LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine.” Montaigne

VALLEE DE SAMENDENI : Flou autour d’un projet de 75 milliards !

Publié le mardi 3 août 2010 à 00h56min

PARTAGER :                          

Pancartes publicitaireLe Programme de développement intégré de la
vallée de Samendeni (PDIS) a du mal à se traduire dans le champ du
concret. Près de 5 ans après la promesse électorale du président du Faso
en 2005, et plus de deux ans après le lancement, les populations et les
autorités locales continuent de ronger leurs freins. Plombé par des
tâtonnements et des blocages institutionnels au plus haut niveau, un
pilotage à vue, une confusion des priorités au niveau de l’unité de
coordination, une démotivation continue du personnel, des retards
criards dans la réalisation des activités, le PDIS est, aujourd’hui, à
la croisée des chemins. Pourtant, ce sont 75 milliards de FCFA dont 32
milliards (43%) financés par le budget de l’Etat qui ont été mobilisés
pour la première phase (2008-2014).

Vendredi 25 janvier 2008. Blaise Compaoré, pilotant un tracteur, donne
le coup d’envoi de la réalisation de ce vaste chantier. Vrombissements
de la grosse machine, tonnerre d’applaudissements, crépitements de
flashs de photos… Et voici un nouvel espoir qui naît. La scène,
concoctée par son ex-bras droit, directeur de sa campagne en 2005 et
ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des
Ressources halieutiques, Salif Diallo, se passe à Samendeni, dans la
région des Hauts-Bassins, à l’occasion du lancement officiel de la
construction du futur barrage. Planifié, en plusieurs phases, sur 20
ans, dont la première couvre la période 2008 à 2014, le PDIS a pour
objectif global d’assurer le développement économique et social des
populations de la haute et moyenne vallée du Mouhoun.

Il concerne deux
régions : les Hauts-Bassins et la Boucle du Mouhoun. La phase 1 comporte
3 volets : la construction du barrage et d’une centrale hydroélectrique,
l’aménagement de 1 500 ha de périmètres irrigués sur 3 sites (Séguéré,
Niéguema et Bassora) ainsi que l’indemnisation, le déplacement et la
réinstallation des populations installées dans la cuvette du barrage. Le
lancement est intervenu un peu plus d’un an après l’adoption du décret
portant organisation et fonctionnement du PDIS (pris en Conseil des
ministres le 15 décembre 2006). Plus de deux ans après, c’est l’expectative.

Deux mois après le lancement du projet, le ministre de l’Agriculture, de
l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, Salif Diallo, a été
débarqué du gouvernement. Comme il fallait s’y attendre, son successeur
a apporté sa touche en 3 actes majeurs.

Par arrêté conjoint N°2009/006/MAHRH/MEF du 12 février
2009, le ministre Laurent Sédogo et son collègue des Finances ont
classé le programme dans la catégorie A (projets ou programmes de
développement exécutés sous le contrôle direct de l’Administration
publique) alors qu’il était initialement en catégorie B (projets ou
programmes nécessitant la création d’une structure autonome d’exécution
placée sous la tutelle de l’Administration publique). Ce reclassement a
été fait en violation du décret portant création du PDIS. Ce décret
prévoyait la mise en place d’une unité de coordination autonome chargée
d’assurer la gestion quotidienne des activités du programme et d’un
comité de pilotage qui devait en assurer l’orientation et la supervision
des activités et de la conformité.

Pourquoi donc les deux ministres
ont-ils décidé de violer le décret ? Interpellé à ce sujet par les
députés membres de la Commission des affaires étrangères et de la
défense (CAED) le 6 avril 2010, le ministre de l’Agriculture a apporté
cette réponse : « Les deux ministères de tutelle, le ministère de
l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques et le
ministère de l’Economie et des Finances avaient estimé que la première
phase du PDIS était principalement consacrée à la réalisation
d’infrastructures exécutée à l’entreprise et avaient par conséquent
décidé de classer cette première phase comme projet de catégorie A ».
Mais le ministre savait déjà qu’ils avaient commis une grave erreur.
Aussi s’est-il empressé d’ajouter ceci : « Afin de permettre à l’unité de
coordination du programme de s’organiser pour superviser la réalisation
des infrastructures et conduire, en même temps, les actions qui
consacreront, dès à présent, le caractère de programme de développement
intégré du PDIS, les deux ministères de tutelle envisagent de revoir le
classement du projet.

Des instructions on été données à l’unité de
coordination pour proposer un texte visant à classer le projet en
catégorie B ». Le ministre omet cependant de préciser que lui et son
collègue des Finances ont pris la responsabilité de ramener le PDIS sous
tutelle directe, en violation du décret signé par le président du Faso,
le Premier ministre d’alors, Paramanga Yonli, et par leurs
prédécesseurs. Curieusement, les honorables députés ne semblent pas
s’être rendu compte de cette violation des textes par les deux
ministres. Comment ont-ils pu manquer de clairvoyance jusqu’à ce point ?
C’est cela aussi les parlementaires burkinabè, trop limités dans le
contrôle de l’action gouvernementale ! Pourtant, une mission de suivi de
la Direction générale de la coopération (DGCOOP), effectuée du 4 au 8
décembre 2009, avait souligné la difficulté que représente ce classement
en catégorie A pour la mise en œuvre du PDIS. Les députés de la CAED le
savaient-ils ? En tout cas, ils n’en ont pas fait cas. Bref, après
l’arrêté, les choses se sont accélérées selon les perspectives du
nouveau ministre de l’Agriculture.

Et un colonel parachuta à la tête du PDIS !

Le coordinateur du programme, Lamine Koité, recruté par test
pour un contrat de 3 ans renouvelable, a été débarqué quelques jours
après l’adoption de l’arrêté ministériel, six mois avant la fin de son
contrat. Pourtant, aucun reproche ne lui a été fait, sauf qu’il est
réputé être un homme de Salif Diallo. Le comble, c’est que Lamine Koité
a été recasé au cabinet du ministre Sédogo comme conseiller chargé du
PDIS pour les six derniers mois de son contrat. Mais il y tournera les
pouces jusqu’à la fin. Le ministre n’avait apparemment pas besoin de ses
conseils ; il voulait seulement le caser quelque part, jusqu’à la fin de
son contrat.

Un nouveau coordonnateur a été nommé en mars 2009, en
violation, une fois de plus, du décret. L’article 13 prévoit en effet
le recrutement du coordonnateur « par appel à candidature ». Pourtant, le
colonel Tamoussi Bonzi, ingénieur de conception mécanique, ancien
directeur des études et de la planification du ministère de la Défense,
ancien chef du garage de l’Office national des barrages hydrauliques
(ONBAH), est parachuté à la coordination du PDIS, sans passer par la
voie prévue par les textes. « Un « mécanicien » à la tête d’un projet de
développement ? », ironisent certains ! Comme l’a écrit un confrère, le
ministre de l’Agriculture (colonel lui aussi) a propulsé un collègue à
la tête du PDIS pour lui donner « une allure martiale ». Mais il a oublié
de lui donner une lettre de mission.

Plus grave, plus de deux ans après le lancement, le comité de pilotage,
prévu par le décret comme l’instance de coordination, d’orientation et
de supervision de l’exécution du programme, n’a pas encore été mis en
place. Or, c’est cette structure qui doit veiller à l’application du
protocole du programme, approuver les programmes de travail, des budgets
et des rapports d’exécution technique (article 8 du décret). C’est dire
que le PDIS fonctionne presque dans l’illégalité totale ! Selon le
rapport de la DGCOOP, la coordination du projet a soumis un projet
d’arrêté au ministre de tutelle, mais celui-ci ne l’a pas encore signé.
Pourquoi ? On n’en sait rien !

Naturellement, en l’absence de cette instance d’orientation, de
supervision et de contrôle, l’allure martiale semble faire trop de
cacophonie. La coordination navigue à vue, marquée par une absence de
vision, des louvoiements, une confusion des priorités et des
investissements suspects, une démotivation des cadres et des
recrutements tout aussi suspects. Selon certains acteurs, de
l’administration de management sous l’ancien coordonnateur, l’on est en
train de passer à une administration tantôt de commandement, tantôt de
cachotterie ou encore de coterie. Le colonel a annoncé, à sa prise de
fonction, son « souci de gestion rationnelle des ressources ». La suite
semble indiquer le contraire. D’abord, il fait déménager le siège dont
le loyer mensuel était de 3,5 millions dans un nouveau local qui
coûterait 600 000 FCFA. Mais il a fallu investir plus de 40 millions de
FCFA pour l’aménagement de ce local qui, en fait, était le premier siège
du PDIS.

Un an après, sa capacité d’accueil commence à ne plus être
appropriée. Il convient de préciser que le ministre Sédogo avait déjà
instruit l’ancien coordonnateur de quitter ce siège qu’il jugeait trop
coûteux. Le colonel s’est donc empressé d’exécuter ces instructions.
Curieusement, ce même local trop coûteux pour l’Etat, abrite aujourd’hui
un service du ministère des Finances, en l’occurrence, le guichet unique
du foncier de Bobo Dioulasso.

Ensuite, le colonel recrute un gendarme, chargé du protocole et des
renseignements. Un responsable des renseignements dans un programme de
développement, vous demanderez-vous ? Oui, dans l’armée, dit-on, les
renseignements constituent un maillon essentiel. Le coordonnateur est un
officier supérieur de l’armée. Il a besoin de renseignements pour agir.
Il a confié au pandore la mission d’assurer « le protocole des
rencontres et manifestations organisées par le PDIS ; la conception et la
mise en place d’un système de sécurité efficace des personnels et des
biens du PDIS ; la production d’une fiche hebdomadaire sur les évènements
majeurs de la zone du projet et sur le moral du personnel ; la production
d’un rapport mensuel sur la situation sécuritaire, l’état d’esprit des
populations et autres acteurs et les évènements significatifs de la zone
du programme ». Silence, on militarise le projet ! Le plus incroyable,
c’est qu’il aurait les mêmes avantages que les chefs de départements
(des ingénieurs pour certains) dont les postes sont prévus dans le
décret portant création du PDIS.

Une villa VIP pour qui et pourquoi ?

cit_du_personnelLe système de management du colonel n’est pas du goût
des cadres. Certains ont préféré aller voir ailleurs. D’autres sont
démotivés et attendent une porte de sortie. Un climat délétère règne
dans la boîte et l’attitude du chargé des renseignements, apparemment
placé là pour épier et contrôler le personnel, n’est pas pour rassurer.
En fait, c’est l’homme à tout faire du colonel.

Il s’y ajoute un déficit criard de communication interne, de soupçons
d’opacité et de népotisme. Certains marchés (comme la maintenance
informatique et la construction de l’intranet, le gardiennage, etc.)
seraient passés de gré à gré à des parents. Il est également reproché au
coordonnateur de faire trop de missions hors zone de projet.

Et ce n’est pas tout. Le PDIS, qui a un département communication et un
contrat avec une agence de communication (retenue à la suite d’un appel
d’offres national), a lancé en mai dernier, un nouvel appel d’offres
pour le recrutement d’une autre agence de communication. La première a
déjà élaboré une « stratégie et un plan de communication » pour la période
2009-2012. Elle devrait appuyer le département communication dans la
réussite du programme mais éprouve des difficultés à travailler du fait
de blocages multiples. Tout semble indiquer que les rapports entre cette
agence et la coordination ne sont pas au beau fixe. Toujours est-il
qu’officiellement, le contrat qui les lie n’a jamais été dénoncé.
Pourquoi une nouvelle agence ? Est-ce pour remplacer la première ?
Pourquoi ne renforcerait-il pas son département Communication par un
personnel qualifié avec l’appui de la première agence ? Mystère et boule
de gomme !

Le 9 juin, le PDIS lance, à nouveau, l’avis d’appel d’offres
N°2010/118/MAHRH/SG/DMP pour la « réfection d’un bâtiment administratif »
à son profit. En fait, de bâtiment administratif, il s’agit plutôt de la
« réhabilitation, la transformation, l’extension et l’aménagement de la
villa des hôtes VIP du PDIS ; de la construction d’un local pour gardien
et chauffeur, de la réhabilitation de la clôture existante et
l’aménagement VRD (voierie, réseaux divers) ». Ce bâtiment se trouve à la
Direction régionale de l’Agriculture des Hauts-Bassins. Et le ministère
de l’Agriculture est informé de toutes ces dépenses incompréhensibles,
puisque c’est là que sont déposées les offres.

Il y a, enfin, cette antenne du PDIS ouverte à Ouagadougou pour on ne
sait quelle raison.

Où est donc la rigueur ?

Pendant ce temps, les activités prévues tournent au ralenti, à l’image
d’un train bloqué à la gare. Nous nous sommes rendu sur le site le 25
juin dernier. Il n’y a aucune réalisation physique, si ce ne sont des
pancartes indiquant, entre autres, les sites de « la cité des ouvriers du
chantier » et des tracées de routes menant à la future cité des cadres et
de l’administration. Le reste, ce sont des champs de céréales et de coton.

Devant les députés, le ministre avait promis que la construction du
barrage démarrerait en octobre. Les marchés ont été attribués. Mais
cette promesse paraît irréaliste. Car, en octobre, les paysans n’auront
pas totalement terminé les travaux champêtres. De plus, les villages qui
devraient être déplacés ne le sont pas encore. Les sites définitifs
d’accueil ne sont pas non plus déterminés. L’étude est en cours. Les
infrastructures prévues (forages, pistes rurales et à bétails, vergers,
centres de santé, etc.) ne sont pas encore construites. Il reste aussi à
finaliser le paiement de la première tranche des indemnisations. Ce
volet qui fait partie du Plan de gestion environnemental et social
(PGES) avec tout ce qu’il comporte de tensions et de problèmes
fonciers, est l’une des grosses épines aux pieds du PDIS. Il s’agit du
déplacement et de la réinstallation de 8 villages de 2 provinces (le
Houet et le Kénédougou), 30 000 personnes pour 3 000 ménages environ.
Compte tenu de la complexité de ce volet, deux comités provinciaux et un
comité régional de réinstallation et d’indemnisation ont été mis en
place pour appuyer l’unité de coordination du PDIS. 1446 personnes sur
un total de 1725 ont déjà reçu la première tranche de 40% du montant de
leur indemnisation. C’est une enveloppe globale de plus de 617 millions
de FCFA qui y a été injectée.

A défaut de réalisations concrètes, le PDIS « vend » la maquette du futur
barrage à travers des pancartes géantes qui trônent magistralement au
bord des rues, tant dans la ville de Bobo que sur l’axe conduisant au
site. Là encore, il y a une grossière légèreté. On peut y lire
« Programme de développement intégré de la *ville* de Samendeni ». C’est
où, la ville de Samendeni ? C’est un détail assez expressif de la
légèreté dans la gestion quotidienne du PDIS.

Le PDIS a du mal à décoller. D’abord, les bailleurs de fonds ne se sont
pas trop bousculés à la porte, contraignant l’Etat à devenir le
principal bailleur de la phase 1. Salif Diallo avait, dit-on, obtenu des
accords de principe avec certains bailleurs de fonds pour un prêt (onze
milliards environ) pour combler le gap. Malheureusement, le montage du
dossier de requête a connu des blocages bureaucratiques et une
opposition du Fonds monétaire international (FMI). Oui, le FMI s’est
opposé à ce que le Burkina Faso puisse contracter un prêt dit Itistina
de la BID (Banque islamique du développement) du fait des taux d’intérêt
(autour de 5%) et de la durée de remboursement (moins de 10 ans) jugés
non conformes aux engagements du Burkina avec cette institution.
Pourtant, le Burkina a déjà obtenu ce même prêt pour d’autres projets.
Ensuite, selon l’aveu du ministre Sédogo devant les députés, les
procédures imposées par ceux qui ont accepté de s’engager dans
l’aventure ont beaucoup contribué à retarder la machine.

De plus en plus, certaines voix, parfois aux relents régionalistes,
témoignent d’un manque de volonté politique de doter l’ouest d’un
programme de développement sérieux et porteur. D’autres affirment que le
coordonnateur actuel n’a ni le profil de l’emploi, ni l’expérience
requise. Il s’agit bien pourtant d’un programme de 75 milliards de FCFA
dont 43% débloqués par le budget de l’Etat et 57% que les enfants du
contribuable d’aujourd’hui (qui casquent les 43%) vont rembourser avec
des intérêts. Où est donc la rigueur tant prônée par Tertius Zongo
quand, à son nez et à sa barbe, ses ministres violent les textes et
louvoient dans la mise en œuvre d’un programme aussi important ?

Le Reporter

Par Boureima OUEDRAOGO

PARTAGER :                              

Vos réactions (23)

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique