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Salif Diallo : "Puisque je vous dis qu’il y a excédent céréalier..."

Publié le vendredi 16 novembre 2007 à 11h35min

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Rarement, bilan de campagne agricole aura suscité autant de polémique. C’est que, malgré l’installation tardive de la saison, les inondations et la fin précoce des pluies, le ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques a annoncé la semaine dernière un excédent céréalier prévisionnel de 777 200 tonnes. "Faux", crie en chœur une partie de l’opposition et de l’opinion, qui trouve les chiffres bidonnés.

Mardi en fin de matinée, avant d’aller s’expliquer l’après-midi devant Norbert Tiendrébéogo (qui a passé une question orale sur le sujet) et le reste de l’Assemblée nationale, Salif Diallo nous a reçu à son cabinet pour nous détailler sa règle de calcul et parler des différents aspects du problème.

Monsieur le Ministre, dans un pays comme le Burkina, où les statistiques ne sont pas toujours fiables, expliquez-nous le plus méthodiquement du monde comment vos services procèdent pour connaître le tonnage céréalier d’une saison et donc savoir s’il y a excédent ou déficit.

• Merci d’abord à L’Observateur de nous permettre de clarifier certains points du bilan céréalier donné par notre ministère et que certaines personnes tentent de remettre en cause par une polémique politicienne, qui n’a pas lieu d’être.

Je voudrais dire avant toute chose que l’enquête agricole s’est réalisée, comme les années précédentes, dans les 45 provinces du pays.

Dans un premier temps, nous donnons ce qu’on appelle un bilan prévisionnel. C’est ce qui a été fait la semaine dernière. Dans un deuxième temps, nous donnons en janvier un bilan définitif.

La première enquête du bilan prévisionnel est réalisée par les structures des ministères chargés de l’Agriculture, des Ressources animales, des Finances ainsi que du CILSS (Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel), de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et d’une ONG indépendante d’origine américaine, l’ONG Fews net.

Donc ce n’est pas une enquête menée uniquement par les services du ministère de l’Agriculture. Cette année, nous avons parcouru les 45 provinces, nos enquêteurs se sont investis sur 38 642 parcelles et 4 442 ménages échantillons.

Cette enquête a lieu à la fin du mois de septembre. Nous partons sur la base des champs qui ont fini leur maturation et qui portent donc des graines.

Cette année, près de 700 enquêteurs ont été dans les 45 provinces. Voilà comment nous faisons notre bilan. Et la marge d’erreur depuis les cinq dernières années est de 5% en plus ou en moins...

... Vous faites bien de parler de marge d’erreur parce que ça fonctionne comme des sondages avec ce qu’il peut y avoir comme distorsions...

• La marge d’erreur, comme indiqué tantôt, est de plus ou moins 5%. Ce chiffre n’est jamais dépassé au bilan définitif. Pour ce qui concerne d’ailleurs ce bilan définitif, nous appliquons plus méthodiquement ce qu’on appelle les carrés de rendement.

Nous arrivons dans un champ. Nous prenons ses mesures. Nous récoltons sur un hectare par exemple. Nous pesons la récolte d’un hectare. A partir de ce moment, nous savons que tel hectare a donné tant de kilogrammes ou de tonnes. Nous extrapolons les résultats pour établir une moyenne pour l’ensemble des champs du village donné. Ainsi, la marge d’erreur ne peut pas être grande. Voilà comment nous travaillons.

Je précise que ces carrés de rendement sont généralement bien réalisés à telle enseigne que c’est devant les producteurs que nous pesons et multiplions. Bien sûr, on ne peut pas parcourir tous les champs du Burkina, parce que nous avons 3 millions d’hectares emblavés, mais nous parcourons les 45 provinces. Et généralement, ce que nous appliquons dans un même village donne le même résultat en termes de carrés de rendement.

C’est la méthode homologuée par l’ensemble de nos partenaires et partout dans les pays du CILSS . En procédant ainsi, nous obtenons des chiffres qui ne sont généralement pas loin de la réalité quand vient le moment de donner les chiffres définitifs. Nous comprenons certaines dénégations. Pourquoi ?

Cette année, certaines provinces habituellement excédentaires sont déficitaires. Nous avons connu deux phénomènes : un début très tardif des pluies et une fin précoce des mêmes pluies.

A ce jour, sur l’ensemble des 45 provinces, nous connaissons avec certitude les provinces qui sont déficitaires et celles qui sont excédentaires.

C’est la sommation de l’ensemble des productions au niveau national qui dégage un excédent. Ce n’est pas parce que le département de Pabré est déficitaire cette année que le département de Déou dans l’Oudalan qui est habituellement déficitaire, n’aurait pas fait d’excédent.

Monsieur le Ministre, il y a quand même que ces champs en désolation ne sont pas une vue de l’esprit. D’est en ouest, du nord au sud, tout le monde constate qu’il y a des problèmes visibles.

• Je ne suis pas d’accord avec vous. Il y a des provinces, principalement 15, où le déficit existe et est prononcé. Malheureusement, ces 15 provinces regroupent une population extrêmement dense (près de 5 millions au total).

Les 15 provinces déficitaires sont les suivantes : Gourma, Zoundwéogo, Boulkiemdé, Ganzourgou, Zondoma, Koulpélogo, Sanmatenga, Bazèga, Kompienga, Boulgou, Bam, Kourittenga, Komandjari, Nahouri et Kadiogo.

Pour ce qui est du Nahouri et du Kadiogo, il faut dire que la première par exemple n’est pas une province céréalière en tant que tel, mais une province à tubercules...

Mais concrètement, comment déterminez-vous, à partir de vos enquêtes sur le terrain, l’excédent ou le déficit céréalier ?

C’est simple. Nous prenons la base de 190 kg de céréales par personne et par an dans notre pays. Nous calculons l’ensemble des besoins de consommation de notre pays, qui s’élève pratiquement à 2 874 958 tonnes. Notre prévision de production est de 3 736 000 tonnes. De ces chiffres, nous déduisons les prélèvements pour les semences et les pertes pendant les récoltes.

C’est ce qui nous amène à une production de 3 652 175 tonnes quand nous prenons en compte ce qui existe présentement dans les greniers, à savoir les stocks initiaux.

De la soustraction faite entre la production disponible et les besoins de consommation, il résulte soit un excédent, soit un déficit. Et cette année, cette mesure donne effectivement un excédent de 777 217 tonnes.

Comment vous faites pour savoir ce qui existe dans les greniers des cultivateurs ?

• Dès le début de la campagne, nous faisons le point des stocks dans toutes les provinces. Donc à partir de nos investigations, nous estimons les stocks initiaux à 200 362 tonnes. Nous avons également le disponible restant par région à la fin de la campagne.

Par exemple, dans le Mouhoun, nous avons 52 121 tonnes, soit 27%. Dans les Hauts-Bassins, 27 543 tonnes, soit 14%. Au Nord 21 000 tonnes. A Ouagadougou par exemple, il n’y a pas de grande production. Il restait à la fin de la campagne seulement 2 562 tonnes, représentant 1% de la consommation du Kadiogo.

C’est vous dire que ce ne sont pas des chiffres tirés du hasard. Ce sont des techniciens à qui je fais grandement confiance qui travaillent avec des instruments tels que des carrés de rendement et même des GPS qui nous sortent ces chiffres.

Mieux, ces données sont contrôlées et surveillées par des partenaires comme la FAO, le CILSS et cette ONG américaine, Fews net.

Donc aujourd’hui, nous disons qu’il se dégage un excédent prévisionnel de 777 217 tonnes. Et cet excédent, sa variation est de plus ou moins 5%, comme je l’ai dit tantôt.

On va s’arrêter un peu sur ce chiffre, Monsieur le Ministre. 777 271 tonnes. Vous ne pensez pas que pour des résultats "prévisionnels", comme vous dites, c’est trop précis pour ne pas être suspect ?

• C’est précis mais nous ajoutons que c’est à plus ou moins 5%. Donc ce ne sont pas des chiffres sacrés. C’est-à-dire que cela peut augmenter ou diminuer de 5%. Et notre expérience depuis au moins cinq ans enseigne que les chiffres prévisionnels n’ont jamais connu une variation de plus de 5% en plus ou en moins.

Mais vous parlez justement de ces dernières années. Il y a certains qui rappellent qu’en 2001 les chiffres de la campagne agricole ont été "rectifiés en Conseil des ministres" sur l’insistance des bailleurs de fonds. Qu’est-ce qui s’est passé exactement cette année-là ?

• Je crois que les gens aiment les rumeurs, les inventions. En 2001, nous avons eu un déficit de 82 000 tonnes. A l’époque, les bailleurs de fonds estimaient que notre déficit n’était pas suffisamment prononcé pour nous soutenir. C’était là le débat.

D’ailleurs, c’est suite à cela que nous avons décidé de créer un autre stock qui ne soit plus géré par les bailleurs de fonds. Un stock dit d’intervention, qui permet au gouvernement d’intervenir à tout moment pour soutenir sur le terrain les poches déficitaires même s’il n’y a pas de déficit au plan national.

Ce n’est pas parce qu’il y a un excédent dans une province que cet excédent peut couvrir le déficit d’une autre, car le problème du transport se pose, tout comme celui du commerce dans notre pays.

Je vais d’ailleurs m’arrêter un instant sur le commerce pour vous dire que les bruits actuels proviennent de deux sources. Il y a ceux qui prient toujours pour qu’il y ait des déficits dans ce pays. C’est les commerçants véreux, d’une part, et les politiciens en manque de thème d’agitation, de l’autre.

Voici les deux catégories de gens qui font le plus d’agitation. Bien entendu, il y a la majorité des citoyens, qui ont des appréhensions légitimes et fondées sur les résultats de la campagne agricole et c’est à eux que nous nous devons de donner la juste information.

Cela dit, nos études montrent qu’au Burkina, il y a 1 100 000 personnes qui, structurellement, n’ont pas accès à une nourriture convenable, parce que ces personnes sont frappées de pauvreté absolue. De ce fait, chaque année, nous prévoyons dans notre dispositif, quels que soient les résultats de la campagne agricole, des aides alimentaires à leur profit.

Avez-vous une idée précise des dégâts causés par les inondations ?

• Pour ce qui est des inondations, nous savons que cette année, elles ont touché 17 712 hectares et les pertes de récoltes sur ces hectares sont de l’ordre de 8 300 tonnes...

... Seulement ?

• Oui. Sur 3 millions d’hectares, si vous avez 17 mille qui sont inondés, il faudrait quand même être réaliste pour dire que cela n’entame pas beaucoup les résultats de la campagne. Maintenant, je trouve qu’il y a une mentalité négative qui s’installe dans certaines administrations déconcentrées ou décentralisées, où on estime que même une inondation temporaire de 2 ou 3 heures et sans dégât aucun doit entraîner une intervention du CONASUR (Comité national de secours d’urgence).

On envoie des messages à la volée pour recueillir des vivres. C’est une politique de "garibou" et ce n’est pas juste que l’Administration opère ainsi. Nous travaillons 2 à 3 semaines après les inondations pour voir si le champ en question a été totalement perdu en termes de résultat. Et c’est cela que nous comptabilisons au niveau de nos données.

Cette année, nous avons pris les rendements les meilleurs sur ces 17 mille hectares et nous avons estimé que le total des récoltes perdues ne peut pas dépasser les 8 300 tonnes. Voilà la réalité.

Mais si nous considérons les autres aspects des inondations, la perte de bétail et de volaille, la destruction des maisons d’habitation, on peut dire qu’au niveau des victimes, au-delà de l’aspect alimentaire, la pauvreté s’est aggravée.

C’est une situation déplorable et le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale prend en compte les autres aspects.

Monsieur le Ministre, vous parliez tantôt de commerçants véreux et de politiciens en manque de thème d’agitation. Nous ne savons pas dans quelle catégorie vous situez le Groupe du 14-Février. Mais dès le lendemain de votre conférence de presse, ils ont répondu par une autre conférence de presse que vous aviez tout faux. Quel commentaire en faites-vous ?

• Je ne voudrais pas polémiquer avec le Groupe du 14-Février. Ils ont fait leur déclaration sans avancer des éléments contraires. Il ne s’agit pas ici de faire de l’agitation propagandiste sur le thème de la campagne agricole, mais plutôt de restituer, même approximativement, les résultats de cette campagne. Nous avons des chiffres, qui sont les résultats produits par des services techniques à partir d’un travail de terrain et contrôlés par d’autres organismes.

Nous avons livré ces résultats à notre peuple. Si quelqu’un souhaite qu’il y ait famine, ou si quelqu’un pense que s’il y a famine, ça peut aider sa plate-forme politique, ça le regarde. Nous, nous nous en tenons aux résultats issus d’un travail de terrain.

Le seul point sur lequel je suis d’accord avec le G-14, mais dont il ne donne pas la bonne explication, c’est la montée des prix dans certaines provinces. Effectivement, nous avons vu le renchérissement des prix des céréales. Le sac de 100 kg de maïs se vend à 15 000 voire 16 000 F dans certains endroits.

Mais ce que le G-14 ne dit pas aussi, c’est que dans certaines zones, comme à Solenzo, le sac de mil est à 8 500 F et qu’à Djibo, où nous avons habituellement des prix très élevés, les prix sont revenus à 10 500 F.

Nous avons des enquêtes statistiques permanentes. Nous savons qu’à Ouagadougou, à Tenkodogo, à Ouargaye, bref dans les 15 provinces déficitaires, les prix ont connu les augmentations suivantes : 22% pour le maïs blanc, 12% pour le sorgho et 11% pour le mil. Voilà la situation dans les 15 provinces déficitaires.

Par contre, dans d’autres provinces, nous avons carrément un recul des prix. Dans le Tuy, qui a réalisé un taux de couverture de 394% , les prix ont reculé. Mais plus symptomatiques et révélateurs de la saison, les prix ont reculé à Gorom, à Déou, à Djibo, à Ouahigouya et à Titao, c’est-à-dire dans le Nord et le Sahel, qui sont traditionnellement des régions déficitaires. Nous faisons la sommation de toutes ces données pour établir un état de la situation nationale.

Si quelqu’un constate que le prix du sac de maïs a augmenté de 22% à Sankariaré, il ne peut pas, s’il est objectif, généraliser ce seul cas au plan national. Moi aussi, j’ai les prix et je sais qu’à Fada, le sac de maïs blanc coûte 15 000 F, à Manga 15 750 F ... mais à Douna, le même sac de maïs est vendu à 9 000 F, à Solenzo 8 500 F et à Ndorola il est à 6 875 F.

C’est dire que quand il s’agit d’un pays, on ne peut pas se limiter à ce qui se passe devant sa porte. Nous disons aussi que ces prix dans les provinces déficitaires ont augmenté pour deux raisons.

La première est que les nouvelles récoltes ne sont pas encore arrivées sur le marché. Chaque année, nous constatons qu’avant l’arrivée des nouvelles récoltes sur le marché, les prix grimpent pour redescendre un peu après.

La deuxième raison, qui est d’ordre spéculatif, est que certains commerçants, pas tous fort heureusement, se réfèrent à la situation pluviométrique et quand elle semble déficitaire, ils anticipent en augmentant les prix. C’est à ces commerçants que nous allons nous attaquer les semaines prochaines, en déployant notre stock d’intervention.

En réalité, s’il y a une certaine polémique, c’est que beaucoup de gens pensent que vous bidonnez les chiffres.

• Les gens n’ont aucune preuve de ce qu’ils avancent. Nous n’avons aucun intérêt à bidonner les chiffres. Nous sommes les premiers à vérifier et à faire contrôler les chiffres par des organismes indépendants. Nous mettons beaucoup de sérieux dans le traitement de ces chiffres, parce qu’il ne faut pas se tromper, pour beaucoup de raisons.

Quand nous disons qu’il y a déficit, on nous dit "non, il n’y a pas de déficit" ; quand nous disons qu’il y a excédent, on nous dit encore "non, il n’y a pas d’excédent". Mais écoutez, il faut que les gens sachent ce qu’ils veulent ! Ce sont des techniciens qui ont été formés à la bonne école qui font ce travail.

Ils parcourent les villages du Burkina et ils amènent des résultats. Si des gens peuvent faire une contre-enquête et nous amener d’autres résultats, nous, nous sommes preneurs. Donc il ne faudrait pas subjectiviser un débat aussi sérieux.

Dites-nous, cet excédent de 777 200 tonnes est constitué exactement de quels céréales et dans quelles proportions ?

• L’excédent dont on parle concerne exclusivement les céréales. Je précise en effet qu’il ne s’agit pas d’un bilan alimentaire, mais d’un bilan céréalier. Il y a une différence entre les deux. Le bilan céréalier ne prend pas en compte les tubercules. Or le bilan alimentaire les prend en compte.

Cette année, des productions, comme celle du maïs, ont connu des problèmes liés à l’abondance des pluies. Cependant, nous avons 67 697 tonnes de riz en plus des 3 071 535 tonnes de maïs, de mil, de sorgho et de fonio.

C’est la sommation de ces chiffres sur l’ensemble du territoire qui dégage un excédent de plus de 777 mille tonnes. Quand nous disons qu’il y a excédent, cela ne veut pas dire qu’il y a à boire et à manger dans tous les villages. Ce n’est pas notre propos.

Justement une chose est d’enregistrer un excédent céréalier, une autre d’avoir une saine répartition des productions entre les zones excédentaires et déficitaires. Là, ce n’est pas gagné d’avance. Comment est-ce que vous comptez faire ?

• Connaissant la faiblesse du commerce interne dans notre pays et connaissant le manque d’infrastructures routières dans certaines régions, nous avons depuis 2001 mis en place un stock d’intervention. Nous avons déconcentré voire décentralisé nos magasins SONAGESS (société nationale de gestion du stock de sécurité alimentaire) à telle enseigne qu’aujourd’hui, dans toutes les régions, nous avons un dispositif qui peut desservir n’importe quel hameau de culture.

Dès la semaine prochaine, nous allons engager ce processus dans les provinces où il y a une tendance à la spéculation, pour ramener à la raison les commerçants qui veulent spéculer. Quand nous allons mettre sur le marché notre maïs et notre mil à des prix sociaux, les commerçants seront obligés de suivre nos prix s’ils veulent continuer à vendre.

Vous êtes sûr que ça va marcher ?

• Nous avons déjà opéré ainsi et ça marche. Les gens anticipent sur les problèmes de disette localisés et augmentent les prix. Mais si les populations trouvent du mil, du maïs et du sorgho à des prix accessibles, ils ne vont pas aller chez un commerçant spéculateur. Donc la seule dynamique pour ramener ces commerçants à la raison, l’arme absolue contre eux, c’est de mettre des vivres en compétition avec leur spéculation et non de les réprimer.

Mais comment vous mettez concrètement sur le terrain ces vivres en compétition ?

• Nous les mettons sur le marché avec le droit pour chaque famille, bien entendu sur présentation de la carte de famille, d’acheter des vivres à prix social au lieu d’aller au marché se faire "égorger" par le commerçant qui veut spéculer. Nous faisons un état des lieux avant de mettre les denrées à la disposition des populations.

Vous avez votre propre circuit de commercialisation ?

• Bien entendu. Les statuts de la SONAGESS ont été modifiés en 2001 ou 2002 pour permettre de contrer les spéculateurs. Nous ne menons pas ces actions dans les zones excédentaires, pour ne pas casser les prix, mais nous intervenons là où il y a une tendance à la spéculation, pour ramener les choses en l’état. Voilà le bien-fondé de ce dispositif.

A combien de francs vous estimez que le prix est juste ?

• Mercredi prochain, nous allons soumettre le dossier au Conseil des ministres. Nous avons un certain nombre d’éléments qui entrent en ligne de compte pour fixer le prix. Mais ce qui est sûr, il sera en deçà des prix spéculatifs.

Par le passé, des céréales données ou vendues à des prix sociaux ont parfois été détournées par des fonctionnaires et même des responsables indélicats. Quelle garantie a-t-on contre ce genre de vampires ?

• En 2005, nous avons eu à enfermer même des hauts-commissaires, qui ont joué avec le mil destiné aux populations. Cette fois-ci, le dispositif mis en place est assez dynamique et transparent. C’est le COPROSUR ( Comité provincial de secours d’urgence) au niveau provincial, avec à la tête le haut-commissaire, et tous les services concernés qui procèdent à la distribution et à la vente des vivres sur présentation d’un certain nombre de dossiers.

Un contrôle a posteriori est réalisé et à tous les niveaux, nous nous en assurons par deux canaux essentiels : les canaux du COPROSUR, mais aussi les canaux des enquêteurs du ministère, pour savoir si les vivres n’ont pas été récupérés par un commerçant véreux ou par un fonctionnaire indélicat. De plus, les services de gendarmerie nous font à chaque fois un rapport sur le fonctionnement du système de distribution.

Il y a un autre problème, parce que si dans le Sahel la situation est satisfaisante, telle ne serait pas le cas au Ghana et au Nigeria. Est-ce que vous pouvez véritablement empêcher les commerçants d’exporter vers ces pays et par conséquent empêcher de renchérir les prix au niveau national ?

• Vous avez parfaitement raison. Vu les accords et les traités internationaux que nous avons signés dans le cadre de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), il y a la libre circulation des personnes et des biens, qui sont consacrés par ces textes auxquels nous avons souscrit. Ce que nous disons aux commerçants, c’est d’abord de vendre à l’intérieur de notre pays. Nous en appelons là à leur patriotisme.

Vous y croyez , vous, au patriotisme ?

• Il faut reconnaître bien sûr qu’il y a des gens qui préfèrent l’argent au patriotisme. Mais nous pensons également qu’au niveau des postes de douanes et autres, il faut quand même des autorisations d’exportation. Et nous discutons avec le ministère du Commerce pour que toute exportation se fasse sous contrôle. L’année dernière, nos commerçants ont exporté environ 50 mille tonnes vers le Niger.

Mais cette année, avant d’exporter, il faut obtenir une autorisation. Seulement si quelqu’un transporte un sac sur son vélo pour traverser les frontières, nous n’y pouvons rien. Par contre si ce sont des exportations en masse, nous allons regarder par deux fois avant de donner une autorisation.

Avec votre excédent céréalier, nous imaginons qu’il ne sera plus question demain de tendre la main à l’extérieur si d’aventure il y avait une situation critique.

• Je vous le dis très sincèrement : il y a 15 provinces où il y a des difficultés. Mais nous avons les moyens au plan interne de juguler ces difficultés. Les semaines à venir, nous allons passer à l’opérationnalisation sur le terrain, en mettant à la disposition de ces 15 provinces ce qu’il faut pour rééquilibrer leur déficit. Donc nous n’avons pas besoin de faire appel à l’aide internationale.

Seulement il y a des ONG qui se permettent de faire des appels. Je vous conte cette anecdote : au mois de juillet, pendant qu’il pleuvait, un maire d’une localité s’est permis de toucher le Danemark pour dire qu’il y a la famine dans sa localité. Les Danois se sont informés directement sur le terrain. Ils ont constaté qu’il n’y avait pas de famine, que mieux nos magasins étaient pleins dans la même localité.

Nous avons rencontré sur le terrain des responsables administratifs qui nous ont demandé avec insistance de déclarer leur province déficitaire afin qu’ils bénéficient de l’aide, parce qu’ils savent qu’avec l’aide, ils peuvent farfouiller. Ce n’est vraiment pas juste de mentir quand la situation n’est pas alarmante. Par conséquent, il ne faut pas aussi masquer la réalité quand la situation n’est pas bonne.

Nous n’avons aucunement besoin de masquer une situation désastreuse. Comme vous le savez, la politique agricole est en jeu. Aujourd’hui, nous avons une agriculture qui est pluviale à 80%. C’est cette tendance que nous cherchons à inverser en allant vers l’irrigation.

Mais il y a les changements climatiques que personne ne maîtrise. Et j’ai bien peur, je vous le dis en toute sincérité, que les années à venir soient plus difficiles. Quand je prends l’Afrique de l’Ouest, dont les nuages se forment pratiquement à partir du lac Tchad, alors que le lac Tchad connaît quelques problèmes, il y a des soucis à se faire pour les prochaines années. Et personne ne peut nous assurer que les perspectives climatiques ne nous conduiront pas à des situations plus difficiles que celles que nous vivons actuellement.

Cela nous amène à vous poser une question qui n’est pas directement liée à l’objet de notre entretien, puisque vous parlez de la maîtrise de l’eau. Vous parlez de passer de l’agriculture pluviale à celle irriguée. Comment faire et qu’est-ce qui est fait pour ne pas compter uniquement sur les vannes du ciel ?

• Comme vous ne l’ignorez pas, le Burkina est l’un des pays du CILSS qui a le plus de bassins de rétention, que ce soit les petits, moyens ou grands barrages. Nous avons aujourd’hui plus de 1500 barrages et retenues d’eau.

Ce n’est toujours pas suffisant...

• Ce n’est pas suffisant. Vous savez que pour réaliser un barrage, il faut de l’argent. Mais là n’est pas le problème. Le problème est que 15% seulement de nos barrages existants sont exploités pour la production de contre saison. Parce que beaucoup de nos producteurs, compte tenu de leur niveau et surtout de leurs habitudes, ne réalisent pas que l’on peut produire en saison sèche.

D’ailleurs, ils appellent ça la "saison morte". Après les pluies, c’est les baptêmes et autres qui les préoccupent . Ce n’est que ces dernières années que beaucoup ont été réceptifs à notre sensibilisation aux avantages de l’irrigation. Ça, c’est le premier aspect. Deuxième aspect, beaucoup de producteurs ignoraient qu’on pouvait même irriguer les céréales.

Ils pensaient que l’irrigation était destinée à la seule production des légumes. Donc, c’est un vaste travail de changement de mentalités qu’il faut opérer. Nous disons aujourd’hui que le support existe, mais il est exploité à seulement 15%. J’ai vécu personnellement le cas d’un village situé à 200 ou 300 m seulement d’un barrage, mais où les populations ne s’intéressaient pas à l’irrigation.

Dès que le programme "Petites irrigations villageoises" s’est investi dans ce village, les populations ont plus que quadruplé leurs productions. Je prends le cas du village de Piéla, situé nez à nez avec un des plus grands barrages de la région de l’Est.

Une année, ce village était déficitaire de 35 tonnes. Quand le programme "Petites irrigations" s’y est installé, rien qu’avec 12 ha de maïs, non seulement ils ont comblé leur déficit, mais ils ont commencé à vendre le maïs aux villages voisins. C’est souvent une question de mentalité, une question d’éducation. Nous avons fort à faire pour opérer les changements de mentalité chez nos producteurs. C’est ça notre problème aujourd’hui.

Pour revenir au bilan de la campagne et en guise de conclusion, vous certifiez donc que "c’est l’homme qui a peur, sinon il n’y a rien au village" ?

• Non, ce n’est pas qu’il n’y ait rien au village. Il y a des problèmes au village. Mais des problèmes qu’il ne faut pas amplifier exagérément. Et ces problèmes, effectivement, ce sont ces 15 provinces déficitaires, qui regroupent une population importante. N’oubliez pas que c’est le Centre, le Centre-Est, l’Est, etc., vraiment des provinces à forte concentration de populations, qui sont déficitaires. Et il y a également la spéculation, qu’il faut enrayer.

Voilà pourquoi notre dispositif va entrer en action pour donner des solutions à notre peuple. Nous avons les moyens internes de juguler cette situation. Donc ce n’est vraiment pas la catastrophe, mais il y a une réalité qu’il faut gérer avec réalisme, sans démagogie aucune ni fuite en avant.

Propos recueillis par Ousséni Ilboudo

San Evariste Barro

Observateur Paalga

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