Burkina - Mali - Niger : Le projet confédéral de l’AES apparaît comme une « fausse bonne idée » (panel de la SBDI)
A l’occasion du lancement officiel de ses activités, le samedi, 1er juin 2024 à Ouagadougou, la Société burkinabè pour le droit international (SBDI) a initié des communications autour du thème central : « AES et CEDEAO : entre antagonisme et complémentarité ». Il s’est agi pour les responsables de cette nouvelle organisation, de mettre surtout en lumière, les perspectives essentielles sur les défis et les opportunités liés au projet de création d’une Confédération de l’Alliance des États du Sahel (AES).
Outre la leçon inaugurale sur le thème général sus-référé, d’éminents juristes ont, à travers un panel, et sous la modération de Pr Vincent Zakané, (membre du Conseil scientifique de la SBDI), examiné deux sous-thémes. Il s’agit du Pr Martial Zongo qui a analysé « Les cohérences institutionnelles du droit régional dans la région du Sahel » et de Dr Aziz Ouandaogo, dont la réflexion a porté sur « Les enjeux du projet de confédération à la lumière du droit international ».
Pour en venir à son sujet, le premier responsable de la Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC), Pr Martial Zongo, par ailleurs porte-parole de la SBDI, a planté le décor avec l’image du bol de spaghetti, pour ainsi mettre en exergue, la complexité du droit international. « Lorsque j’étais enfant, j’ai été invité une fois à l’anniversaire d’une camarade de classe, où on m’a servi du spaghetti. Manger du spaghetti n’était pas le problème, ce n’était pas une découverte, mais manger du spaghetti avec une fourchette en public, ça a été un combat pour moi ce jour. Je vous raconte cette histoire, parce qu’aujourd’hui, lorsqu’on veut imager un peu l’environnement des organisations régionales en Afrique, on utilise effectivement l’image de bol de spaghetti, pour traduire un peu à quel point les choses sont entremêlées, enchevêtrées, entrelacées, difficiles à démêler », avise le spécialiste en droit international et en droit communautaire.
A en croire Pr Martial Zongo, coordonnateur pédagogique du Master de droit international à l’UFR/Sciences juridiques et politiques, il y a autant de droits régionaux que d’organisations régionales, même si l’on peut retrouver quelques dénominateurs communs à ces organisations. Ce qui a pour conséquence, une véritable concurrence ; plusieurs organisations assumant des attributions dans des domaines similaires, à laquelle vient s’ajouter une appartenance multiple des États.
« La référence au Sahel oblige à rester focus sur les organisations qui intéressent principalement les États du Sahel ; des États aujourd’hui confrontés à deux choses : une crise sécuritaire sans précédent (terrorisme) et une crise constitutionnelle du fait de l’avènement des régimes militaires. Tout cela m’amène à me poser une question : la multiplication des organisations régionales entre les États du Sahel s’accompagne-t-elle de mécanismes à même de garantir une cohérence et un fonctionnement optimal de leurs différentes institutions ? », pose l’enseignant, qui fait, plus loin, ressortir que de tels mécanismes existent (cohérences institutionnelles recherchées), quand bien même ils sont de plus en plus menacés (cohérences institutionnelles menacées).
Dans son développement, le panéliste s’est également attardé sur les rapports qui régissent les organisations, à l’image des clauses d’allégeance et des causes de primauté. « Les clauses d’allégeance se trouvent généralement dans les préambules des traités (exemple du Traité modifié de l’UEMOA, qui fait allégeance au Traité d’Abuja qui crée la CEA et également au Traité révisé de la CEDEAO). Il existe aussi un exemple de clause d’allégeance dans la Charte du Liptako-Gourma instituant l’AES. Quand vous prenez le préambule de la Charte, les États entendent s’inscrire dans la légalité internationale découlant du Traité révisé de la CEDEAO, de l’acte constitutif de l’Union africaine et de la Charte des nations unies. Donc, il y a, là, comme une sorte de volonté de s’inscrire en droite ligne, faire allégeance, faire référence à des organisations devancières. Et puis, il y a les clauses de primauté. Cela veut dire que dans d’autres types de traités, vous avez clairement des dispositions qui prévoient que dans les rapports entre une communauté et une autre, on entend s’inscrire dans une relation de primauté ; l’accord de Kigali de 2018, qui crée la zone de libre échange, article 19, qui dispose qu’en cas de contrariété entre les dispositions d’accord de Kigali et le Traité instituant d’autres communautés économiques régionales, les dispositions de l’accord de Kigali prévalent », élucide Pr Zongo avant de relever que d’autres mécanismes obéissent cependant à une logique d’horizontalité, c’est-à-dire que les organisations sont mises sur un pied d’égalité (observables dans les rapports entre l’UEMOA et la CEDEAO ou l’Union africaine et les communautés économiques régionales).
Au bout de sa démarche, Pr Martial Zongo parvient au constat que l’AES a été créée nonobstant l’existence de l’Autorité du Liptako-Gourma, qui est également une organisation de coopération en matière de développement entre les trois (Burkina, Mali, Niger), et qui, mieux, a même été révisée en 2018, pour prévoir le volet sécuritaire. « Nos trois États laissent de côté l’Autorité du Liptako-Gourma et créent en 2023, l’AES, qui se veut une organisation de coopération militaire. Et parallèlement à cet agenda sécuritaire, on entend dans les discours politiques, un second agenda qui est en vue : l’agenda économique, monétaire, voire politique (Confédération). Et on se demande, à quoi répond tout cela ? Est-ce qu’il reste toujours pertinent de maintenir l’Autorité du Liptako-Gourma dans ces conditions ? », soulève le constitutionnaliste.
Il fait en outre ressortir que dans les rapports entre AES et CEDEAO, les trois États affirment par la Charte de la première citée, être attachés à la légalité dans le cadre de la seconde (CEDEAO), de laquelle ils annoncent ensemble, quelques mois après, leur retrait « avec effet immédiat, comme si l’appartenance à l’AES était incompatible avec le maintien dans la CEDEAO ».
Le second panéliste, Dr Aziz Ouandaogo, internationaliste, enseignant de droit international à l’Université de Ouahigouya (nord du pays), est, lui également, entré dans sa communication sur « Les enjeux du projet de confédération à la lumière du droit international » par ce proverbe énigmatique en langue nationale mooré, littéralement traduit par « Soulève-moi, mais ne me touche pas ». Un proverbe qui extériorise les idées antagonistes et incarne la notion de confédération, dans laquelle, les États désirent profiter des avantages de l’union, sans pour autant renoncer à leur souveraineté.
De l’analyse de Dr Ouandaogo, on peut retenir que la confédération est à la fois une expression du droit constitutionnel et du droit international. Elle est un sujet de droit, distinct des membres qui la composent. Les États qui la composent, gardent aussi leur souveraineté. « Dans une confédération, les décisions se prennent à l’unanimité, pas par consensus, pas par la majorité. La fédération est un Etat, alors que la confédération est une union d’Etats », explicite Dr Ouandaogo, empruntant à la conception de Pr Alioune Sall, pour qui, une confédération peut être définie comme une association d’Etats indépendants, qui, par le biais d’un traité international, décident de léguer l’exercice de leurs compétences dans des domaines précis à des organes communs, dont la mission sera de coordonner ou d’harmoniser leurs politiques dans les secteurs en question.
Réflexion ainsi portée sur la confédération en tant que moyen d’approfondissement de l’intégration des États de l’AES, l’enseignant en droit international a expliqué qu’elle semble plus proche d’une organisation internationale que d’un Etat unifié ; parce qu’elle est régie par les règles du droit international et non par les règles du droit interne des États. « Historiquement, l’Afrique a connu une expérience confédérale avec celle formée par le Sénégal et la Gambie, qu’on appelait la Sénégambie, qui a été officialisée le 1er février 1982 et dissoute le 30 septembre 1989, du fait de l’opposition de la Gambie d’approfondir l’association », présente-t-il en exemple.
A en croire Dr Ouandaogo, la confédération n’est donc pas la garantie d’une intégration plus poussée. « Pis encore, elle serait par rapport à la CEDEAO, la source d’une régression institutionnelle », décèle-t-il, résumant que la confédération apparaît comme une coquille vide, tant les compétences relevant du droit international sont gérées en commun par les membres de la Confédération (compétences déjà gérées par les organisations traditionnelles, à l’image de UEMOA).
Toujours selon le panéliste, une des caractéristiques fondamentales déniées par certains auteurs à la confédération, c’est la personnalité juridique. « Alors que sans cette dernière, on n’existe que très peu ; puisque sans être doté de droits, sans être assujetti d’obligations, et disposé de véritables capacités normatives, on ne peut pas agir dans l’ordre juridique international. Les différents organes de la confédération n’ont aucune autonomie en ce qui concerne la prise des décisions, puisque les délégués dans ces organes agissent sur instructions de leur Etat. Ces organes sont en réalité des champs d’enregistrements. Les organes reflètent la position des gouvernements et les décisions adoptées ne peuvent être appliquées qu’après approbation de chaque Etat membre. Donc, chaque Etat membre demeure entièrement un Etat qui ne cède pratiquement rien à l’entité créée, la confédération. Celle-ci n’est donc en aucun cas un Etat », édifie Dr Aziz Ouandaogo.
Certains attributs peuvent toutefois être exercés par la confédération, comme le droit de déclarer la guerre, le droit d’envoyer ou de recevoir des missions diplomatiques ou le droit de conclure des traités avec des puissances souveraines, relativise l’enseignant. « Cependant, ces prérogatives ne sont plus l’apanage des États, car elles peuvent aussi être exercées par les organisations internationales. Elles ne peuvent donc pas servir de fondements pour affirmer que la confédération met en place un nouvel Etat sur la scène internationale. En réalité, la confédération apparaît même comme moins intégrée que certaines organisations internationales. C’est ainsi qu’elle est une régression à notre sens par rapport à la CEDEAO. (...). Dans le cadre d’une confédération, les décisions sont prises à l’unanimité, en règle générale. Au niveau de la CEDEAO, les décisions sont prises aux moyens de consensus ou de la majorité. Or, accepter que des décisions soient prises par majorité, c’est également courir le risque que les États qui n’ont pas voté pour ces décisions se voient appliqués les décisions pour lesquelles, ils n’ont pas voté ; ce qui veut dire que la consécration de la majorité dans une organisation internationale est signe que l’Etat est engagé dans une dynamique d’abandon, de sacrifice de sa souveraineté, pour obtenir un approfondissement de l’intégration. Il en est de même du consensus... », s’appesantit Dr Ouandaogo, secrétaire général chargé à l’organisation de la SBDI.
Si la confédération dispose de certains pouvoirs vis-à-vis des États membres, elle ne dispose d’aucun pouvoir à l’égard des ressortissants des États membres, met en relief le communicant. Par conséquent, note-t-on, les normes adoptées par les organes confédéraux ne sont pas immédiatement applicables par les États concernés, elles devront faire l’objet d’une technique particulière de réception dans l’ordre juridique interne.
En définitive, conclut l’internationaliste Dr Aziz Ouandaogo, le projet confédéral de l’AES apparaît comme une « fausse bonne idée » ; les éléments caractéristiques de la confédération en droit international sont paradoxalement ceux-là qui contribuent à faire de la confédération une institution fragile.
O.L
Lefaso.net