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Burkina/Médias : Dr Cyriaque Paré propose une alternative pour faire face à la révolution technologique

Publié le jeudi 25 mai 2023 à 22h20min

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Burkina/Médias : Dr Cyriaque Paré propose une alternative pour faire face à la révolution technologique

Dans un monde en perpétuelle mutation, la digitalisation a profondément transformé la manière de communiquer et d’accéder à l’information produite par les médias traditionnels. Un état de fait qui a ouvert de nouvelles perspectives, permettant ainsi, à pratiquement tout le monde de devenir à la fois consommateur et créateur de contenus, selon Dr Cyriaque Paré, fondateur de Lefaso.net, pionnier des médias en ligne au Burkina Faso. À l’occasion du cinquantenaire du journal L’Observateur Paalga, le chercheur à l’Institut des sciences des sociétés du CNRST a été invité à partager son expérience lors d’une conférence initiée ce mercredi 24 mai 2023 à Ouagadougou, à l’université Joseph Ki-Zerbo. Le thème de sa communication aborde les défis et opportunités de la presse écrite dans un contexte de digitalisation.

La révolution numérique a entraîné une multitude de défis pour l’industrie de la presse et en particulier pour la presse écrite. Autrefois considérée comme le bastion de l’information, la presse écrite se retrouve aujourd’hui confrontée à des enjeux majeurs pour maintenir sa pertinence et sa viabilité économique face à la prolifération des journaux en ligne. C’est dans ce contexte que le fondateur de Lefaso.net, Dr Cyriaque Paré, apporte sa contribution à l’innovation de la presse écrite burkinabè face aux enjeux du moment.

Après avoir planté le décor avec un aperçu historique sur la naissance et l’évolution de la presse en ligne dans le monde et au Burkina Faso, Dr Paré articule son exposé en trois parties. La première aborde les enjeux d’une révolution technologique et industrielle avec la digitalisation. La seconde, elle, confronte la presse écrite burkinabè à la digitalisation. Et la dernière partie quant à elle, fait un focus sur les défis et les opportunités de la digitalisation.

Quatre personnes ont intervenu lors de la présente communication, ce sont de la gauche vers la droite, Abdoulaye Tao, Dr Cyriaque Paré, Dr Régis Dimitri Balima (modérateur) et Cyr P. Ouédraogo

Les enjeux d’une révolution technologique

D’entrée de jeu, Dr Paré rappelle que la révolution technologique a été facteur de plusieurs enjeux dans le domaine des médias, précisant que le développement de la presse électronique au milieu des années 1990 a coïncidé avec une crise structurelle des médias.

D’une crise conjoncturelle avec la baisse des ressources publicitaires, dit-il, la presse est entrée dans une crise structurelle avec la remise en cause de son utilité. « On se demande de plus en plus pourquoi payer pour des informations que l’on peut trouver aisément et gratuitement sur le Net », souligne-t-il.

Cette tendance s’explique, selon Dr Paré, par le fait que le Web a entraîné aujourd’hui une mutation de la logique du schéma traditionnel de communication où le journaliste était le seul à avoir le monopole de l’information. Ce monopole du journaliste prend donc fin avec l’avènement de nouveaux acteurs que sont notamment les bloggeurs, journalistes citoyens.

« Notre média est né en 2013, et pendant qu’on le déployait, il y a eu l’avènement de l’insurrection… », Abdoulaye Tao qui explique comment L’Economiste du Faso a basculé vers le numérique (panéliste)

Ainsi, le Web induit l’accélération du traitement de l’information et la vitesse de circulation de l’actualité. Conséquence, le journaliste qui travaillait selon un timing bien déterminé (livraison des articles, correction, mise en page, bouclage, distribution, etc.) se retrouve dans une tout autre logique. Il est désormais confronté à un média fluide, mouvant, qui ne connaît pas de “deadline” : il produit une information qu’il doit réactualiser en permanence.

Une industrie des entreprises de presse en crise

De par son expérience, Dr Paré affirme que les journalistes des nouveaux médias doivent désormais raconter les événements à mesure qu’ils se produisent. « Du journaliste, l’on est donc passé à “l’immédiatiste’’ : les lecteurs veulent savoir ce qui se passe et non plus ce qui s’est passé. Comme le relèvent certains observateurs, le lecteur ne veut plus être informé, il veut être au courant. Ce qui souligne le succès de plus en plus grandissant des médias d’information en continu. Cela entraîne aussi la course au scoop, avec des risques de désinformation, et d’intoxication », soutient-il.

« Il y a assez de difficultés dans le monde de la presse écrite car de nombreux partenaires ne sont pas honnêtes… », assure Cyr P. Ouédraogo, directeur de publication de Infos sciences culture (panéliste)

Le modèle industriel des entreprises de presse est en crise. Beaucoup de grands titres ont simplement disparu ou alors ont enterré leur version papier pour passer au numérique. C’est l’analyse que fait Dr Cyriaque Paré, avant de présenter le modèle économique de Google en vogue, comme étant celui le plus solide, pour sa capacité à générer des revenus à travers la gratuité des contenus contre de la publicité.

Presse écrite burkinabè et digitalisation

À travers une étude de contenus de sites médias qu’a menée le conférencier pour sa thèse de doctorat en 2007, il ressort que la plupart des médias en ligne étaient de pâles copies des versions imprimées. « C’était de simples copier-coller d’une partie du contenu des journaux imprimés que l’on retrouvait sur leurs sites. Sidwaya reprenait en ligne 96% de ses articles et L’Observateur Paalga 40% », révèle Dr Cyriaque Paré.

Ce qui l’amène à comparer cette situation à un premier virage raté du Web par les journaux burkinabè, qui, mentionne-t-il, ne sont pas les seuls dans ce cas de figure. Car de son analyse, beaucoup de journaux ont mal compris au départ les avantages que le Web pouvait vraiment leur apporter en termes d’offre éditoriale, voire commerciale.

« Aujourd’hui, si vous n’êtes pas sur Facebook, vous avez beaucoup de risques de perdre vos lecteurs », Dr Cyriaque Paré, fondateur de Lefaso.net

Si Dr Paré déplore tout ce temps perdu par la presse imprimée pour migrer vers le numérique au Burkina Faso, il admet qu’aujourd’hui, les choses semblent avoir changé sur beaucoup de plans. Cependant, il relève tout de même qu’il y a des stratégies éditoriales et commerciales qui restent encore improbables. Et comme illustration, Dr Paré fait cas des journaux L’Observateur Paalga et Le Pays qui ont pris l’initiative de créer des pures players totalement différents de leurs sites-mères. Toute chose qui lui paraît incompréhensible, alors qu’ils auraient pu profiter de la notoriété de leurs marques et sites existants, a-t-il confié.

Dr Paré annonce par la même occasion que la quasi-totalité des médias burkinabè, toutes catégories confondues (journaux, radios, télés) ont leur version numérique (MEL). Quant aux NEL (pures players), ils sont estimés au nombre de 200, officiellement enregistrés auprès du Conseil supérieur de la communication (CSC). Ceux-ci n’ont rien à voir avec les dizaines d’autres qui fonctionnent de façon informelle sous forme de blogs amateurs, signale-t-il.

« On a compris à travers la communication de Dr Paré, que les médias traditionnels qui n’auront pas bien négocié la transition numérique sont appelés à disparaître », Mafarma Sanogo, participante

Afin de pouvoir sortir la tête de l’eau, plusieurs défis sont à relever. Ce sont ceux de la désintermédiation, de la substituabilité, des nouveaux acteurs, de la polyvalence et de l’instantanéité, selon l’expert des sciences et techniques de l’information et de la communication. Sur le plan de la désintermédiation, Dr Paré estime que le citoyen ordinaire, grâce à la démocratisation de la technologie, est devenu lui-même producteur et diffuseur d’informations et peut, de ce fait, se passer des médias professionnels. Ce qui oblige ces derniers à être davantage professionnels dans le but d’inverser la tendance.

Les défis

Dans un contexte où la situation économique des médias bat de l’aile, comment mettre en place une franche collaboration entre les professionnels du secteur et les infomédiaires ? Voici l’un des défis sur lequel Dr Paré suscite la réflexion de son auditoire. Ces infomédiaires sont les nouveaux acteurs de l’univers médiatique parmi lesquels l’on retrouve les agrégateurs (Opera News, Phoenix…), les régies pub internationales (Google AdSense…).

« Les infomédiaires comme Google et Facebook exploitent les contenus des médias sans leur verser un rond », dénonce Dr Paré, président de la Fédération des associations de professionnels de presse et éditeurs en ligne d’Afrique de l’Ouest

Pour ce qui est de la substituabilité, qui n’est rien d’autre que la difficulté de monétiser l’information, Dr Cyriaque Paré recommande le développement de nouvelles stratégies pour rentabiliser la production de l’information. Ce, d’autant plus qu’il est impossible de vendre ce qui est gratuitement disponible ailleurs.
La polyvalence quant à elle, représente pour Dr Paré à l’ère de la digitalisation, la capacité pour le journaliste à produire des contenus pour le journal imprimé ou pour le site Web, adapter ses informations, capter des images, monter des vidéos, diffuser des vidéos en ligne, etc. Sans oublier la capacité d’interagir avec les lecteurs.

Parfois synonyme de course au scoop et à la superficialité, l’instantanéité est à l’origine de la diffusion de fausses informations et, en conséquence, de perte de réputation et du fonds de commerce qu’est la crédibilité du média, regrette Dr Paré.

Les alternatives pour la presse écrite

Dans cette partie, le conférencier présente les différentes opportunités qui s’offrent à la presse écrite à l’ère de la digitalisation. Ainsi, Dr Paré invite les acteurs de ce domaine à innover. Et cela commence pour lui par le multimédia qui est d’un grand avantage, en ce sens que l’écrit, accompagné du son et des images, permet à cette presse de produire et d’offrir des contenus enrichis et diversifiés. Sans oublier qu’en plus des articles traditionnels, chaque rédaction peut aujourd’hui mettre en place une webtélé et une webradio pour enrichir et diversifier ses contenus avec des vidéos et des podcasts multilingues.

Parmi les atouts que la presse écrite peut tirer de sa mise en ligne, il y a aussi le fait qu’elle peut désormais tenir la concurrence face aux autres médias. Puisqu’elle obtient dès lors la capacité de publier ses scoops sans délai grâce à l’instantanéité.

« Je trouve que les journalistes ont aujourd’hui pour concurrents sérieux les professionnels des réseaux sociaux… », Dr Émile Bazyomo, participant

À partir de la réactivité et de l’instantanéité, la presse écrite peut aussi travailler en flux continu comme la radio et la télé et n’est plus astreinte au deadline. « Avant, on disait que la radio annonce, la télé montre et la presse écrite explique. Avec le numérique, la presse écrite peut annoncer (alerte), montrer (photo ou vidéo) et commenter avec des articles long format (slow journalism) », a montré Dr Paré.

L’autre atout évoqué, est l’interactivité. Celui-ci sert à entretenir la conversation avec les lecteurs, créer des communautés et les fidéliser tout en bénéficiant de l’intelligence collective des lecteurs à travers le crowdsourcing (témoignages, expertise, proposition de sujets d’articles en lien avec les vraies préoccupations des lecteurs, etc.).

Des étudiants en journalisme et communication ont aussi pris part à cette conférence

Dès lors que la presse imprimée aura intégré ces innovations, cela favorisera à coup sûr selon Dr Paré, le désenclavement, la décentralisation, la déconcentration. « L’information digitalisée s’affranchit des frontières et voyage plus loin et plus rapidement. Le journaliste a désormais devant lui un espace rédactionnel illimité », argumente-t-il.

Toute chose qui produit de la richesse car, insiste-t-il, le modèle économique des plates-formes numériques, c’est la gratuité des contenus contre la publicité. L’audience ainsi générée est vendue aux annonceurs, selon la logique de l’économie de l’attention. Les plates-formes des entreprises de presse ne servent donc pas qu’à vendre de l’information mais à vendre aussi toutes sortes de produits (licites) aux audiences ainsi générées.

Lire aussi : https://lefaso.net/spip.php?article119690

Hamed NANEMA
Lefaso.net

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