activités industrielles, parallèlement à une mondialisation imposée à tous, va accélérer la liquidation d’entreprises dont la viabilité était généralement proportionnelle à l’injection de fonds publics. Alassane D. Ouattara, ancien patron du FMI, vient de dresser**** un tableau de l’industrialisation africaine qui n’est pas fondamentalement divergent. « Comme vous le savez, des indépendances à nos jours, les pays africains ont mis en œuvre plusieurs stratégies industrielles. Ainsi, il y a eu dans les années 60 la période de l’import-substitution perçue comme la voie pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, et accélérer le processus d’industrialisation. Cette période sera suivie de la stratégie d’exportation dans les années 70. Il s’agissait de remplacer les exportations de produits primaires, notamment agricoles, par les exportations de produits manufacturés et semi-manufacturés à partir de la transformation industrielle de ces produits de base. Ces deux stratégies industrielles développées en Afrique pendant la période 60-80 ont cependant permis d’élargir la base industrielle du continent. A partir de 1980, une période de ralentissement des activités économiques va conduire à un changement de politique. Cette nouvelle politique basée sur la promotion du secteur privé s’est traduite par la privatisation des entreprises publiques et le désengagement de l’Etat du secteur productif, l’Etat devant désormais se consacrer à la création d’un environnement favorable au développement des activités industrielles avec notamment l’adoption de textes incitatifs, dont le code des investissements ».

* Au temps de l’AOF, près de la moitié des ressources fiscales de la Côte d’Ivoire était absorbée par le Budget général de l’AOF pour aider les Territoires moins favorisés de la Fédération. Selon le Syndicat des entrepreneurs et des industriels de la Côte d’Ivoire « cette ponction colossale interdit à la Côte d’Ivoire de s’outiller sur ses propres ressources, son budget propre n’étant plus qu’un budget de fonctionnement ». C’est pourquoi l’indépendance, sous la conduite de Félix Houphouët-Boigny, a été considérée, par nombre d’entrepreneurs et d’industriels locaux, français et étrangers, comme une avancée notable.

** Pierre Chauleur, docteur en droit, a été pendant plus de vingt ans rédacteur en chef de Marchés Tropicaux et Méditerranéens. Il a été également rédacteur en chef d’Industries et Travaux d’Outre-Mer, magazine mensuel, ce qui démontre que, dans les années post-indépendance et jusqu’à la fin des années 1980, il y avait un public pour ces publications : impensable aujourd’hui. La preuve en est que ces titres mais aussi Jeune Afrique Economie et quelques autres ont disparu des kiosques.

*** Gérard Egnell est mort le 12 juillet 2011 (cf. LDD Spécial Week-End 0495/Samedi 16-dimanche 17 juillet 2011).

**** 6ème réunion annuelle conjointe de la Conférence des ministres de l’économie et des finances de l’Union africaine, Abidjan, 24-25 mars 2013. Thème : « L’industrialisation au service de l’émergence en Afrique ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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