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Les femmes rurales et le micro crédit au Burkina Faso

Publié le mardi 9 janvier 2007 à 08h08min

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Mariame Hien

L’expérience du Burkina Faso en matière de micro crédit est aussi riche que celle de beaucoup d’autres pays africains et du monde. En effet, les formes de crédit qui y existent sont variées.

Elles vont de « la banque des pauvres », initiée par le Pr Muhammad Yunus au Bangladesh depuis 30 ans, à la tontine africaine en passant par le crédit traditionnel dans toute sa diversité. De même, les structures nées dans le cadre du micro crédit se comptent par milliers.

Elles s’intéressent particulièrement aux femmes parce que « bien qu’elles soient les premières productrices des cultures vivrières en Afrique et malgré leur place éminente dans le secteur non structuré de nombreux pays africains, ce sont souvent les femmes qui ont eu le moins accès aux établissements bancaires.

Ce choix non seulement aide à contrebalancer le manque d’autres possibilités de crédit pour ces femmes, mais aussi répond au rôle très actif qui est le leur dans la production et la petite entreprise. Au Burkina elles occupent les 2/3 du secteur non structuré et 80% environ au Cap- Vert ».

Cependant, plusieurs interrogations se posent toujours quant à la situation de la femme rurale face au petit crédit. Si de façon générale, la problématique femme micro - crédit semble être bien perçue, le cas spécifique de la femme rurale mérite une attention particulière. On a l’impression que cette couche n’est pas encore prise en compte. Pourtant, c’est la femme rurale qui a le plus besoin de femme rurale au Burkina et en Afrique ?

Tout, semble t-il, se passe dans la perception du micro crédit dans cette catégorie de la population. Selon son milieu socio-culturel, la femme rurale fait face à des contraintes qui peuvent influer sa manière d’appréhender le crédit. Au Burkina, on compte une soixantaine d’ethnies et de langues, soit autant de cultures et de manières de vivre. Selon le milieu d’appartenance, le crédit est diversement apprécié et accepté par ou pour la femme rurale. Quand bien même elle a théoriquement la possibilité d’aller au crédit, elle reste encore guidée par la tradition de son milieu social.

Sujet de droit, elle peut en principe poser tous les actes de la vie civile. Elle est censée pouvoir entreprendre toute activité qu’elle désire, par exemple faire du commerce. En effet, le code civil et le code des personnes et de la famille du Burkina, largement inspirés du code civil napoléonais, réaffirment ces principes fondamentaux des droits de l’homme.

Mais sur le plan de la réalité du crédit, il y a souvent des surprises parce que les méthodes utilisées ne sont pas toujours convenables pour la femme rurale ou les conditions exigées ne sont pas à sa portée. En effet, très souvent le crédit aux femmes passe par les associations. Il faut être membre d’une association pour solliciter par le biais de cette association, l’appui d’une structure de crédit. Que ce soit le Fonds d’appui aux activités rémunératrices des femmes (FAARF), le Réseau des caisses populaires du Burkina, ou d’autres, ces institutions exigent que les femmes soient d’abord membres d’une association pour pouvoir bénéficier de leur appui. De ce fait, beaucoup de femmes restent toujours en marge du petit crédit.

Même étant membre d’une association, il n’est pas certain qu’on puisse accéder directement au crédit octroyé à cette association. Autrement dit, on peut avoir des besoins en crédit qui ne sont pas les mêmes que ceux de l’association à laquelle on appartient. Pourtant, la femme rurale peut avoir un programme individuel d’activités rémunératrices qu’elle veut soumettre à une structure de crédit alors que les lignes proposées en matière de micro finance ne satisfont pas encore en ces types de programmes. Du coup, plusieurs femmes ne trouvent pas leur compte, les crédits proposés ne correspondant pas à leurs besoins. Il y a donc un besoin d’adaptation du petit crédit pour prendre en compte les spécificités des programmes individuels des femmes rurales.

En réalité, la femme demeure sous le joug de la coutume et de la tradition, le crédit n’étant pas forcément bien perçu dans la famille surtout quand c’est elle qui prend l’initiative. Dans certaines sociétés, il reste toujours difficile d’admettre qu’une femme se lance dans des acticités en rapport avec l’argent qui peuvent l’amener à s’endetter. La femme qui doit être la fierté de la famille ne doit pas être liée par des contraintes externes. Cela relève du domaine du chef de la famille qui est le mari.

On ne peut admettre qu’une femme soit poursuivie pour cause de dette, c’est une honte pour la famille.
La femme en milieu rural, qui, généralement n’a aucune autre formation que celle d’être ménagère et de participer aux activités relevant de l’agriculture, n’est pas libre dans sa décision de contracter du petit crédit. Pourtant, elle pourrait en faire un appui sérieux pour entreprendre ou promouvoir plusieurs activités.

Sa décision est fonction du choix de son mari qui, lui-même décide en tenant compte de la coutume ou de la tradition. Il y a donc plusieurs pesanteurs socio -culturelles à considérer. Selon qu’on est mossi, samo, peul, dagara, sénoufo, bambara, ... on a une appréhension du crédit qui n’est pas forcément la même. Très souvent, on remarque que les peuples qui ont une culture de commerçant parce qu’ils sont habitués au négoce utilisent plus le crédit.

Il s’agit par exemple, des Dioulas, des Bambaras, des Markas, des mossis...On trouve ces populations surtout au nord et à l’ouest du Burkina. Par contre, chez les dagaras, les Guians, les lobis que l’on rencontre surtout au sud ouest du Burkina, on connaît moins le négoce dans la tradition. Pour cette raison, il est plus difficile de se lancer dans le crédit. Comment convaincre son mari de la nécessité et de la rentabilité du crédit ?

Dans ces sociétés, la question de savoir si la femme a t-elle droit ou pas au crédit reste posée.
Sachant que le crédit doit être accepté sur un choix judicieux de l’activité rémunératrice, quelles activités soutenir au niveau du monde rural féminin ?
Les femmes sont très entreprenantes dans l’agriculture quand bien même elles y interviennent toujours aux côtés de leurs maris. Mais quelles activités rurales peuvent-elles être intéressées par le micro crédit ?

Il faudrait prioritairement intervenir au niveau des champs privés des femmes qui constituent les bases de leurs activités (lopins de terre). Il faut des plans de financements de ces activités pour intéresser le maximum de femmes au processus du micro crédit parce qu’il s’agit d’un secteur viable. Très souvent, les femmes ont, au-delà du champ collectif, un lopin de terre qu’elles gèrent et qui est une sorte de domaine privé. Ce peut être un champ d’arachide, de mil ou un jardin de légumes, ....

Ce domaine privé, qui fait la fierté de chaque femme est minutieusement entretenu. Celle-ci parvient toujours à le mettre en valeur. En effet, pendant la saison pluvieuse, ces champs privés de femmes sont occupés pour des cultures d’arachide, de sésame, de coton, de fonio, etc. En fonction de la pluviométrie du milieu ou du type de parcelle dont elle est détentrice, la femme rurale y fait la culture la plus appropriée pour en tirer un maximum de récolte. Alors, pourquoi, ne pourrait-on pas faire du financement de cette activité rurale de la femme, une base du petit crédit puisque c’est sa principale activité rémunératrice ?

L’agriculture est un secteur viable pour les femmes rurales pour peu qu’on les y accompagne. Elles sont tellement conscientes de cette réalité qu’elles adhèrent à toute initiative rentrant dans le cadre de la promotion de leurs activités. Que ce soit en saison pluvieuse ou pendant la saison sèche, elles restent très attachées à leurs activités culturales. Elles essayent d’adapter les cultures à la saison . En saison sèche, le champs de mil ou de sorgho ou d’arachide se transforme en jardin de tomates, de choux, de gombo, d’épinard, ...

Cependant, la principale difficulté pour elles reste l’insuffisance d’eau. Les puits et les forages sont très profonds et pas suffisamment alimentés. Il est difficile d’arroser un jardin à partir d’un point d’eau situé à 5 km, parfois plus. La solution se trouve dans les barrages qui, au-delà de l’eau, offriront en plus des terres culturales à plus de population notamment à la couche féminine. En effet, les femmes rurales n’attendent que de telles opportunités pour élargir leurs surfaces culturales. L’agriculture doit être un point de départ sérieux à des initiatives très importantes et les femmes rurales en sont conscientes.

De ce fait, tout passera à l’évidence par une bonne organisation du secteur agricole. Autrement dit, l’épanouissement de la femme rurale résultera surtout de la maîtrise du secteur agricole et l’avenir du micro crédit se trouve dans le secteur agricole, surtout quand il s’adresse aux femmes qui deviennent de plus en plus entreprenantes dans ce domaine.

Mais pour y arriver, il faut d’abord donner aux femmes rurales une culture du crédit, donc les coutumes et traditions qui sont contre le crédit à la femme doivent être dépassées. Ensuite adapter le crédit aux besoins et aux conditions des femmes rurales. Il y a donc aujourd’hui un besoin crucial de micro crédit à satisfaire au niveau du monde rural féminin qui demande une réorientation dans la stratégie actuelle de distribution.

Parvenir à cette réorientation du petit crédit, c’est aussi trouver une des clés du développement du Burkina Faso. Monsieur Kofi ANNAN n’a t-il pas indiqué que « l’accès durable au micro financement contribue à atténuer la pauvreté en générant des revenus, en créant des emplois, en donnant la possibilité des soins médicaux et en donnant les moyens aux populations de faire les choix qui répondent le mieux à leurs besoins ? ».

Par Mme Mariame Hien,
Docteur en droit des affaires, Cadre de banque

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