Résistance aux antimicrobiens dans la chaîne alimentaire : Des résidus d’antibiotiques retrouvés dans 32% des viandes issues de l’abattoir frigorifique de Ouagadougou, selon une étude
La résistance aux antimicrobiens (RAM) est un problème de santé publique. Selon les chiffres de l’OMS, la résistance aux antimicrobiens cause chaque année plus de 700 000 décès. Parmi les causes de la RAM, la mauvaise utilisation des antibiotiques notamment dans l’élevage. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Dr Serge Samandoulgou, maître de recherche en nutrition et sciences des aliments au Département de technologie alimentaire de l’Institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT) du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST) revient sur la résistance aux antimicrobiens dans la chaîne alimentaire et ses conséquences sur la santé humaine.
Lefaso.net : Quand on parle de résistance aux antimicrobiens dans la chaîne alimentaire, qu’est-ce que c’est ?
Dr Samandoulgou : En termes simples, il faut savoir que chaque fois que nous utilisons les antibiotiques pour le traitement des animaux, ces antibiotiques peuvent se retrouver dans les denrées alimentaires d’origine animale ou dans les denrées alimentaires issues de ces animaux traités. C’est-à-dire que si on traite les animaux, la viande issue de ces animaux, le lait issu de ces animaux, les œufs issus de ces animaux peuvent regorger des résidus d’antibiotiques et ces résidus favorisent l’émergence des bactéries résistantes. C’est ce qu’il faut comprendre.
Une idée de l’ampleur de la résistance aux antibiotiques dans la chaîne alimentaire au Burkina Faso ?
Ce qu’il y a, c’est qu’on a mené une étude pour essayer de connaître la prévalence des résidus d’antibiotiques dans la viande, dans les œufs et dans le lait. Pour ce qui concerne la viande, nous sommes autour de 31% de viande issue de l’abattoir frigorifique de Ouagadougou qui contient des résidus d’antibiotiques au-delà des limites maximales de résidus autorisés.
Au niveau des œufs, c’est encore plus grave, nous sommes à 42%. Cette étude a concerné un échantillon que je dirai représentatif de ce qui se passe au Burkina, parce qu’il y a eu deux régions de forte production, notamment la région du Sahel et la région de l’Est et également la région du Centre et les Hauts-Bassins prises en compte dans l’étude.
Au niveau du lait, ça tourne autour de 9% en fonction des résidus trouvés.
Et sur les plantes ?
La conséquence de ces résidus d’antibiotiques retrouvés sur les produits issus des animaux, c’est que déjà si au niveau de la viande on trouve 31% de résidus, c’est que dans les déjections de ces animaux, il y a par moment des résidus d’antibiotiques qui sont libérés, donc entraînés par les eaux, absorbés par les plantes et si les déjections de ces animaux ont été utilisées comme de la fumure pour des laitues, des légumes, ces légumes également peuvent contenir en faible quantité des traces de résidus.
Quelles peuvent être les conséquences de cette résistance sur la santé de la population et pour l’environnement en général ?
La conséquence directe de la présence de résidus d’antibiotiques dans les denrées, c’est de favoriser la présence de microorganismes résistants. Une des conséquences fondamentales de la présence des microorganismes résistants, c’est que ça nous prive de moyens pour traiter des maladies.
Actuellement on a des moyens à travers des antimicrobiens, mais dès lors que la maladie va s’installer, les moyens que nous avons que sont les antimicrobiens seront inefficaces, donc ça nous prive de moyens de pouvoir traiter les gens. Nous serons obligés par moment en tant que professionnels de la question de regarder des gens mourir parce qu’on n’a pratiquement pas les moyens pour les secourir. Et ça c’est triste quand on croise des pathologies et quand on voit que les agents infectieux sont devenus résistants à la plupart des antibiotiques que nous avons. Il y a des cas, même au Burkina Faso déjà.
L’autre risque, c’est que même si on arrive à trouver des combinaisons, c’est très cher ce qui fait que si on n’arrive plus à traiter beaucoup de maladies à cause de la résistance des agents pathogènes incriminés, alors le traitement va devenir très, très cher dans un avenir proche. Il suffit juste d’être enrhumé ou simplement d’avoir de la toux et il sera très difficile de te soigner si tu ne débourses pas une somme colossale.
Une crainte pour l’avenir donc ?
La crainte objectivement peut exister voilà pourquoi il faut mettre l’accent sur la sensibilisation étant donné que la question est holistique et touche plusieurs secteurs. Les solutions proposées sont celles entrant dans le cadre du One Health, c’est-à-dire une santé commune (assurer une santé au niveau humain, au niveau animal et au niveau environnemental).
Quelles sont les causes de la résistance aux antimicrobiens
La principale cause de l’émergence des bactéries résistantes, c’est l’utilisation abusive des antibiotiques, la mauvaise utilisation des antibiotiques. Il y a des éleveurs qui utilisent les antibiotiques comme préventif. Par exemple, il se dit qu’on est en train de rentrer dans la saison pluvieuse, il fait un traitement systématique d’antibiotiques parce que pour lui, il y aura des maladies qui vont survenir à cause de l’humidité. Donc par précaution, il fait un traitement.
Ce qui n’est pas nécessaire. Il y a également le fait que certains utilisent les antibiotiques comme facteur de croissance et ça c’est plus dangereux. Et il y a aussi le fait que certains éleveurs utilisent des médicaments de la rue. Ces médicaments, nous avons trouvé un cas concret où il était écrit qu’il s’agissait d’un produit vitaminique, mais lorsqu’on a fait l’analyse, le produit sensé contenir des vitamines renfermait environ 80% d’oxytétracycline, qui est un antibiotique et qui n’a rien à avoir avec des vitamines et des minéraux.
Quelles sont les conséquences de la RAM chez les animaux ?
La conséquence directe de la résistance aux antibiotiques chez les animaux, c’est que ça modifie la flore intestinale animale. Ce qui fait que l’animal qui avait la capacité de digérer un certain nombre d’aliments, n’arrive plus à le faire. On lui donne l’herbe de qualité, du foin de qualité, mais le rendu, c’est que par exemple si c’est de l’embouche, l’animal ne prend plus de forme, parce que la flore intestinale a été modifiée. Une autre conséquence c’est qu’on ne peut plus traiter l’animal quand il tombe malade.
Un message à faire passer à la population ?
Les éleveurs doivent avoir de bonnes pratiques d’élevage. C’est important que chaque acteur se fasse former sur les bonnes pratiques surtout pour ceux qui ont des élevages de production, c’est-à-dire des élevages qui donnent soit de la viande, du lait ou des œufs. Ils doivent être sensibilisés aux bonnes pratiques, ce qui va aider dans le respect des délais d’attente et pouvoir protéger le consommateur. Le problème, c’est qu’une fois que les molécules d’antibiotiques se retrouvent dans la viande, dans le lait, dans les œufs, elles seront consommées. Une fois qu’elles sont consommées, elles favorisent l’émergence des bactéries résistantes.
Je voudrais attirer l’attention du politique à pouvoir soutenir le plan national de lutte contre la résistance aux antibiotiques. Ce plan a besoin de financement. La RAM touche tout le monde parce que lorsqu’on a une population malade, c’est une population qui est inactive, c’est une population qui va consommer de l’argent et ne pourra pas produire. Si on veut une population productive, il faut des gens en bonne santé. Et être en bonne santé, c’est aussi ’investir dans le plan national de lutte contre la RAM.
Interview réalisée par Justine Bonkoungou
Lefaso.net