RAINER WILLFELD, EX-ENTRAINEUR DES ETALONS JUNIORS : « On ne peut bâtir une grande équipe en quelques mois »
Rainer Willfeld, l’ex-entraîneur allemand des Etalons juniors quitte le Burkina. A l’heure du départ, quel bilan peut-il faire de son passage à la tête de cette sélection nationale ? Le coach est satisfait du travail accompli, qui lui a valu les félicitations de ses employeurs. Mais il assène une vérité : "bâtir l’avenir du football burkinabè, c’est comme bâtir une cathédrale ou une mosquée, mais pas une petite cabane".
"Le Pays" : Comment se porte l’équipe des Etalons juniors aujourd’hui ?
Rainer Willfeld : C’est difficile pour moi de répondre à cette question aujourd’hui, parce que je n’ai plus eu contact avec les joueurs depuis août dernier, la date de notre non-qualification pour la CAN 2011. Au moment où je quittais l’équipe, elle se portait très bien, c’est-à- dire qu’on pouvait voir clairement l’empreinte du staff technique dans tous les domaines, à travers le comportement des joueurs dans les trois situations suivantes d’un match : nous sommes en possession du ballon ; l’adversaire est en possession du ballon ; la possession du ballon change. Dans ces trois cas de figures, soit nous perdons le ballon, soit nous le gagnons. Depuis 2008 que vous êtes au Burkina, quelle a été votre vision principale ?
Avec ce groupe des Etalons juniors, le football burkinabè possède une génération de jeunes aux talents extraordinaires. Le staff technique, supporté et encouragé par la direction technique nationale, a essayé de former des joueurs très ambitieux pour assurer l’avenir du football dans ce pays. Des joueurs de moins de 20 ans, qui, jusqu’à cet âge, n’ont jamais joué régulièrement des championnats des jeunes dans toutes les catégories (de U 10 à U 18), ont besoin d’apprendre tout le bagage technique / tactique du football moderne et de haut niveau et de mettre ces facultés acquises en application dans des matchs contre des adversaires forts, pour améliorer leur compétitivité.
Après le Mondial des cadets en octobre 2009 au Nigeria, nous avons pu commencer avec cette formation ambitieuse, soutenus par la Fédération burkinabè de football et le ministère des Sports et Loisirs, et nous pouvons dire que ce travail a commencé à porter les premiers fruits. Pour moi, ces premiers fruits ne sont pas les résultats des matchs et des tournois mais plutôt la manière dont cette équipe a joué : il y avait un fond de jeu, les joueurs commençaient à réaliser les exigences techniques/tactiques du staff technique dans les 3 situations d’un match comme je le disais au début de l’entretien. Au vu de ce travail, ma vision principale est très claire : aider à bâtir la base de l’avenir du football burkinabè.
Mais, comme toute formation est un travail de longue haleine, il faut répéter et répéter encore et c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et, c’est une vérité amère pour toutes les catégories du football des jeunes : il faut accepter les défaites. Naturellement on veut gagner chaque match, c’est bien clair, mais on joue d’abord pour apprendre et, après pour gagner. Le staff technique a également impliqué les joueurs dans cette vision du football burkinabè . Nous avons essayé de leur faire comprendre que « bâtir l’avenir du football burkinabè » c’est comme bâtir « une mosquée ou une cathédrale », pas une petite cabane. Il s’agit de bâtir quelque chose de très beau et de très grand, qui va durer, dont on va encore parler dans 20 ans, c’est-à-dire une équipe qui fait affluer le public au stade, qui sera la fierté de tout un peuple et qui séduira les spectateurs par sa qualité du jeu. Mais, on n’a pas bâti La Mecque en quelque mois et on ne peut bâtir une grande équipe en quelque mois.
A quels résultats avez-vous abouti ?
Naturellement et malheureusement, pour un entraîneur des jeunes, on n’est pas jugé après la qualité de son travail de formation, mais plutôt par les purs résultats et souvent d’un seul match. Mais, si on travaille systématiquement, on ne peut même pas empêcher qu’il y ait des résultats. Suite au travail de tout le staff technique, il y a eu quand même quelques bons résultats chiffrables. Avec les Etalons juniors de l’année 2008 / 2009, nous avons pu participer au tournoi de l’UFOA (4e place) et nous avons pu gagner le tournoi de la CEN-SAD à Niamey. Avec la nouvelle génération des juniors de l’année 2009 / 2010, les anciens cadets, qui étaient arrivés en 8e de finale de la Coupe du Monde de U 17, nous avons pu gagner trois grands tournois internationaux en Europe (France, Allemagne, Espagne) en jouant contre des équipes de moins de 19 ans comme l’OM, Lorient, Le Mans, OSC Lille, VFB Stuttgart, Eintracht Francfort, Mayence 05 (équipe championne de l’Allemagne), Red Bull Salzburg, RCD Mallorca, Villareal CF et autres.
Il y a aussi des résultats à notre niveau. Depuis le Mondial des cadets en 2009, beaucoup de nos joueurs sont notés dans les carnets des scouts européens. J’aimerais qu’on juge notre travail aussi par rapport au nombre de joueurs détectés et formés par notre staff technique qui joueront à l’avenir dans de grands clubs à l’étranger et qui reviendront plus tard pour servir leur pays au niveau des Etalons seniors. Je ne veux pas commencer à citer tous les noms des joueurs retenus, mais je veux vous donner l’exemple du petit Bertrand Traoré, qui n’était pas connu au niveau national avant d’être détecté par notre staff technique quelques semaines avant le Mondial des cadets en 2009.
Pourquoi quittez-vous le Burkina ?
Comme vous le savez peut-être, j’ai travaillé au Burkina en tant que coopérant allemand pour la FBF et le MSL, envoyé et payé par l’Allemagne, plus concrètement par la DOSB ((Confédération olympique et sportive allemande) et la DFB (Fédération allemande de football). Mon contrat de deux ans a pris fin le 9 octobre 2010 et les deux côtés, DOSB/DFB et moi, se sont entendus pour ne pas prolonger le contrat pour deux autres années, malgré le fait que toutes les institutions allemandes et burkinabè soient contentes de mon travail. Un satisfecit m’a été décerné, côté allemand, à travers une lettre officielle du DOSB adressée aux responsables du sport burkinabè dont j’ai reçu une copie. Elle dit entre autres : "Nous souhaitons également souligner que le DOSB et le DFB étaient on ne peut plus satisfaits du travail de l’expert et le sont toujours. Pour toutes nouvelles missions, M. Willfeld a tout notre soutien et notre totale confiance." Côté burkinabè, je vous rappelle que le président du Faso m’a décoré l’année dernière. Ayant pris note de l’expiration de mon contrat, la partie burkinabè avait exprimé son souhait que je continue de travailler avec les Etalons U 20 en tant que privé et j’ai accédé à ce souhait. Mais depuis mon retour des vacances d’été, on n’en parle plus. C’est pourquoi je dois quitter le Burkina.
Vous avez travaillé dans plusieurs pays dans le cadre du développement du sport en général et du football en particulier. Avez-vous des conseils à prodiguer au monde du football burkinabè ?
C’est très difficile de donner des conseils à quelqu’un. Mais je vais énumérer quatre points qui sont, selon moi, les plus importants pour tout développement du football : 1) Il faut instaurer un football de jeunes dans toutes les catégories d’âge et faire comprendre à tout le monde que la formation systématique des jeunes est une pierre essentielle de l’avenir du football d’un pays. 2) Il faut assurer la formation des entraîneurs de tous les niveaux, l’entraînement moderne du football n’est plus à comparer aux connaissances et aux réalités des années 80 et 90. 3) Il faut que la direction technique nationale ait le pouvoir et les moyens de concevoir et de gérer tous les problèmes et sujets footballistiques. 4) Il faut fixer, justifier et publier les objectifs d’une fédération et les évaluer régulièrement. C’est seulement sur la base des objectifs bien fixés et transparents qu’on peut juger le travail de tout collaborateur : président, SG, DTN, présidents des commissions, chefs de service, chefs de délégation, entraîneurs, joueurs, staffs médicaux, protocole, etc.
Propos recueillis par Mahorou KANAZOE
Le Pays