Santé mentale : « Lorsqu’une personne développe une phobie, il faut éviter de banaliser la situation et de se moquer de la personne », Dr Saiba Bakouan, psychothérapeute holistique
La phobie est une anxiété intense déclenchée par un facteur variant d’un individu à l’autre. Très liée à la peur, la phobie peut avoir un impact significatif sur la santé mentale globale des personnes qui en sont victimes. C’est ce que nous a confié Dr Saiba Bakouan, enseignant-chercheur au département de psychologie à l’université Norbert Zongo de Koudougou. Le psychothérapeute holistique nous explique dans l’interview qu’il nous a accordé comment vaincre ou mieux vivre avec sa phobie.
Lefaso.net : Qu’est-ce que la phobie et comment peut-elle se manifester ?
Dr Saiba Bakouan : La phobie est une peur intense déclenchée par la présence d’un objet ou d’une situation qui ne sont pas objectivement dangereux. Il faut préciser à l’entame que la phobie simple n’est pas équivalente à la névrose phobique. Des phobies existent dans d’autres tableaux cliniques que celui de névrose phobique, selon la catégorisation du DSM-5, puisque le diagnostic de la névrose phobique associe l’existence de phobies, de conduites phobiques et un ensemble de traits de caractères particuliers qui relève du vocabulaire technique des psychologues.
On peut donc définir simplement la phobie comme un trouble psychologique caractérisé par une peur intense et irrationnelle d’un objet, d’une situation, d’un phénomène, ou d’une activité spécifique. Cette peur devient disproportionnée par rapport au danger réel que représente l’objet ou la situation redoutée. Les phobies peuvent varier en gravité, allant d’une légère gêne à une incapacité totale de fonctionner normalement dans la vie quotidienne.
Y a-t-il un lien entre la peur et la phobie et quel est le lien ?
Oui, il y a un lien entre la peur et la phobie, et il faut souligner que ce n’est pas exactement la même chose. La peur est une émotion naturelle et adaptative qui se déclenche en réponse à une menace réelle ou perçue. Tout le monde peut avoir peur de quelque chose à un moment donné. Ce qui est une réaction normale qui peut nous aider à nous protéger d’un danger imminent. Avoir peur d’un serpent qui rôde autour de sa maison, avoir peur d’un lion qui vient de s’échapper d’une cage, avoir peur de perdre son emploi, etc.
En revanche, une phobie est une peur intense, irrationnelle et persistante d’un objet, d’une situation ou d’une activité spécifique. Contrairement à la peur normale, qui est généralement proportionnée à la menace réelle, une phobie est excessive et peut interférer avec la vie quotidienne de la personne. Ce qui fait que la personne en souffre puisque la situation peut affecter sa vie relationnelle, sociale, familiale et même professionnelle.
De façon simple le lien entre la peur et la phobie réside dans le fait que les phobies sont souvent déclenchées par une peur initiale, mais elles évoluent ensuite pour devenir des réponses anxieuses extrêmes et incontrôlables. Les phobies peuvent résulter d’une variété de facteurs, y compris des expériences traumatisantes passées, des influences génétiques et des facteurs environnementaux. On peut dire que la peur est un élément naturel de la vie, tandis que la phobie est une forme extrême et débilitante de peur qui nécessite souvent un traitement professionnel pour être surmontée.
Comment peut-on savoir que l’on a une phobie ?
Pour détecter une phobie chez une personne, on peut observer la présence de plusieurs signes et symptômes. Une crainte angoissante spécifique déclenchée par un objet déterminé ou une situation donnée non dangereux objectivement mais subjectivement dangereux. La crainte disparaît en dehors de l’objet ou de la situation phobogène. On peut aussi observer le type et l’intensité des réactions émotionnelles. Une personne souffrant d’une phobie peut présenter des réactions émotionnelles disproportionnées face à l’objet ou à la situation qui déclenche sa peur.
Par exemple, elle peut paniquer, pleurer, crier ou même ressentir une crise d’angoisse, elle peut même, dans les cas extrêmes, perdre connaissance pendant un bout de temps. La personne peut adopter un comportement d’évitement. La personne fera tout son possible pour éviter l’objet de sa peur, ce qui peut parfois interférer avec ses activités quotidiennes et même ses relations sociales
On peut encore détecter une phobie à travers les réactions physiologiques, c’est-à-dire en présence de l’objet de la phobie, la personne peut ressentir des symptômes physiques tels que des palpitations, le cœur qui bat plus fort que la normale, des sueurs, des tremblements, des nausées ou des étourdissements.
Quelles sont les phobies les plus courantes chez les Burkinabè ?
À ce jour, il n’y a pas à notre connaissance une étude exhaustive qui s’est penchée sur la typologie des phobies les plus couramment rencontrées chez l’ensemble des Burkinabè. Nous pensons qu’une telle étude serait d’une importance capitale puisqu’elle pourra nous donner des orientations pour d’éventuelles prises en charge. Ce qu’on ignore souvent, c’est que la phobie peut rendre la vie difficile à la personne qui en est victime, alors qu’on a tendance à se moquer d’elle.
Mais quand on se réfère à des études exhaustives faites dans d’autre pays par certains auteurs comme Martin Seligman, Joseph Wolpe, Aaron Beck, David Barlow, Michael Gelder, pour ne citer que ceux-là, on s’aperçoit qu’il y a une prédominance des phobies sociales qui sont une peur des situations sociales ou de l’interaction avec autrui. Elles sont souvent liées à l’anxiété sociale et peuvent entraîner un isolement social. Par exemple la situation de crise sécuritaire que connaît le Burkina Faso actuellement peut conduire à développer cette forme de phobie.
On a aussi l’agoraphobie, peur des grands espaces publics, de la foule. Lorsque la personne agoraphobe est exposée à la situation phobogène (rue, magasin, foule), elle éprouve un profond malaise, une sensation de vertige, la peur de perdre le contrôle d’elle-même, la peur de s’évanouir, la peur de mourir, et parfois un sentiment de déréalisation-dépersonnalisation. La panique anxieuse cède en quelques minutes, dès que la personne quitte le lieu angoissant. L’agoraphobe limite son activité à un « périmètre de sécurité », infranchissable sans l’aide d’un tiers, car il craint de manquer d’aide.
On a aussi la claustrophobie. Elle désigne la peur des espaces clos (ascenseurs), des pièces closes (cave, grotte, etc.). Le claustrophobe ne peut supporter d’être dans une pièce dont les issues sont fermées car il est en proie à la crainte de ne pas pouvoir sortir ; l’ouverture de la fenêtre ou de la porte supprime cette impression de malaise. La claustrophobie donne lieu à des rationalisations comme se placer près de la sortie dans une salle de cinéma et à des conduites d’évitement. On a aussi la phobie de prendre l’avion, également connue sous le nom d’aérodromphobie, une peur intense et irrationnelle de voler en avion ou d’être à bord d’un avion.
On a aussi la phobie des animaux et plus particulièrement des reptiles, ou d’autre animaux atypiques comme le caméléon. On peut citer entre autres la cynophobie (peur des chiens), gatophobie (peur des chats) ophidiophobie (peur des serpents) arachnophobie (peur des araignées), musophobie (peur des souris et des rats), entomophobie (peur des insectes), l’herpétophobie (peur des reptiles) etc. Je connaissais un monsieur qui avait une phobie du caméléon. À la vue d’un caméléon, il pouvait crier fort et s’évanouir pendant un bout de temps.
La phobie peut-elle être considérée comme une maladie et comment peut¬-on la vaincre ?
Tout d’abord, il faut dire que les phobies ne sont pas nécessairement des maladies, mais plutôt des réactions anxieuses intenses et irrationnelles. Apprendre autant que possible sur la phobie peut aider à démystifier et à rationaliser les craintes irrationnelles. La connaissance des mécanismes de la peur peut aider à mieux la gérer. On a la thérapie cognitivo-comportementale et émotionnelle (TCCE) qui est l’une des approches les plus efficaces pour traiter les phobies.
Elle implique généralement la désensibilisation progressive, où la personne est exposée graduellement à la source de sa phobie dans un environnement sûr et contrôlé, tout en apprenant des techniques pour gérer l’anxiété. On a aussi la thérapie d’exposition : cela implique une simple exposition progressive et répétée à la source de la phobie dans le but de réduire l’anxiété associée. Cette méthode est souvent utilisée en conjonction avec d’autres techniques de gestion de l’anxiété.
Dans certains cas, des médicaments peuvent être prescrits pour aider à réduire les symptômes d’anxiété associés à la phobie. Cependant, ils ne traitent pas la cause sous-jacente de la phobie et ne sont généralement pas utilisés comme solution à long terme. Cela relève plutôt des compétences du psychiatre. On a aussi la thérapie EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) qui est une approche psychothérapeutique qui peut permettre de gérer une phobie surtout quand elle est liée à un trauma.
Chaque personne réagit différemment aux différentes approches et qu’il peut être nécessaire d’essayer plusieurs méthodes avant de trouver celle qui convient le mieux. En outre, le soutien des amis, de la famille et des professionnels de la santé mentale peut jouer un rôle crucial dans le processus de guérison.
Comment la phobie peut-elle impacter la vie quotidienne d’une personne, ses relations interpersonnelles, sa carrière professionnelle et sa santé mentale globale ?
Les phobies peuvent avoir un impact significatif sur la qualité de vie d’une personne de plusieurs manières. Les phobies peuvent perturber les activités quotidiennes normales. Par exemple, une personne souffrant de claustrophobie peut éviter les ascenseurs ou les transports en commun, tandis qu’une personne souffrant d’agoraphobie peut éviter les lieux publics bondés.
Au niveau interpersonnel, les phobies peuvent créer des tensions dans les relations interpersonnelles. Les proches peuvent avoir du mal à comprendre et à accepter les limitations causées par la phobie, ce qui peut entraîner des conflits et une frustration mutuelle.
Les phobies peuvent entraver la carrière professionnelle d’une personne. Par exemple, une phobie sociale peut rendre difficile la participation à des réunions de service, des présentations ou des événements professionnels, limitant ainsi les opportunités de réseautage et de progression professionnelle, avec par exemple une incapacité à prendre la parole en public.
Les phobies peuvent avoir un impact significatif sur la santé mentale globale des personnes qui en sont victimes. Elles peuvent entraîner de l’anxiété, de la dépression et une baisse de l’estime de soi, de la confiance en soi. La lutte constante contre les symptômes de la phobie peut également entraîner de la fatigue mentale et émotionnelle, affectant ainsi le bien-être général, puisqu’elle est contrainte de développer des comportements contra phobiques, disposer d’un objet contra phobique, comme se faire chaque fois accompagner quand elle doit faire face à une situation phobogène ; ce qui fait qu’elles peuvent sérieusement entraver la qualité de vie d’une personne et nécessiter une prise en charge.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Pour terminer, il faut dire que lorsqu’une personne développe une phobie il faut éviter de banaliser la situation et éviter de se moquer de la personne puisqu’il s’agit d’une souffrance psychique. Pourtant, l’entourage à tendance à ne pas prendre la personne au sérieux. Il faut aussi éviter d’exposer la personne à la situation phobogène (souvent juste pour s’en moquer) sans aucune préparation d’une démarche de thérapie. Il faut soutenir la personne, comprendre ce qu’elle traverse et l’aider à consulter un spécialiste de la santé mentale pour une prise en charge adéquate.
Farida Thiombiano
Lefaso.net