Burkina agriculture : Marthe Toé une championne de la permaculture dans les Hauts-Bassins
La permaculture définie comme une agriculture biologique a recours à des pratiques de culture et d’élevage soucieuses du respect des équilibres naturels. En effet, elle exclut l’usage des produits chimiques de synthèse, des OGM et limite les intrants. Le centre de permaculture Lawatan, dirigé par Marthe Toé, est l’un des premiers centres de permaculture au Burkina Faso. Situé à Kouakouali à 35 km de Bobo-Dioulasso, il consiste en un espace de régénération naturelle assistée de 33 ha avec une savane arborée, une savane arbustive et un parc agroforestier.
Lefaso.net : Qu’est-ce que la permaculture ?
Le mot permaculture est d’origine anglaise. Il est la contraction des termes « permanent agriculture », soit agriculture permanente. Créé dans les années 1970 par des Australiens, le concept de permaculture propose une forme d’agriculture qui imite intimement la nature pour développer des systèmes agricoles productifs et résilients grâce à la diversité et à l’intégration des cultures. L’objectif ultime étant de produire un environnement harmonieux, résilient, productif et durable.
Mais très vite, dès les années 1980, et face aux enjeux de l’agriculture durable, le concept a évolué en s’appuyant sur une approche plus systémique, et surtout une éthique. Ainsi, la permaculture suggère la conception et la mise en valeur de systèmes intégrés de production en phase avec le développement durable, où l’activité humaine doit tenir compte des écosystèmes naturels et s’exercer en harmonie et en interconnexion avec eux, dans un souci constant d’efficacité, de soutenabilité et de résilience.
Ceci étant, l’observation précise du fonctionnement des écosystèmes (notamment en termes de productivité et d’efficacité), est une règle précieuse qui permet à la permaculture d’orienter des modes de conception qui ne sont pas figés, mais régulables selon les milieux de mise en œuvre. Toutefois, il y a trois exigences éthiques en permaculture que l’on peut résumer comme suit : Prendre soin de la terre, en préservant l’environnement et la biodiversité ; prendre soin de l’humain, en construisant le bien-être individuel et collectif ; partager équitablement les ressources et les produits et prendre soin du futur.
Comment se présente votre centre de permaculture ?
Crée en 2012 sous le nom de Ferme agropastorale Bethel Bethesda, le nom de notre entreprise a changé en 2019 et est devenu le Centre de permaculture Lawatan après une formation initiale avec l’ONG américaine Peace Bridge Internationale et des formations avancées à l’Institut de Permaculture du Ghana. Le Centre est situé à l’Ouest du Burkina Faso, dans le village de Kwakwalé, à la périphérie sud de la commune urbaine de Bobo-Dioulasso.
Le centre Lawatan couvre une superficie de 33 hectares répartis en trois zones : une savane arborée qui couvre 58 % du site, une savane arbustive sur 21 % et enfin un parc agroforestier qui couvre aussi 21 %.
Au Centre Lawatan, nos pratiques permacoles intègrent les exigences de durabilité environnementale, c’est-à-dire des règles vertueuses de production, respectueuses de la biodiversité et de l’humain tout en valorisant les processus fonctionnels des écosystèmes naturels.
Ces règles nous conduisent deuxièmement à aligner facilement nos pratiques de production sur les normes de l’agriculture biologique définies au Burkina, et même de satisfaire certaines normes de certification internationale. C’est ainsi que notre centre réalise des productions agrosylvopastorales tout en accompagnant la régénération de la biodiversité forestière. Je précise qu’au niveau du centre Lawatan nous n’utilisons ni pesticides ni OGM.
Comment procédez-vous à votre niveau pour pratiquer la permaculture ?
Pour mettre en place les principes de la permaculture, nous menons des activités à trois niveaux. D’abord il y a diverses activités de restauration et de protection du capital naturel. La restauration des terres, initialement très incultes, est faite par des aménagements antiérosifs tels que le paillage, les cordons pierreux végétalisés avec l’andropogon. Je voudrais vous faire remarquer que nous résolvons la contrainte d’érosion des terres avec des ressources du milieu à savoir les pierres fortement présentes sur le terrain au point d’être parfois perçues comme un problème sur un terrain agricole.
Nous avons choisi l’andropogon qui est très utile dans notre milieu puisque les tiges sont valorisées dans l’artisanat. De plus, l’eau de pluies est captée dans des bassins de stockage et valorisée pour la production végétale et les animaux. Par ailleurs, nous avons introduit beaucoup d’espèces utilitaires dont des arbres fertilitaires comme le gliricidia sépium, qui ont permis de recouvrir rapidement les terres dénudées, et de fournir de la biomasse recyclée en compost de qualité. Dans le domaine, l’énergie utilisée est d’origine solaire, et sert pour le pompage de l’eau et l’éclairage domestique.
Deuxièmement les terres restaurées sont mises en production avec diverses spéculations (céréales et légumes), et ce de manière biologique. A cet effet, nous valorisons les bio-intrants produits par le Centre. Il s’agit des composts solides et liquides, enrichis avec les feuilles du gliricidia sépium reconnu pour sa richesse en azote. Nous produisons également les bio pesticides, ainsi que des semences locales pour nous-mêmes et pour la communauté. Aussi, nous faisons de l’apiculture aussi bien pour le miel que pour une bonne pollinisation dans la zone. L’ensemble des activités de production concoure à promouvoir la biodiversité à travers les cultures, les espèces forestières, la faune,...
Enfin, troisièmement, nous menons des activités de transformation et de valorisation de nos produits. Nous faisons la transformation alimentaire et les cosmétiques à base des produits issus du centre. Nous avons des produits à base de Moringa, l’huile, les produits cosmétiques et la poudre de Moringa, la poudre des feuilles de baobab, des huiles essentielles obtenues par distillations des plantes aromatiques, etc.
Quels sont les avantages / impacts de votre ferme grâce à la pratique de la permaculture ?
Les avantages sont multiples et palpables tant au niveau social, économique et environnemental, etc. Par exemple, notre action a permis de repeupler le milieu, jadis dénudé, avec des plantes locales. D’autres plantes ont été introduites pour leurs services spécifiques. Ainsi, au niveau environnemental, le site est devenu une niche très riche et dense en biodiversité, car on y trouve 24 familles de plantes, 54 genres et 59 espèces ligneuses dont beaucoup avaient disparus avant. La densité des ligneux est de 417 pieds /ha, ce qui est particulièrement élevée en comparaison aux zones voisines du site. Et comme vous le savez, là où il y a l’arbre, il y a la vie. Certaines plantes de service comme le gliricidia, ont été introduites pour contribuer à restaurer la capacité productive des terres.
Au niveau social, beaucoup de plantes ont des usages traditionnels en lien par exemple avec la pharmacopée. On peut citer le curcuma, Securidaca longepedunculata, Fagara zanthoxyloïdes, Trichilia emtica, etc. Parmi les 20 premières espèces les plus abondantes, on retrouve en premier lieu deutarium microcarpum qui avait disparu pratiquement dans la zone et qui est très utilisé à la fois pour le bois que pour le fruit.
Certaines plantes sont reconnues pour leurs valeurs nutritives ou médicinales (dans les traditions) ou même cosmétiques. Les fruits, les écorces ou les fleurs peuvent être transformés en huiles, pommades, poudres ou en infusion/décoction pour améliorer le bien-être des populations locales, et ce à moindre coût. Les produits sont très divers : savons, baumes et pommades, tisanes, et même de l’huile, ou encore de la poudre de feuilles de moringa servant de complément alimentaire.
En plus, la vocation éducative de la permaculture pour transformer durablement nos systèmes de production nous amène à faire des activités de partage de connaissances, de sensibilisation des populations afin de les inciter à protéger la nature. Nous faisons aussi de l’appui organisationnel afin d’élargir le réseau des acteurs de la permaculture. Le site est aussi devenu un centre d’intérêt scientifique pour les écoles professionnelles et la recherche et nous accueillons des stagiaires qui viennent se former. Au-delà, ce site concentre de la diversité biologique, qui pourrait servir à développer des attractions touristiques.
Au niveau économique, notre initiative s’inscrit dans une logique de bioéconomie circulaire, avec des emplois et des produits de qualité pour les populations. Mais d’ores et déjà, nous pouvons noter que le centre, par la permaculture, a permis de créer des emplois directs aussi bien pour les femmes que les jeunes dans tous les maillons d’activités. C’est donc une initiative qui contribue à sa manière à l’inclusion économique des femmes et des jeunes.
Quelles sont les actions menées pour la promotion de la permaculture au Burkina Faso ?
Pour pouvoir étendre l’impact positif de la permaculture, des formations ont lieu de manière régulière, avec des sessions pratiques sur la ferme. Les agriculteurs intéressés par la permaculture peuvent être suivis. Le centre Lawatan sensibilise aussi sur les bienfaits des plantes locales, comme complément alimentaire, pour se sentir mieux ou se soigner. De plus, le centre soutient la création de coopératives pour la transformation et la conservation des produits. C’est important de s’organiser car au vu des investissements en travail et en moyens financiers, l’initiative individuelle par l’agriculteur n’est pas rentable ou souhaitée.
Quelles sont les perspectives du centre Lawatan
Les principales perspectives en investissement au niveau du centre, c’est d’abord la mise en place des infrastructures d’accueil pour les apprenants car le centre en reçoit mais ces infrastructures font défaut alors que le site est éloigné de la ville à environ 35 km. Il nous faut également sécuriser le site du centre pour réguler la fourniture en bois de chauffe car sur une large partie du site, il n’y a pas de protection, c’est pourquoi les animaux entrent et divaguent sur pratiquement 79 % de la superficie du centre, ce qui peut compromettre des actions de régénération, de restauration qui sont mises en œuvre.
En plus cela pourra permettre de limiter les activités de chasse illicite et préserver durablement la diversité animale du site comme les singes, les lièvres, les perdrix… Nous avons besoin d’augmenter et de diversifier les sources d’énergie notamment le solaire, le biogaz, et aussi d’augmenter la capacité de stockage de l’eau pour les activités de production et pour les animaux.
Les perspectives en termes de formation, d’appui-conseils, c’est de former des jeunes formatrices et formateurs sur les principes de la permaculture, la transformation agroalimentaire et des produits forestiers non ligneux, et d’accompagner les associations féminines dans l’acquisition des équipements dédiés à la production et à la mise en place des unités de transformation.
Haoua Touré
Lefaso.net