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Ouaga tente de remettre de l’ordre dans la tête des putschistes maliens tandis que Niamey observe avec attention ce qui se passe à Gao

Publié le dimanche 1er avril 2012 à 18h07min

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Ils sont venus à Ouaga. Un colonel (Moussa Sinko Coulibaly, directeur de cabinet du chef de la junte), un capitaine (Adama Diarra) et un lieutenant (Amadou Konaré, le porte-parole de la junte). Ils ont discuté avec le président du Faso, Blaise Compaoré. Ils sont repartis. Ayant laissé pensé à tout le monde qu’ils avaient compris qu’ayant fait fausse route il fallait ramener le Mali à une case départ quelque peu réaménagée. Jeu de dupes. A Bamako, le capitaine Amadou Sanogo n’a pas la même lecture des événements. Huit jours dans « le corridor des tentations » et il se prend déjà pour un chef d’Etat, ivre des paroles « encourageantes » des uns et des autres et de l’attention que lui portent les médias. Il est déjà en train d’endosser le battle-dress d’un certain Dadis Camara qui, après avoir beaucoup « déconné » à Conakry, s’est retrouvé loin de chez lui dans une niche (une belle niche !), une laisse, un collier et une médaille sur laquelle son nom est écrit en mooré.

Sanogo pense pouvoir trimballer tout le monde ; il n’a pas encore compris qu’il n’a pas les moyens de ses ambitions qui sont de bouter hors du Mali les « rébellions » (qui ont conquis, en vingt-quatre heures, Kidal, Ansongo, Bourem, Gao) avec le concours de la Cédéao et, la guerre finie, de s’ériger en chef d’Etat sauveur de la nation après avoir été un « formidable » chef de guerre. N’est pas Bonaparte qui veut ! D’ailleurs, pour le rappeler à Sanogo, Blaise a dépêché auprès de celui-ci son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale (qui est, dans les faits, bien plus que cela) : Djibrill Y. Bassolé. Histoire que Sanogo n’oublie pas que s’il n’a pas encore enfilé le collier il y a déjà quelqu’un au bout de la laisse.

Autant dire que Sanogo doit éviter de rêver : ce qu’il pense être un contrat avec le peuple malien n’est qu’un CDD. Et s’il pense pouvoir prendre les présidents de la Cédéao pour des « cons » (il fallait s’appeler Laurent Gbagbo pour oser se le permettre), il va vite déchanter dès lors qu’il va se retrouver avec ce qui est le fondement de toutes les médiations et autres facilitations mises en œuvre par Compaoré : un chronogramme. D’autant plus contraignant que la « crise malo-malienne » n’a rien à voir avec la « crise ivoiro-ivoirienne ». Dans les heures qui viennent, nous en saurons un peu plus sur les tribulations de la junte malienne. Tandis que la conquête de l’Azawad - ce « territoire de transhumance » dont personne ne connaît les limites territoriales fixées par ceux qui veulent le « libérer » - est menée avec la vitesse d’un azawakh, ce magnifique lévrier touareg capable d’atteindre des pointes de 70 km/heure et qui mérite bien son nom : « arrogant » !

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que l’objectif de la Cédéao est de « prendre toutes les mesures nécessaires pour appuyer les efforts du gouvernement en vue de la préservation de l’intégrité territoriale du Mali » et que dans cette perspective il n’est pas question d’humilier une armée dont la Cédéao aura besoin. Après tout, ce que veulent les officiers maliens, c’est d’avoir les moyens d’aller « casser » du rebelle dans le Nord.

En quelques jours, on assiste cependant à une formidable blitzkrieg à la Heinz Guderian, l’armée malienne n’étant pas plus vaillante que l’armée française lors de l’offensive allemande de l’été 1940. Depuis les « guerres du Tchad », l’Afrique subsaharienne francophone n’avait pas connu un tel déferlement de combattants. Reste à savoir comment la « révolution » touarègue (qui ne veut plus être perçue comme une « rébellion ») sera capable de gérer et de défendre les villes conquises, elle qui a fait de la mobilité son mode de vie.

Ressortons les cartes. C’est à Bourem que, le 5 novembre 2009, un Boeing cargo vénézuélien avait été incendié après s’être posé dans le désert avec, dit-on, une jolie cargaison de drogue. Aujourd’hui, depuis Bourem, au Nord, et Ansongo, au Sud, les Touareg et leurs alliés « islamistes » ont pénétré dans plusieurs quartiers de Gao, la plus grande ville du Nord après s’être emparé, hier (vendredi 30 mars 2012), de Kidal, la « capitale » des Touareg. On descend de Bourem vers Gao par la RN8 et de Gao vers Ansongo par la RN17, une route qui conduit via Ouatagouna, Ayorou, Tillabéry, Gotheye, à… Niamey, capitale du Niger. Ayorou, la première ville nigérienne, n’est qu’à 235 km de Gao !
J’ai pensé, quand les puissances « occidentales » ont entrepris de liquider le régime en place à Tripoli et, dans la foulée, le « guide de la révolution », que Niamey serait la cible privilégiée de l’opération de déstabilisation des Touareg.

Parce que Mahamadou Issoufou arrivait au pouvoir et qu’il lui fallait trouver le temps de prendre ses marques. Il n’en a rien été ; et je m’étonne aujourd’hui (plus encore, je m’en réjouis) que le gouvernement nigérien puisse se préoccuper des problèmes majeurs auxquels le pays est confronté à l’instar de tous les pays de la zone sahélo-saharienne : un déficit céréalier + un déficit fourrager qui précarise la situation du cheptel, plutôt que d’être engagé dans une nouvelle « guerre des sables ». Par le passé, et tout particulièrement ces dernières années, au temps où Mamadou Tandja était au pouvoir, c’est au Niger que la « rébellion touarègue » faisait la « une », jour après jour (le Mouvement des Nigériens pour la justice, MNJ, étant en pointe dans ce combat). C’est aussi au Niger que les prises d’otages européens les plus retentissantes ont été opérées (otages transférés aussitôt dans le Nord du Mali).

Autrement dit, nous n’assisterions pas à une insurrection généralisée des Touareg mais limitée à la conquête du Nord du Mali quand, autrefois, on évoquait un Front de libération de l’Aïr et de l’Azaough. Ce qui pourrait laisser penser que la revendication territoriale des Touareg sur l’Azawad ne serait qu’un prétexte pour créer une zone grise au confluent du Mali, de l’Algérie et du Niger, permettant l’organisation de tous les trafics.
Pourquoi « flinguer » ATT plutôt qu’Issoufou ? Parce que Niamey a eu, depuis l’an dernier, une autre approche du problème des Touareg. Le 7 avril 2011, le jour de son 58ème anniversaire, Brigi Rafini était nommé au poste de premier ministre. Maire d’Iférouane (à 300 km au Nord d’Agadez), député d’Agadez, Rafini est un Touareg.

L’agglomération où il est né le 7 avril 1953 et dont il est le maire, a été, en février 2007, le point de départ de la « deuxième rébellion touarègue » au Niger, une rébellion active jusqu’en 2009. C’est dire que Rafini connaît bien la question. Escalant à Bamako, voici quelques mois (15-16 janvier 2012), et étant reçu par le président ATT, il n’avait pas manqué de souligner que « le Mali et le Niger partagent les mêmes réalités, connaissent les mêmes difficultés ». Mais connaissant ces difficultés, il n’avait pas entrepris de les ignorer. Bien au contraire. Il a été à l’origine du Forum sur la sécurité et le développement dans l’espace sahélo-saharien qui s’est tenu, le 24 janvier 2012, à Arlit, dans la province de l’Aïr. A cette occasion, le président Issoufou a été clair et net : « Cessons donc de nous tirer des balles dans les pieds ; cessons de nous auto-poignarder. Cessons de nous diviser, de nous replier sur nos ethnies, sur nos régions.

N’encourageons plus l’irrédentisme et unissons nous […] L’unité et la paix sont à un pays ce que la bonne santé est à un homme ». Dans le même temps, le chef de l’Etat nigérien avait confirmé la mise en place d’un Programme de sécurité et de développement du Nord du Niger d’un montant de 1.200 milliards de francs CFA.

Le même problème, deux traitements différents. Il n’y a pas « d’irrémédiabilité » des « rébellions touarègues ». Il y a un traitement politique à mettre en œuvre ; et une détermination républicaine à exprimer. C’est faute d’avoir assumé l’un et l’autre qu’ATT est tombé et que le Mali a sombré dans une situation « dramatiquement » chaotique dont il n’est pas prêt de se relever. Le « drame » dans cette affaire étant que l’armée malienne – qui ne sait même pas faire ce pour quoi elle est payée : sinon mourir pour la Patrie, au moins se battre – pense qu’elle fera mieux que les politiques. Qui, eux, il est vrai, n’ont rien fait non plus. Le pays de Soundiata Keïta est tombé bien bas !

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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