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Création de l’AES et retrait de la CEDEAO : « Au-delà même de ces trois pays, c’est une chance pour toute l’Afrique » (Dr Windata Zongo, enseignant, spécialiste en diplomatie)

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Publié le lundi 1er avril 2024 à 22h04min

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Création de l’AES et retrait de la CEDEAO : « Au-delà même de ces trois pays, c’est une chance pour toute l’Afrique » (Dr Windata Zongo, enseignant, spécialiste en diplomatie)

La création de l’Alliance des États du Sahel (AES) et le retrait des trois pays (Burkina, Mali et Niger) de la CEDEAO suscitent autant d’interrogations pour les citoyens des pays concernés que des analyses sur les enjeux. Ces actes resteront pour longtemps encore, et pour diverses raisons, des sujets majeurs d’actualité. C’est ce que révèle également cette interview accordée par l’enseignant dans des universités et instituts publics au Burkina et en Europe, spécialiste en diplomatie, relations internationales et bonne gouvernance, Dr Windata Zongo.

Lefaso.net : Vous qui vous intéressez aux questions de géopolitique et de la vie des institutions internationales, avec quelle analyse avez-vous accueilli l’information, d’abord de la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) et ensuite du retrait des trois pays (Burkina, Mali et Niger) de la CEDEAO ?

Dr Windata Zongo : D’abord, permettez-moi de formuler, même si ce n’est plus d’actualité, mes vœux d’une année marquée par encore plus de territoires reconquises et de populations sécurisées. Je profite aussi témoigner de la reconnaissance aux FDS (Forces de défense et de sécurité), aux Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) et compatir à la douleur des familles de ces forces combattantes tombées dans les champs de bataille. Nous ne pourrons jamais assez leur témoigner la reconnaissance qu’elles méritent, pour s’être sacrifiées pour le peuple.

Pour revenir à votre question, je dirai qu’à partir du moment où le constat est fait que la CEDEAO est devenue empiriquement illégitime, et que les trois pays en avaient tiré la conclusion en créant l’AES (Alliance des États du Sahel), on ne peut donc pas être surpris de ce pas supplémentaire qu’est la sortie de l’organisation ; puisqu’ils ne se sentent plus concernés par elle et ce qu’elle entreprend. C’est juste la suite logique d’un processus qui, à mon avis, n’est pas encore achevé.

Une certaine opinion croit à un coup de bluff pour ce qui est du retrait de la CEDEAO, une façon pour ces trois pays qui vivent tous une transition avec des militaires, de se soustraire des contraintes des organisations internationales et négocier des faveurs. Mais au regard des discours hostiles dans les trois pays de l’AES, peut-on dire aujourd’hui que la rupture avec la CEDEAO est consommée ?

Ceux qui pensent cela ont certainement des raisons d’émettre cette hypothèse. Moi, je crois que c’est simplement une volonté de s’organiser autrement dans l’objectif de lutter de manière efficace contre ce phénomène du terrorisme dans le court terme. Dans les moyen et long termes, il s’agit pour ces pays de penser autrement un modèle de gouvernance communautaire, surtout avec cette décision insensée de la CEDEAO sur le dossier du coup d’État nigérien. Et donc, effectivement, il y aura une rupture verticale avec la CEDEAO. Je crois toutefois que des interactions de type horizontal seront actionnées avec la CEDEAO dans le cadre de l’AES.

Quels sont les scenarii possibles, en termes d’évolution, tant pour ce qui est du retrait de la CEDEAO que de l’avenir même de l’AES ?

Mais à partir du moment où ils sont sortis de la CEDEAO, la logique est qu’ils soient dans l’objectif d’une consolidation multidimensionnelle de l’AES, de sorte à ce qu’elle soit ce que la CEDEAO aurait dû être, à savoir un ordre sécuritaire sous-régional assumant empiriquement son rôle. Même si ici, on parlera plutôt d’un ordre sahélien. Le ministre malien des Affaires étrangères a d’ailleurs déclaré cela lorsqu’une question lui avait été posée sur la CEDEAO.

Dans des interviews que vous nous avez accordées entre 2016 et 2020, vous souligniez la nécessité pour les institutions sous-régionales (CEDEAO, CEMAC…) et continentale (UA) de jouer pleinement leur rôle dans la construction des États, pour être en phase avec leurs populations. Concrètement, qu’est-ce qui fait la faiblesse de ces organisations africaines et que faut-il pour combler les insuffisances ?

Mais je confirme ma position. Et d’ailleurs, l’actualité géopolitique ouest-africaine confirme ce que je craignais. Toute analyse faite, on voit que cette structure régionale et les ordres sous-régionaux africains ne sont juste que des forums de chefs d’État, lesquels ne se préoccupent pas réellement des aspirations des populations. Pour le cas de l’UA (Union africaine), les jeux de puissances en son sein ne permettent pas une harmonisation en matière de prise de décision. Je peux citer ici des rivalités Afrique du Sud-Égypte, Algérie-Maroc, Afrique du Sud-Nigeria... ; tout cela nous avait coûté une option claire et régionale contre la volonté française d’envahir la Lybie par exemple, et il y a d’autres cas.

Pour la CEDEAO, je crois que la charte de Dakar sur la bonne gouvernance constitue le principal problème. Il ne faut pas simplement demeurer dans le normativisme en décrétant qu’il faut instaurer la démocratie. Il faut aussi dresser un arsenal coercitif dissuasif contre la mauvaise gouvernance, parce que tous les régimes démocratiques renversés depuis là avaient certes la légitimité des urnes, mais dans la gestion du pouvoir, c’était le chaos. Vous savez, si vous gouvernez bien avec des politiques de redistribution claires et une transparence dans la gestion des ressources de l’État, sans clientélisme ni corruption, l’idée même du coup d’État ne viendrait même pas dans la tête d’un militaire à plus forte raison son encensement par les populations, comme on a pu le voir ici, mais aussi au Mali, au Gabon et au Niger. Donc, il faut que ces structures mettent l’accent sur le modèle de gouvernance, ne pas se contenter de citer, de condamner les seuls coups d’État militaires et fermer les yeux sur les coups d’État constitutionnels et la mal-gouvernance avec un arsenal coercitif dissuasif. C’est ce que les populations attendent de ces ordres.

Au-delà de celles africaines, il n’y-a-t-il pas une véritable crise entre les institutions de façon générale et les populations, lorsqu’on sait que les forces de l’ONU ont été déclarées non-grata au Mali et récemment au Congo, pour insuffisances de résultats ?

Oui, mais c’est la même situation de jeux de puissances dans cette organisation et la capacité qu’un État a, à l’utiliser pour son intérêt national, tout en brandissant l’argument d’une contribution en faveur de la sécurité internationale, comme cela est souvent le cas dans les dossiers où des grandes puissances ont des intérêts. On se rappelle du cas de la Côte d’Ivoire avec l’ONUCI que le régime du président Gbagbo critiquait. Les petits États ne sont plus dupes. Tout ce qui arrive est le résultat d’une bonne lecture de la situation des gouvernants de ces pays.

Le retrait des trois pays de l’AES peut-il avoir un impact négatif sur la CEDEAO ?

Bien-sûr ! Déjà, en termes d’image, c’est le résultat d’un échec de la posture de l’intégration. Ensuite, dans le champ géopolitique, vous voyez clairement que la CEDEAO perd son poumon, qui est le Sahel. Donc, plus de possibilité de faire la jonction avec le grand Moyen-Orient. Enfin, le modèle économique en prend aussi un coup. Mais c’est dans les deux sens.

Certains analystes pensent que le fait de ne plus avoir de débouchés maritimes est déjà un inconvénient majeur pour les pays de l’AES. Quelle est votre analyse par rapport à cela ?

Ces analystes ignorent un fait : il ne s’agit pas ici d’une dépendance, mais plutôt d’une interdépendance. Ce qui veut dire que chacun a besoin de l’autre. Si vous avez la mer et que personne ne vient, dites-moi, comment vous rentabilisez les investissements ? Vous remarquerez d’ailleurs le changement de discours du président Talon (Patrice, président du Bénin, ndlr) à ce sujet, avant même la levée des sanctions de la CEDEAO. Rappelez-vous aussi que ce discours avait été brandi par les gouvernants ivoiriens durant la crise du début des années 2000 avec le Burkina Faso, mais au finish, le directeur général du port autonome d’Abidjan avait fait le déplacement à Ouaga, spécialement pour renouer avec le Burkina Faso. Je dirai même que ce sont les pays de l’AES qui sont en position de force, dans la mesure où ils ont la possibilité de discuter avec quasiment tous les pays membres de la CEDEAO actuelle ; puisqu’ils disposent tous d’un accès à la mer et ont besoin de partenariats.

On assiste, ces dernières années, à une sorte de ruée des puissances (Russie, Turquie, Chine...) vers le continent africain, dans une sorte de bataille avec des partenaires traditionnels. La création de l’AES et le retrait de la CEDEAO ne sont-ils pas finalement la conséquence de la rivalité entre puissances plutôt que des actes qui procèdent vraiment d’une vision des trois dirigeants au Burkina, Mali et Niger ?

La création de l’AES est une initiative diplomatique de ces trois pays et on ne peut pas leur enlever cela. Cette initiative est favorisée par la reconfiguration de l’espace géopolitique mondial, marqué par l’équilibrage de la puissance. Les relations internationales ne sont plus occidentalo-centrées. Vous avez les puissances révisionnistes qui ont travaillé à créer un multilatéralisme de contestation qui a fait ses preuves dans les champs diplomatiques, mais surtout économico-financiers. Je pense que cette situation, au-delà même de ces trois pays, est une chance pour toute l’Afrique. Il faut diversifier les partenariats plutôt que de demeurer dans un système traditionnel asymétrique et qui a montré ses limites. Et si cela n’est pas incompatible avec les aspirations de puissances révisionnistes, c’est de bonne guerre pour nos États, même si certains y voient plus une conflictualité proxy de nations expansionnistes.

Pour une certaine opinion, derrière la CEDEAO se cache la France ; et derrière l’AES, la Russie. Votre commentaire ?

Que la France soit derrière la CEDEAO est su, parce que le président français lui-même l’a implicitement fait savoir dans ses déclarations. J’attends pareille intervention des gouvernants russes pour pouvoir affirmer que ce pays est effectivement derrière l’AES. Pour le moment, je n’en ai même pas la présomption. Mais c’est une hypothèse qui, si elle se réalise, contribuera à équilibrer les relations entre ces deux institutions.

La Russie est la puissance la plus en vue et la plus cotée dans cette situation ; d’ailleurs, le pays avait déjà annoncé son retour sur le continent à la faveur du premier sommet Russie-Afrique en juillet 2019. Les États africains peuvent-ils bénéficier de cette puissance, ce qu’ils n’ont pas reçu des autres ? Autrement, quel est l’avantage pour un État africain en voie de développement d’opter pour la Russie au lieu des partenaires traditionnels ?

Toute nation économiquement puissante et aspirant à la sécurisation de ses approvisionnements est obligée de se tourner vers l’Afrique, à cause de l’abondance des ressources naturelles. Il n’y a pas que la Russie ou les partenaires traditionnels. Maintenant, existe une multitude de sommets entre l’Afrique et plusieurs pays : Russie, France, Turquie, Japon, Chine, Inde, Arabie Saoudite, … L’Afrique doit donc avoir conscience de n’être plus la périphérie, mais plutôt le centre du monde et doit, de ce fait, travailler à accroître ses marges de manœuvres dans les négociations ; puisqu’elle est en position de force. Et pas seulement avec les partenaires traditionnels ou la Russie, mais avec l’ensemble de ces pays demandeurs.

Il y a des sanctions européennes qui pèsent sur la Russie, du fait de la guerre qui l’oppose à l’Ukraine, un conflit dont la fin n’est visiblement pas pour demain. Ces sanctions ne vont-elles pas porter un coup à l’ancrage russe, notamment en termes d’accompagnement aux États africains qu’elle est en train de ‘‘conquérir’’ ?

Pas du tout. Vous savez, la stratégie russe est loin d’être un feu de paille. C’est quelque chose qui a été élaboré depuis le début du millénaire avec la mise en place de ressources nécessaires, tant dans les champs financier et économique que diplomatique, militaire et médiatique. Ils bénéficient, en plus de cela, de circonstances historiques favorables en Afrique francophone. Ils sont prêts, comme le montre la stabilité de l’économie qui subit les sanctions internationales, parce que les plages de sanctions qu’ils connaissent parfaitement ont été anticipées.

Par exemple, ils ne sont pas dans le système Swift, ils ont la NDB comme banque, et continuent de commercer avec leurs partenaires qui, eux, n’utilisent pas le dollar pour la grande majorité et n’ont plus peur des tentatives d’intimidation. Vous vous souvenez du gouvernant indien dont le pays est un grand importateur du pétrole russe, qui a répondu à une injonction du président américain Joe Biden en visite sur place, en indiquant que le temps où on pouvait leur dicter ce qu’ils devaient faire est révolu. L’interdépendance aussi fait que les sanctions impactent beaucoup d’entreprises européennes commerçant avec la Russie et qui commencent à faire du lobbying auprès des gouvernants pour que cela prenne fin, comme c’est le cas en Allemagne, en France et en Pologne.

Les tentatives d’intimidation contre les gros partenaires russes sont restées vaines... Et vous voyez que les investissements russes et les ressources pour l’expansion en Afrique n’ont pas décru en Afrique. Non, je ne pense pas que les sanctions auront un impact sur l’offensive russe en Afrique. Ils sont économiquement prêts pour supporter cela dans la durée. Quid de l’Europe ? On verra avec l’inflation galopante et la montée de la grogne sociale.

Les pays de l’AES disposent-ils effectivement de ressorts pour pouvoir tirer profit de cette ruée des puissances-là ? En clair, il ne s’agit-il pas en réalité de quitter un cercle vicieux pour un autre, si les conditions ne sont pas réunies ?

D’abord, ils ont tout ce qu’il faut comme ressources naturelles et humaines pour cela. En plus, comme je vous l’ai dit, les circonstances géopolitiques le permettent. Enfin, il n’existe pas une autre occasion historique de réduire cette domination française tant décriée par les élites politiques de ces pays-là que celle qui vient de se présenter.

Comme les autres puissances, la Russie est intéressée par les ressources naturelles du continent, nécessaires au soutien de la production dans son secteur industriel (manganèse, bauxite, diamant…), et aux secteurs à forte croissance sur le continent (télécommunications, ouvrages hydro-électriques, chemin de fer...). À cela s’ajoute une politique persuasive qui a consisté à supprimer, en mars 2018, une dette de 20 milliards $ contractée par des pays africains (selon une publication en janvier 2018 de la revue diplomatique africaine 2018). Ce qui fait dire à certains observateurs que l’Afrique n’est pas sortie de l’auberge. Que faut-il donc aux États africains pour réellement tirer dividendes de leurs richesses dans ce jeu de repositionnement des puissances ?

Ce que vous dites est vrai et a même été reconnu sans gants par le ministre russe des affaires étrangères à l’ONU, l’an dernier, lorsqu’il a affirmé que les Russes sont intéressés au même titre que les Occidentaux par les matières premières en Afrique. La différence est que le discours ne se fait pas dans une logique commandement-obéissance comme c’est très souvent le cas avec l’Occident. Cela se fait dans un discours franc qui respecte la volonté des gouvernants africains. Il existe certes une asymétrie dans la relation qui est preuve de domination, mais on passe quand même d’une domination subie à une domination voulue, dans la mesure où ce sont les États qui choisissent le partenaire et les besoins ; et cela constitue déjà une avancée dans la quête de la souveraineté.

Un de nos lecteurs, qui avoue s’inquiéter du ‘‘tout militaire’’ dans la conception de la lutte anti-terroriste, notamment au Burkina, m’a transféré ce passage tiré d’une interview que vous nous avez accordée en janvier 2017 sur l’actualité nationale, marquée alors par la généralisation des attaques terroristes : « On a deux types de solutions : soit on passe par la coercition, soit par la négociation. La coercition soigne juste les symptômes. Par contre, la négociation est beaucoup plus profonde. Je pense que c’est cette méthode-là qu’il faut. Bien entendu, quand les actions se radicalisent, l’État doit aussi apporter des réponses radicales. Toutefois, je pense que la question sécuritaire dans la zone du Sahel est antérieure à la création des États dans cette zone. La préoccupation, c’est comment trouver une solution durable à ce problème. Comment, à partir d’un pays comme le Mali, le Niger…, on peut trouver des solutions endogènes, de telle sorte que les gens ne soient pas obligés de traverser les frontières pour venir s’en prendre aux populations burkinabè. La question ne concerne pas seulement les gouvernants du Burkina mais, d’une manière globale, tous les pays de la zone. Je pense qu’il faut plus impliquer dans les négociations, les acteurs des mouvements insurrectionnels ; parce qu’en définitive, les revendications sont d’ordre sociétal et historique. En ce moment, l’heure est à la sécurisation des populations contre ces attaques terroristes, mais sur le long terme, que faire ? La coercition permet de lutter contre le basculement dans le terrorisme, elle permet de régler le problème du désordre régnant en ce moment dans la zone du Sahel, mais résout-elle en profondeur la question sociétale ? Je pense que dans cette perspective, la négociation ne doit pas être mise au placard au profit exclusif de la violence légitime ». Quel est le commentaire que vous pouvez aujourd’hui faire de ce passage, au regard de la situation sécuritaire actuelle, non seulement au Burkina, mais également dans les deux autres États (Mali, Niger) que vous avez évoqués dans ladite interview ?

Cette question m’a même été posée il y a quelques jours en cours. Pour répondre, permettez-moi d’abord de rectifier une chose qui est que la stratégie actuelle du gouvernement n’est pas le tout militaire. La partie non-coercitive existe et est laissée à l’appréciation des terroristes. Celui qui dépose les armes et qui fait acte de reddition est accueilli dans des centres de réinsertion sociale qui existent bien et qui prestent. Vous avez même vu un reportage de la RTB, il y a quelques mois, montrant des cas de terroristes dans cette situation et qui ont même appelé leurs ex-collaborateurs au dépôt des armes et à revenir dans le droit chemin. Ce qui veut dire que l’État, dans sa stratégie, utilise le bâton et la carotte. Pour la seconde partie de votre question, je vous dirai comme je le répète toujours qu’il faut contextualiser. Si vous faites une analyse sociologique de cette conflictualité, que ce soit ici ou au Mali, vous verrez qu’il y a deux grandes étapes. Une première durant laquelle des groupes terroristes assumaient les attaques qui étaient le plus souvent contre les forces de défense et de sécurité et les autres symboles de l’État, et avec des revendications irrédentistes. Cela veut dire que l’origine du problème est sociétale.

C’est durant cette époque que l’interview avait été faite et effectivement dans ce cas de figure, il faut penser à la négociation à cause de son coût en vies humaines et en ressources et de la valeur ajoutée qu’elle offre, puisque l’interlocuteur est connu, les revendications aussi. Là, on parvient au mieux à un consensus ou, au pire, à un compromis ; mais en tout cas, à une œuvre commune. En ce moment, nous assistons à une seconde étape avec des attaques massives sur les populations, des interlocuteurs qui ne s’assument pas et des dégâts psychologiques importants sur la société qui demande que l’État assume son rôle qui est de garantir la sécurité, quoi qu’il en coûte. Cela légitime l’approche militaire qui est la partie importante de la stratégie globale. Mais elle n’est pas l’unique option sur la table.

L’Afrique peut-elle, au stade actuelle, se passer de l’expertise occidentale en matière de lutte contre le phénomène terroriste ?

Comment expliquez-vous alors le fait que les partenariats noués par les États sahéliens et qui ont un impact positif sur le terrain soient du sud global ? Nos États sont capables d’en finir avec ce phénomène et vont le faire. Nos forces de défense et de sécurité disposent de ressources humaines légitimes pour cela. C’est l’absence de moyens logistiques qui crée les problèmes, comme on a pu le voir dans les pays du Sahel. Avec de la logistique de pointe, pas besoin d’aller voir chez Paul ou Pierre pour des questions de stratégie.

Au Soudan, à l’Est du Congo, au Nigeria, en Libye, pour ne citer que ces pays, des crises, les unes aussi vieilles que les autres, persistent, dans une impuissance, voire indifférence, des organisations régionales et continentale africaines. Que pensez-vous finalement de ce manque d’intérêt sur le continent vis-à-vis de ces conflits qui fouettent ces États africains ? Quelles peuvent être les solutions pour mettre fin à la souffrance des populations concernées ?

Vous avez même oublié le terrorisme au Burkina Faso et au Mali dans cette liste. Je vous renvoie à la conclusion des travaux du sommet de l’Union africaine d’Accra en 2007 au cours de laquelle ce débat avait déjà eu lieu et pour lequel, le président Compaoré avait préconisé la consolidation des ordres sous-régionaux pour plus d’efficacité dans la gestion des crises. Et il n’avait rien inventé en disant cela, puisque la subsidiarité est le principe même de la charte de l’ONU dans la résolution des conflits, mais il avait constaté une volonté de certains chefs d’État de l’époque de sauter cette étape pourtant importante. Je m’aligne sur cet avis et pense que pour ce faire, il faudrait, dans cette consolidation des ordres sous-régionaux, travailler à ce qu’ils se légitiment empiriquement. Sinon, on parviendra à des coquilles vides comme l’est la CEDEAO actuelle et cela se répercutera par une indifférence de ces structures sur la question de la résolution des conflits, alors que cela fait pourtant partie de leur prétention de posture.

Au moment où nous réalisons cette interview, le président russe, Vladimir Poutine, vient d’être réélu par un score écrasant. Quel impact peut avoir cette réélection dans les relations internationales, en particulier sur le continent africain ?

Dans le champ des relations internationales comme en Afrique, je dirai que c’est une continuité.

À vous les derniers mots pour clore…

En dehors de l’effectivité de la reconquête intégrale du territoire, je voudrais juste dire bravo au gouvernement pour la politique agricole entreprise. On voit un dynamisme à ce niveau et c’est vraiment encourageant. C’est quelque chose de primordial pour tout pays, surtout le nôtre. Aucun pays ne peut aspirer au développement voulu sans une politique agricole audacieuse. Regardez les politiques agricoles des BRICS, lesquelles s’inspirent de celles initiées des décennies plus tôt par les grandes puissances qui ont d’ailleurs longtemps utilisé ce champ à des fins diplomatiques. Toute souveraineté commence par le champ alimentaire et, là, vraiment on ne peut que se réjouir de cette volonté gouvernementale d’accorder à l’agriculture le rôle qui lui revient dans le champ économique. On voit le ministre Sombié qui ne ménage aucun effort pour ce faire, avec les autres intervenants dans la réalisation de la politique publique. Vraiment, cela nous réjouit tous et on prie Dieu qu’en plus de la reconquête complète du territoire qui ne saurait tarder, l’objectif de cette politique agricole soit bientôt un succès total et durable.
Interview réalisée en ligne par

Oumar L. Ouédraogo
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