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CONTESTATION DE LA CANDIDATURE DE WADE : Jusqu’où ira la défiance de la rue ?

Publié le jeudi 2 février 2012 à 00h31min

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On se rappelle qu’au plus fort de la crise libyenne, alors que les forces de l’OTAN juraient d’en découdre, usant de toute leur capacité de nuisance avec le Guide, Abdoulaye Wade, le président du Sénégal, a été le seul chef d’Etat à avoir bravé le risque de l’insécurité qui y régnait pour s’adresser à son homologue en disgrâce. Le président sénégalais avait, de la tribune du fief des rebelles à Benghazi, invité son frère et ancien ami Mouammar Kadhafi à quitter le pouvoir avant qu’il ne soit trop tard. « Plus tôt tu partiras, mieux ça vaudra », avait-il lancé à ce dernier. Les observateurs avertis de la scène politique africaine ne s’étaient d’ailleurs pas laissé duper par cette sortie de piètre effet de Wade.

L’opposant historique de Senghor et Diouf n’avait déjà plus bonne presse du fait de ses tentatives échouées de dévolution dynastique du pouvoir d’Etat. Son intention, déjà manifeste en son temps, de se succéder à lui-même après deux mandats censés être les seuls, avait fini en outre par convaincre les plus sceptiques de la négative mue politique du vainqueur de la présidentielle sénégalaise de 2000. Rien de plus étonnant donc qu’il ait du mal de nos jours à mettre en application le conseil qu’il s’était cru en droit de donner au colonel libyen. Certes, le contexte de la Téranga peut paraître différent de celui qui prévalait en Libye sous le règne de la Jamahiriya.

La révolution arabe libyenne que dirigeait Kadhafi d’une main de fer n’a absolument rien à cirer avec le système de gouvernance démocratique que le président Senghor et ses compatriotes ont réussi à instaurer dans leur pays. Toutefois, ces deux pays africains ont en commun des moments précis de leur histoire où leurs peuples ont décidé d’exprimer leur ras-le-bol face à une situation de confiscation du pouvoir d’Etat. En tant que légitime détenteur de ce pouvoir, le peuple sénégalais demande aujourd’hui à son dépositaire qui n’entend pas s’en détacher outre mesure, de le lui rendre. Tout comme l’a fait le peuple libyen en faveur de qui Gorgui a plaidé en vain auprès de son défunt homologue. S’il est vrai que vieillesse rime avec sagesse, le chef de l’Etat sénégalais doit être en phase avec sa propre logique et renoncer à sa candidature avant qu’il ne soit trop tard.

Le bel exemple en la matière ne vient pourtant pas d’ailleurs. Mieux, il a été suscité par ses prédécesseurs au fauteuil présidentiel de son pays. Mais au lieu de s’en inspirer, l’enfant de Kébémer semble lui préférer de vilaines et fâcheuses habitudes qui sont loin des mœurs politiques de ses devanciers au palais de Dakar. Ainsi, après avoir embouché la même trompette que Mamadou Tandja du Niger pour tenter de légitimer son refus de quitter le pouvoir, il a copié Blaise Compaoré du Burkina pour faire valider sa candidature. Vu l’allure qu’est en train de prendre la répression du mouvement de contestation de sa 3e candidature, il n’est point exagéré de se demander s’il n’a déjà pas fait sien le principe sanguinaire qui collait bien à la peau de Laurent Gbagbo. L’on prêtait à l’enfant de Mama, avec juste raison, le triste refrain « mille morts à gauche, mille morts à droite, moi j’avance ».

Quatre morts ont déjà été officiellement révélés au Sénégal avant même la tenue de l’élection et à seulement moins d’une semaine d’intensification des manifestations suite à la confirmation de la candidature de Wade. De combien de victimes innocentes le candidat contesté du Parti démocratique du Sénégal (PDS) a-t-il besoin pour opérer le sursaut patriotique que l’on attend de lui ? En plus de son mépris face aux protestations faites dans les rues sénégalaises, Me Wade défie désormais l’Occident dont les mises en garde n’ont pas sur lui plus que l’effet de l’eau sur les plumes d’un canard. Les Etats-Unis l’ont pourtant invité, en des termes sans équivoque, à s’éclipser au profit des générations montantes. La France n’a nullement fait mystère de sa désapprobation de voir le régime sénégalais empêcher la candidature de Youssou N’Dour et ne pas respecter comme il se doit la liberté de manifester. Des interpellations que leur destinataire a vite fait de ranger dans le registre des tentatives d’influence tout en prédisant leur échec inévitable.

Les récents ex-présidents nigérien, ivoirien et libyen ont réservé le même traitement méprisant à leur peuple et à la communauté internationale. Leur sort actuel est loin d’être enviable. Wade leur emboîtera-t-il le pas jusqu’au bout ? Jusqu’où défiera-t-il la rue et les puissances internationales qui se trouvent être les partenaires incontournables des régimes africains ? Le caractère républicain de l’armée sénégalaise et le comportement responsable de l’opposition et de la société civile de cette nation à tradition démocratique, ont, jusque-là, permis d’éviter l’escalade. Les dirigeants sénégalais sauront-ils exploiter judicieusement cet état de grâce pour se ressaisir avant que la chance et le rapport de force ne changent de camp ? L’on peut toujours y croire par optimisme mais surtout jamais s’y accrocher par naïveté. Car, l’on voit difficilement le pouvoir de Dakar renoncer à son projet pour le succès duquel il a accepté de verser dans les pratiques les moins recommandables. Nul doute donc que la campagne présidentielle qui s’ouvre dans trois jours, sera des plus électriques, l’opposition ayant écarté toute possibilité pour elle de boycotter le scrutin.

Les opposants sénégalais n’entendent pas contribuer à servir aussi facilement à Wade une victoire sur un plateau d’or. Ils sont déterminés, malgré leur incapacité à faire front commun, à défendre leurs droits jusqu’au bout. Les concurrents du président sénégalais n’hésiteront sans doute pas à faire un peu dans la provocation pour pousser ce dernier à perdre tout contrôle de la situation. A celui-ci de savoir raison garder pour ne pas commettre les mêmes crimes que Gbagbo et Kadhafi. Autrement, à défaut d’être envoyé six pieds sous terre comme le dernier, il courra le risque de rejoindre le premier dans la prison de la CPI à La Haye, peut-être même par le même vol que Hissène Habré, son protégé.

« Le Pays »

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