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Caricatures du prophète Mahomet : Quand l’irresponsabilité individuelle engage des conséquences collectives

Publié le samedi 11 février 2006 à 06h55min

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La polémique déclenchée par la publication dans un journal danois d’une caricature du Prophète de l’Islam, au-delà des combats d’avant et d’arrière garde qu’elle a pu engendrer, repose deux éléments centraux de la vie en communauté : la liberté de l’individu face à ses devoirs envers la société.

Loin de constituer une occasion pour verbiager sur la liberté des uns et des autres, des uns envers les autres et des uns pour les autres, ce qui aurait pu être considéré comme un épiphénomène, toutes proportions gardées, n’en secoue pas moins la société mondiale dans ses fondements telle que la démocratie, dans ses aspects liberté d’opinion et d’expression.

Le présent propos a pour souci de s’interroger sur le sens et la portée d’un acte individuel pour soi-même et pour la société, la réceptivité qui aurait pu être celle d’une communauté face à une opinion ou un acte personnel.

Du sens et de la portée d’un acte individuel

L’individu, en tout temps et en tout lieu, est constamment à la recherche de l’affirmation de ses droits et, partant de la liberté qui lui permettrait de les exercer sans entrave aucune. Aussi, même dans les cas de déni de certaines libertés à autrui, pour des raisons qui peuvent être différentes et parfois justifiées, l’on prend toujours le soin de se donner, à soi-même ou à son mandataire, la marge de liberté nécessaire à l’application de la directive et, subséquemment les possibilités d’en suivre l’exécution ou encore la liberté de se rétracter.

Cette liberté d’agir et de dire est intrinsèque à l’Homme depuis sa naissance et il restera toute sa vie en quête d’élargissement des espaces de son affirmation. Ce droit individuellement reconnu s’exerce à travers des actes dont le sens et la portée peuvent être diversement interprétés.

En supposant que celui qui pose un acte répréhensible en assume la pleine et entière responsabilité, sans obligation de solidarité d’aucune sorte vis-à-vis d’autrui, et pour autant que cela puisse être vécu ainsi, un individu qui offense son prochain devrait être sanctionné, seul, à la hauteur de son forfait sans que puisse y être mêlé ni sa famille, ni ses amis, encore moins sa communauté qui ne lui en a pas donné mandat.

Du point de vue donc de l’individu, la maxime pourrait être, "je fais ou je dis, donc j’assume !". Sur cette base, les opinions ou les actes du journaliste qui a osé caricaturer le Prophète de l’Islam, n’engagent que lui et lui seul, aussi bien pénalement que spirituellement. Autant il devrait répondre devant des tribunaux du sens réel de sa caricature, parce que bien des fois des actes bien intentionnés peuvent avoir des conséquences catastrophiques et vice-versa, autant selon la Loi divine, dans son acception islamique et pour le cas qui nous concerne, il devrait répondre du pourquoi il a offensé une interdiction, même en supposant qu’il ne soit pas concerné par cette interdiction, parce que n’étant pas soumis aux obligations y relatives !

A titre d’exemple, un chrétien qui conduirait en état d’ébriété n’encourait pas les mêmes peines qu’un musulman. Le premier devrait seulement répondre devant les tribunaux communs tels que nous les connaissons, le second, en plus de ces tribunaux, devrait répondre d’avoir violé une interdiction présumée de consommer de l’alcool.

C’est pourquoi, dans cette affaire de caricature et sur cet angle, ne devrait être concerné et sanctionné (par quelle loi ?) que le journaliste qui a en pris l’initiative et, éventuellement, son rédacteur en chef qui en a autorisé la publication.

Mieux que cela, cet individu qui aurait exprimé un point de vue, aussi répréhensible soit-il au regard de la Loi divine, devrait avoir le bénéfice du doute, présumant ainsi qu’il a agi en méconnaissance de cause et de bonne foi.

Et même pour le cas où il l’aurait fait exprès, avec des intentions de provoquer, n’y a-t-il pas des fois où le silence vaut mieux que la réaction ?

Cette cascade de violences que l’on constate depuis cette affaire correspond-elle à la vocation de la religion musulmane qui se veut contributrice de la paix dans le monde, du pardon et de la tolérance ?

Au contraire n’apporte t-elle pas de l’eau au moulin de ceux qui cherchent à dénaturer les fondements de cette noble religion qui, à l’instar des autres religions du Livre comme le christianisme, veut apporter paix, harmonie, amour et réconfort à l’Homme en société en l’aidant aussi à s’assurer une quiétude éternelle ?

Parlant de société, il est intéressant aussi de voir la responsabilité de chacun dans l’harmonie de la société.

De la citoyenneté

Si, tel que nous le savons tous, la société ou la communauté, comme un ensemble mathématique, se compose de ses éléments, en l’occurrence ici les hommes, pour ne parler que de ceux-ci, il va de soi que la liberté dont on jouit et qu’on voudrait conserver le plus jalousement possible, individuellement parlant, doit aussi profiter à l’harmonie et la cohésion de l’ensemble.

Les droits individuels reconnus, sachant que l’auteur d’un acte en assume au premier chef la responsabilité, l’on devrait dans sa vie en communauté, éviter de faire porter le chapeau de ses choix, de ses opinions et de ses actes, à l’ensemble du groupe auquel on appartient, voire plus, surtout quand on n’a pas été mandaté pour ou quand la portée de ceux-ci n’apportent rien de plus à sa communauté.

L’homme, même dans son individualité, émane toujours d’un groupe, au sens large du terme, auquel il appartient, même s’il faut atténuer cette appartenance "naturelle" par un droit d’inventaire qui lui est reconnu ou en tout cas qui devrait lui être reconnu. C’est pourquoi, l’on a souvent coutume d’entendre, parlant d’une personne, " c’est le fils/la fille d’untel, il est de tel quartier ou de tel village, etc. " L’affirmation de sa spécificité, parce qu’après tout on ne choisit pas toujours de naître dans tel groupe ou de vivre forcément dans tel quartier, ce qui aurait pu être perçu comme un élément justificateur, devrait se faire sans mettre en cause la responsabilité que l’on a, de facto, eu égard à ce qui précède, envers son groupe.

S’il est vrai que la vitalité d’un groupe donné et son progrès sont le fruit de la vitalité des individus qui le composent, chaque acte que l’on pose ne devrait-il pas avoir pour fondement d’apporter toujours une valeur ajoutée pour davantage de progrès du groupe ? Autant l’on peut être fier d’un membre de son groupe qui ferait montre d’excellence dans un domaine donné, même le plus anodin, autant l’on peut s’offusquer du manque d’exemplarité qui serait le fait d’un membre de son groupe.

Quand Moumouni Dagano marque un but à Rennes, on loue ses actes et cela fait la fierté du burkinabè, même de celui-là qui ne le connaissait ni d’Adam, ni d’Eve !

A contrario, quand on entend qu’un individu X, burkinabè, est présumé avoir été l’objet d’interpellation pour comportement indélicat et que cela fasse les Unes des chaînes internationales, très peu de gens accepteraient de lui reconnaître une quelque relation !

Pourtant, la société dans son entièreté, assume toujours de fait ces deux extrêmes.

C’est pourquoi, il est souhaitable que la liberté qui est la nôtre et que nous travaillons constamment à élargir, doit toujours tendre vers la valorisation et non vers la dévalorisation de notre groupe d’appartenance.

Pour prendre le cas en cause, en quoi est-ce que le fait d’avoir caricaturé le Prophète de l’Islam, au delà d’avoir exprimé son avis, a apporté un plus à la société danoise ?

Au contraire, cela a engendré des coûts en termes économique, diplomatique, politique et social pour le Danemark, et même pour des pays comme la Norvège, pour ne s’en tenir qu’au saccage de son consulat à Damas.

Considérant que la société ou la communauté ou encore le Groupe assume toujours, même malgré lui, les faits et gestes de ses membres, en relation avec la notion de liberté individuelle, faudra t-il relancer le débat sur le contrôle a priori pour s’assurer que les actes de ses membres ne compromette la quiétude du Groupe ? Auquel cas, ceux qui sont mandatés pour agir et parler au nom de la communauté devraient-ils restreindre certaines libertés ou en tout cas s’assurer de leur bon exercice dans le sens voulu de la cohésion et de l’harmonie ?

En somme, la Liberté chère à tous et à chacun, n’aurait-elle de limite que le contenu du contrat social, lien abstrait et vivant avec nos institutions, par lequel nous sommes sensés avoir donné quitus au "Prince" pour agir dans le sens de l’intérêt commun ?

Si oui, quelle devrait être la forme pertinente de la censure du "Prince" ou de l’Etat au regard de conséquences fâcheuses de l’acte d’un individu, telle que l’on constate aujourd’hui, dans un monde libre par essence insaisissable et en mouvements continus ?

Sinon, la subsidiarité apparaissant de notre point de vue comme le principe le plus efficace pour atteindre des buts communs. Quelle pourrait être la forme idoine d’une délégation de pouvoir à la Presse pour exercer pleinement ses devoirs d’adjuvant des institutions républicaines et pour la protection de l’intérêt national ? En tant que 4ème pouvoir, quelle est la part des choses à faire entre son indépendance voulue ou subie, et sa responsabilité dans la stabilité des institutions et de la cohésion sociale ?

L’une des pistes de solution à cette problématique pourrait venir de la citoyenneté ; la citoyenneté en tant qu’accomplissement de soi dans sa contribution au mieux-être collectif. Si l’homme est un animal social, comme le suggèrent certains penseurs, ne devrait t-il pas minimiser l’aspect animal pour valoriser le caractère social de ses instincts ?

Voilà là quelques interrogations lapidaires face à une question d’une si grande acuité. L’acuité n’étant pas le fait de la caricature, mais ce qui en a été fait et les proportions que cela prend sur des plans insoupçonnés.

Et au Burkina ?

Dans ces moments délicats que constituent les élections municipales dont les enjeux sont entre autres, l’approfondissement de la démocratie locale pour une démocratie nationale qui friserait la perfection, l’autonomie pour conforter la responsabilité citoyenne, il est de bon ton que notre presse dont nous avons tous été fiers à l’occasion des élections présidentielles, valorise davantage ce pays, notre pays, le Burkina Faso. Les plus hautes Autorités ont salué leur professionnalisme et leur contribution à la sérénité des débats d’idées, ceux qui grandissent l’Homme, et sans nul doute un burkinabè prenant son thé ou sa bière dans un lieu public dans un pays d’Asie ou d’Amérique s’est-il senti la fierté du travail qui a été abattu et unanimement reconnu.

Ce sont ces exemples que la jeunesse burkinabè attend, pas ceux qui délibérément et gratuitement, mettent le feu aux poudres.

C’est pourquoi aussi, responsabilité, respect de la différence et des croyances, tolérance et citoyenneté sont des vertus cardinales à magnifier pour davantage de progrès, de cohésion et de bonheur pour tous, et pour que sur cette terre faite pour nous, il y ait davantage de paix.

Brice SAGNAN

L’Hebdo

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