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Mondial de football : L’Afrique noire invisible

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Publié le vendredi 23 décembre 2022 à 17h30min

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Mondial de football : L’Afrique noire invisible

La coupe du monde découpe le monde, et rappelle que le monde est d’abord le monde des Etats-nations. La coupe du monde est coupe des nations. En cela elle est (géo)politique, sans politiciens, mais non sans enjeux politiques. La première condition pour participer à cette compétition sportive mondiale n’est donc pas sportive, mais extra et pré-sportive : avant d’être sportivement qualifié sur le terrain de foot, il faut être un Etat-nation ; avec un drapeau et un hymne…

Pas une race, pas une couleur de peau, pas une puissance militaire ou économique, pas une démocratie ou une dictature, pas une religion ne comptent et suffisent, mais être un Etat-nation : voilà ce qui est exigé pour se qualifier, jouer et gagner une coupe du monde.

Les équipes ne représentent strictement que leurs nations. Aucune ne représente un continent ou une union d’Etats. L’Argentine n’a pas remporté la coupe pour l’Amérique du Sud ; les Bleus français ne se sont pas battus pour l’Europe ; les Noirs de l’équipe de France de football ne représentent pas les Nègres du monde entier, mais la nation française…

Une seule et unique équipe africaine, s’il en existait une de panafricaine, qui voudrait donner plus de chance à l’Afrique de gagner une coupe du monde de football, en sélectionnant les vingt-six meilleurs joueurs du continent, ne pourrait pas davantage participer à un mondial de foot que l’Union Européenne même dotée d’un drapeau : ni l’une ni l’autre ne sont des Etats-nations.

Donc, les envolées lyriques et romantiques à propos d’un Maroc qui représenterait « tout le continent africain », ou « les Arabes », ou encore « les musulmans » ne sont que menteuses, trompeuses et inappropriées, voire dangereuses. Nul ne sait si les Algériens, pourtant arabes, musulmans et habitants du continent africain se sentent représentés par les braves Lions de l’Atlas marocain ; ni même représentés par les cinq équipes africaines qualifiées, eux qui ne digèrent toujours pas leur élimination de ces qualifications pour le mondial 2022…

Sur le continent africain même, il faudrait plutôt se demander si l’honorable parcours de l’équipe marocaine, au lieu de représenter et rapprocher les Africains, ne sépare pas davantage le Maghreb de l’Afrique noire dont il s’éloigne et se distancie par cet « exploit » sportif. Car l’Histoire retiendra que le premier pays du continent africain à jouer une demi-finale de coupe du monde de football est maghrébin, c’est-à-dire la partie précisément la moins représentative, si l’on tient à parler de représentation, du continent africain…

Plus encore, si l’on tient le langage de la représentation, alors il faut admettre que les africains ne soient pas uniquement représentés dans les exploits et victoires des équipes du continent, mais également dans leurs défaites : si le Maroc qui gagne représente hautement l’Afrique, alors le Cameroun, le Ghana, la Tunisie et le Sénégal qui ont échoué, la représentent aussi, en un sens, celui de l’Afrique qui perd toujours
Du reste, il n’y a que les équipes africaines qui sont dites représenter leur continent quand elles réalisent des exploits. Le terme « exploit » en lui-même sous-entend que les Africains ne sont jamais attendus aux victoires, encore moins à la victoire finale.

Eux-mêmes, Africains, le confirment tous les quatre ans : de coûteux petits tours touristiques dans les hôtels du pays organisateur, quelques matchs nuls, beaucoup de défaites, ou des victoires de dernières minutes contre des équipes B déjà qualifiées, eux-mêmes étant déjà éliminés, puis retour au pays… En attendant le prochain mondial où les mêmes scènes et spectacle se répètent à l’identique…

Que le mondial de football soit une compétition où chaque nation, comme dans toute compétition, joue et tente sa chance, que donc le foot soit aussi un jeu de hasard, il faut bien le reconnaître et concéder. Ceux qui gagnent au jeu ne sont pas les plus riches ou les plus puissants du monde. Si c’était le cas, les USA et la Chine seraient champions du monde de football, l’Argentine n’aurait pas gagné contre la France.

Si la victoire des équipes de football devait s’expliquer par la bonne santé économique des nations, le Burkina Faso, au passage, n’aurait pas été dans le carré des meilleures équipes africaines à la CAN de 2021. Le Maroc lui-même n’aurait pas pu éliminer la Belgique, l’Espagne et le Portugal. Pourtant le parcours des Lions de l’Atlas a donné lieu à des commentaires hasardeux allant dans ce sens : ce brillant parcours serait à mettre au compte d’une économie marocaine florissante ! Ces commentaires venus d’Europe (de France précisément) laissent sous-entendre que si l’Afrique noire ne compte pas parmi les champions du foot, c’est parce que ses Etats sont pauvres. Voici la politisation et l’ethnicisation du foot en marche…

Les aléas de la victoire ou de la défaite sont nombreux : une culture, une histoire, une génération de talents, ou les talents d’une génération ; un état d’esprit, une forme physique (le Sénégal a ainsi perdu un Sadio Mané précieux mais blessé à la dernière minute), un arbitre, un groupe de qualification plus ou moins difficile…

Une époque : les Super Eagles Nigérians de 1994 étaient sans doute l’une des équipes africaines et mondiales les plus talentueuses, si ce n’est la plus douée que le continent ait connue, celle des Yékini, Oliseh, Finidi, Kanu, Siasia, Amokachi, Amunike, Ikpeba, Okocha, Keshi, etc., mais ils n’ont pas réussi à imiter les Camerounais de Milla et Biyik qui, en 1990, étaient les premiers Africains à se hisser en quarts de finale d’un mondial. La même équipe aurait largement pu jouer une demi-finale voire la finale en 2022…

Ces Super Eagles de 1994 étaient sans doute, individuellement et collectivement, plus talentueux et plus rassurants dans le jeu que les Ghanéens de 2010 eux aussi en quarts de finale. Les Lions de l’Atlas marocains qui ont joué la demi-finale au mondial de 2022 n’étaient ni la meilleure équipe africaine du moment, ni ne figuraient même parmi les quatre meilleures africaines de la CAN de 2021 que sont le Sénégal, l’Egypte, le Burkina et le Cameroun.

Les aînés Marocains au mondial de 1986, autour des Bouderbala, Timoumi et Krimau, étaient bien plus techniques et offensifs que la ligne Maginot défensive de leurs cadets au Qatar mais, comme les talentueux Nigérians de 1994, n’avaient pu franchir les huitièmes de finale. En accédant de bien belle manière à ce niveau de la compétition mondiale pour la première fois, après non pas un tour de phase de poule comme c’est le cas actuellement, mais deux tours. Ce sont eux qui, indirectement par leur belle prestation de 1986, ont « encouragé » les Lions Indomptables du Cameroun à atteindre les quarts de finale quatre ans plus tard, en 1990…

Le bon sens footeux a donc raison de soupirer qu’il n’y a pas de logique dans le foot. En effet, il n’y a pas de logique parce qu’il y a du hasard, là comme dans tout jeu de hasard. Mais il reste vrai que les équipes européennes et sud-américaines qui gagnent le plus souvent sont celles qui travaillent à maîtriser au maximum les aléas du hasard au lieu de les subir.

L’Afrique noire, pourtant bourrée de talents individuels, est habituée à perdre collectivement parce que, dans ce jeu de hasard, elle semble ne compter que sur la chance pour gagner ; si elle perd c’est qu’elle n’aurait pas de chance. Mais il faut se donner la chance, la provoquer, en ne se contentant pas de subir les aléas du hasard.

Sur la grande scène mondiale du football, les nations d’Afrique noire manquent une occasion rare et presque gratuite de se rendre visibles. Invisibles, c’est-à-dire de peu de poids, dans la géopolitique, dans l’économie et la stratégie militaire mondiales, ces nations africaines ne se rattrapent même pas dans le sport, dans le jeu du football.
Dominées dans tous les domaines, aux yeux du monde, ces nations ne sont sportivement visibles que par leurs insuffisances et faiblesses. Du moins dans les sports collectifs et d’équipe comme le football car, en athlétisme, sport individuel, les Africains de l’Est (Ethiopiens, Kényans et Ougandais) se font respecter.

Tout se passe donc comme si les défaites récurrentes des équipes africaines au mondial mettaient en évidence la difficulté, voire l’incapacité des Africains à se mettre ensemble pour atteindre des objectifs communs. Ces défaites sportives ne feraient que refléter les difficultés et incapacités à construire seuls et ensemble une nation. Comme si, en Afrique noire, en politique comme sur un terrain de football, l’union ne faisait pas la force, mais au contraire la faiblesse, l’impuissance ou la division…

Alors il y a de quoi avoir mal à son africanité, à sa négritude ! Surtout lorsque l’on voit de la domination impérialiste et colonialiste partout, que subiraient les Noirs africains en particulier. Car pour une fois qu’il n’y a pas d’impérialiste ni de colon sur les terrains de football, devant le monde entier, à onze contre onze, à jambes, muscles et cerveaux égaux, n’être visibles qu’à faire gagner les autres, les mettre en valeur par nos défaites récurrentes, cela fait plus mal à notre fierté d’Africains sub-sahariens que la simple défaite sportive.

Les défaites sportives répétées des équipes noires africaines sont des défaites politiques qui rendent les Etats africains encore plus invisibles. Les autres nations peuvent bien sûr perdre, elles aussi, puisqu’il s’agit d’un jeu, et d’un jeu de hasard, mais elles ne perdent pas pour autant leur visibilité, leur poids sur la grande scène du monde : si une défaite de l’Allemagne au mondial ne lui fait pas perdre son poids dans le monde, les défaites des équipes africaines ne confirment que trop la faiblesse, la subordination, la relégation, bref l’invisibilité des nations africaines dans le monde…

Le Super Eagle nigérian Jay Jay Okocha raconte pour rire son choc d’avoir été confronté au racisme en arrivant en Allemagne, choc qui lui a fait naître le plaisir de dribbler ses adversaires sur le terrain, comme pour s’en venger : vous êtes peut-être racistes ? Alors je vous dribble balle au pied jusqu’à vous donner des vertiges, voire vous humilier !...

Ce serait la meilleure leçon aux Africains d’Afrique noire dans les compétitions mondiales : si vous vous sentez méprisés et dominés par le monde, invisibles dans le monde, alors utilisez au moins le jeu pour vous rendre visibles ; faites du mondial de football le lieu d’une révolte, d’un sursaut d’orgueil ; l’occasion d’une érection silencieuse et virile de soi, loin de toute haine et de tout ressentiment qui restent l’unique force des faibles…

Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

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