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Groupe EIER-ETSHER : Le navire qui tangue sur les vagues des arriérés

Publié le mardi 19 juillet 2005 à 06h47min

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Le mardi 5 juillet 2005, une manifestation de mécontentement des étudiants du Groupe EIER-ETSHER a eu lieu dans l’enceinte de l’Ecole inter-Etats des ingénieurs de l’équipement rural jouxtant l’université de Ouagadougou.

Le directeur scientifique, monsieur Hama Amadou Maïga, de nationalité malienne, travaille depuis une quinzaine d’années dans l’institution où il a d’abord été enseignant. Il a gravi ensuite les échelons. Chef de département, directeur de la recherche. Aujourd’hui, il en est le Directeur Général Adjoint et ce, depuis seulement deux mois. Nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle de ce qui est arrivé, les difficultés que rencontre le Groupe EIER-ETSHER et les perspectives d’avenir de ces deux prestigieuses écoles, spécialisées dans la formation scientifique.

Présentez-nous en quelques mots le Groupe EIER-ETSHER ?

• Dans le Groupe, il y a deux écoles : l’Ecole Inter-Etat des Ingénieurs de l’Equipement Rural (EIER) qui a été créée en 1968 avec l’entrée de la première promotion en 1970. Ensuite, l’Ecole Inter-Etat des Techniciens Supérieurs de l’Hydraulique et de l’Equipement Rural (ETSHER), créée en 70 avec une première promotion en 1972.

Les deux ont évolué séparément pendant une trentaine d’années, avant que les membres du Conseil d’Administration, composé de 14 Etats, n’aient décidé de les fusionner pour en faire un seul institut. Les activités menées sont la formation de techniciens supérieurs dans le domaine de l’eau, du génie rural, la formation des ingénieurs et celle postuniversitaire dans les domaines variés de l’eau potable, de l’assainissement, de l’eau agricole, de la gestion des ressources en eau, et des énergies renouvelables.

C’est également un institut qui mène des activités de recherche et qui propose des sessions de formation continue à l’intention des ingénieurs, des techniciens qui évoluent actuellement dans les entreprises, les grandes sociétés et les services techniques des Etats. Enfin, cet institut mène des activités d’expertise, en particulier d’appui, au secteur privé des Etats membres.

La semaine dernière, il y a eu des manifestations de vos pensionnaires. Qu’est-ce qui s’est passé au juste ?

• Le mardi 5 juillet aux environs de midi, il m’a été rapporté que des étudiants ont bloqué la porte de sortie de l’école. Je m’y suis rendu et j’ai constaté qu’ils empêchaient les travailleurs en fin de journée de sortir. Ils m’ont annoncé qu’il leur fallait absolument et tout de suite la totalité de leur bourse de juillet à septembre et leur billet d’avion pour les vacances.

Je leur ai dit que ça ne posait pas de problème et que cela allait être fait au plus tard le 8 juillet. Ils m’ont répondu qu’il n’en était pas question. J’ai pris une quinzaine de minutes pour les convaincre de venir dans mon bureau pour qu’on en discute et ils ont refusé. Plus tard, comme le personnel s’impatientait, il y a eu des disputes entre eux. Finalement, ils ont été obligés de lever la barrière pour leur permettre au moins de sortir. Après, ils l’ont bloquée de nouveau. Cela a duré toute la journée.

A la reprise le soir, le personnel ne pouvait pas intégrer le service. Ils n’ont donc pas travaillé l’après-midi. Vers 17 heures, nous avons dû faire appel au service d’ordre car nous nous sentions séquestrés. Ils nous menaçaient d’ailleurs de nous enfermer dans une de leurs chambres tant que leurs revendications ne seraient pas satisfaites.

De plus, il y a un autre groupe qui est en formation post-universitaire qui doit poursuivre son stage d’entreprise jusqu’à cette date et qui exige le paiement de leur bourse jusqu’au mois de novembre avant de partir. Nous n’avions pas suffisamment de trésorerie ; et de toute façon, c’était contraire à la réglementation. On ne pouvait payer une bourse sur une aussi longue durée. Surtout que rien ne garantit que l’étudiant va revenir pour continuer les études.

D’habitude, ça ne se passe pas ainsi ?

• Non. D’habitude on s’arrange pour leur payer la bourse jusqu’en août. Nous savons que cela n’était pas réglementaire, mais nous le faisions. Néanmoins, nous leur avons proposé de leur faire parvenir la bourse de septembre par virement bancaire à la fin du mois d’août. Ce qu’ils n’ont pas accepté. Nous avons essayé de les raisonner en leur expliquant que l’on ne pouvait pas les prépayer sur une si longue durée, d’autant plus que tous les bailleurs de fonds n’ont pas encore payé les bourses qu’on les a rétrocédées et que d’autres paient après que l’étudiant a complètement fini ses études.

C’étaient les revendications du 1er jour. Le lendemain de la contestation, les 2es et 3es années ont accepté de prendre leurs bourses sur la base des propositions qui ont été faites. Le surlendemain, les 1res années sont revenues à la charge, en refusant à nouveau de se contenter des bourses de juillet et d’août et du paiement bancaire ou par Western Union. De plus, ils exigeaient qu’on ne leur fasse plus de retenue pour l’occupation de leur chambre durant le mois de juin.

Ces évènements ne sont-ils pas seulement la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ? Cela n’est-il pas surtout la conséquence d’un déficit de communication de la part de l’Administration ?

• Je ne le crois pas. Nous avons une procédure de communication continue des conditions de séjour entre les élèves, la Direction et à travers un contact permanent avec le service de la scolarité. Il y a des réunions régulières pour parler de la vie de l’école. Dès la rentrée, les étudiants sont parfaitement informés des conditions. Il y a même un livret d’étudiant dans lequel il y a toutes les précisions. Un exemple : les étudiants en fin d’année qui avaient des résultats insuffisants tenaient à garder par devers eux les ordinateurs portables. Pourtant dès le début de la formation, il leur avait été précisé que ces outils servaient à la formation et ils ont signé un engagement de les restituer.

Mais pourquoi cette surenchère ? Si nous ne nous trompons, c’est la première fois qu’une telle manifestation de cette envergure survient à l’EIER-ETSHER. • Je n’en vois pas la raison d’autant plus qu’au cours de l’année, nous n’avons pas senti venir un risque du genre. Nous en avons été d’autant plus surpris que nous avons tenu informés les étudiants des difficultés financières du Groupe. Il y a des Etats qui ne paient plus régulièrement leurs cotisations, des Etats dont sont ressortissants ces élèves. On leur a même présenté la liste du personnel qui a dû quitter le service suite aux réformes entreprises. Même les enseignants n’ont pas perçu leur salaire du mois de juillet avant d’aller en vacances. Pour moi, les étudiants refusent tout simplement de reconnaître la situation et chacun court vers ses désirs.

La situation que traversent ces deux écoles révèle également un problème de fond : celui de la trésorerie. Qu’en est-il au juste ?

• Oui, le Groupe EIER-ETSHER rencontre des difficultés de trésorerie. A ce jour, il n’y a que six ou sept Etats qui paient régulièrement leurs cotisations. Le trou atteint un milliard de FCFA. Depuis une décennie, nous avons entrepris d’autres démarches vers d’autres bailleurs de fonds pour diversifier les sources de financement. Les écoles ont ainsi fonctionné pendant une dizaine d’années. Aujourd’hui effectivement, le Groupe a eu des difficultés financières des plus aiguës. Actuellement nous remontons la pente. Nous ne sommes plus au creux de la vague.

Faites-vous des relances quotidiennes pour pousser les Etats canards boîteux à se mettre à jour de leurs cotisations ?

• Bien sûr. Il y a des rencontres et des missions à cet effet. Mais le résultat reste mitigé. Les problèmes que nous connaissons aujourd’hui sont la conséquence d’une mauvaise gestion de l’équipe passée. Nous avons trouvé un trou d’une centaine de millions, que nous sommes obligés d’honorer. En plus, il y a eu le départ de 80 travailleurs, sur la base d’un certain nombre de conditions qui sont le paiement de tous les droits eu égard à la législation en vigueur, et une incitation au départ qui correspondait à deux ans de salaire brut. Une dépense élevée qu’il fallait honorer suite à ces départs volontaires.

Pensez-vous qu’ils soient partis de bon cœur ?

• Je ne peux pas l’affirmer, mais nous avions demandé à tout travailleur sans distinction qui souhaiterait partir de s’inscrire. Tout le processus a été réalisé avec eux. Je pense que les conditions étaient incitatives. C’est suite à cela que les gens se sont inscrits. Personne n’a été désigné à qui on a dit : « Vous, on vous a ciblé, donc partez ». Justement certains vous ont reproché de faire la part belle aux ressortissants français après les départs que vous aviez tantôt qualifiés de volontaires.

• Ce sont des considérations subjectives des uns et des autres ! Il est vrai qu’après ces départs, nous avons eu recours à des personnes, parmi lesquelles des européens. Mais je tiens à préciser qu’ils ont été recrutés sur la base de contrats à durée déterminée locaux et pour des missions précises. Ils ne sont donc pas des assistants techniques qui sont payés à plusieurs millions de FCFA.

Tous ces problèmes n’augurent-ils pas la fermeture du Groupe EIER-ETSHER ?

• Non, pas du tout ! Aujourd’hui, nous ne sommes pas à un niveau de non-paiement. Comme je l’ai dit, les difficultés du moment sont dues à l’impact d’une gestion désastreuse des trois années passées et au départ d’une centaine de nos collaborateurs qui nécessitaient un certain montant financier.

Aujourd’hui, tant au niveau des Etats qui ont renouvelé leur confiance au Groupe, qu’au niveau de nos relations avec l’extérieur, tous les indicateurs penchent vers le développement de l’EIER-ETSHER. Dès la rentrée prochaine, nous entrons dans le système international Licence-Master-Doctorat (LMD).

Cela permettra une adéquation entre le Groupe et les grandes écoles du Nord. Ensuite, dans le cadre de l’initiative Mandela, quatre instituts africains des sciences et technologies pour l’eau (parmi lesquels deux en Afrique, dont un à Abuja, qui va travailler sur le pétrole et le gaz ; le second, dans le domaine de l’eau et de l’environnement) ont été mis sur pied. Et c’est l’EIER-ETSHER qui va abriter cet second institut. Ceci est un indicateur très fort. Nous allons donc nous ouvrir aux pays anglophones, car nous allons être obligés d’accueillir des étudiants d’autres cultures.

En outre, il y a deux mois de cela, nous sommes devenus un centre d’excellence pour le NEPAD, dans le domaine de l’eau en Afrique de l’Ouest. Cela va également nous ouvrir au monde anglophone. Nous avons aussi entrepris d’augmenter nos effectifs, car notre nouveau statut requiert que nous ayons trois ou quatre fois le nombre actuel d’étudiants. Nos anciens et de nouveaux bailleurs de fonds nous ont aussi confirmé leur partenariat.

Qu’en est-il des débouchés après les formations ? L’école ne forme-t-elle pas de futurs chômeurs comme bien d’autres centres de formation ?

• Loin de là ! et nous sommes tout à fait à l’aise pour l’affirmer. Nous avons même des problèmes dans la mesure où on nous demande souvent des diplômés et il n’y en a pas. Presque la totalité de nos diplômés sont recrutés deux à trois mois après leur sortie. Il y en a même qui sont recrutés avant la fin de leur formation.

Quand ils font un stage d’entreprise, ils sont identifiés et prérecrutés généralement dans le privé. D’ailleurs, les Etats qui financent les bourses commencent à s’en plaindre. Mais la solution sera trouvée par l’augmentation des effectifs et la possibilité, dès l’année prochaine, pour les étudiants qui ont leur propre financement, de pouvoir s’inscrire.

A condition bien sûr qu’ils aient passé le concours et qu’ils soient admissibles. Jusqu’à présent, l’entrée était limitée à ceux qui étaient envoyés par les Etats membres.

Le Burkina, qui abrite le Groupe, fait-il aussi partie des mauvais payeurs ?

• Non ! (Rires). Le Burkina n’en fait absolument pas partie. Au contraire !

Entretien réalisé par Issa K. Barry

L’Observateur

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