Actualités :: Procès des atrocités de l’Occident chrétien envers l’Afrique subsaharienne : (...)

De nos jours, la revendication, théoriquement légitime, du retour aux sources pour certains Burkinabè et Subsahariens aux positions passéistes et du recours aux sources pour les citoyens les plus réalistes procède d’abord d’un procès en règle contre l’héritage historique occidental et singulièrement français qui, pourtant, est devenu, au regard des faits, une partie intégrante de notre culture : que nous le voulions ou non ! Ce procès remonte le cours de l’histoire de l’Afrique subsaharienne marqué par l’esclavage, la colonisation, le néocolonialisme, le racisme, la Françafrique et aujourd’hui le terrorisme. Cette posture politique et idéologique sélective qui embarque bien de Burkinabè (à commencer par beaucoup de nos gouvernants) doit être examinée sous des angles historiques et contemporains.

Sans nul doute, les ressentiments qui fondent cette attitude frisant l’inquisition sont compréhensibles et même justifiables tant les torts causés à cette partie de l’Afrique par l’esclavage et les autres formes d’asservissement ont contribué à faire de la plupart des pays concernés des Etats presque éternellement dépendants de l’Occident chrétien malgré leurs potentialités économiques « scandaleuses » et leurs ressources fort appréciables. Ce n’est donc pas fortuit si l’esclavage été qualifié de crime contre l’humanité par l’Organisation des Nations-Unies le 14 mai 1999. Quelque quinze (15) ans après, c’est-à-dire le 02 décembre 2014, c’est sous l’égide du pape François que, pour la première fois, à l’occasion de la Journée mondiale pour l’abolition de l’esclavage, une douzaine de chefs religieux de confessions différentes s’est réunie au Vatican pour signer une déclaration commune condamnant l’esclavage moderne.

A cette occasion, le souverain pontife a soutenu que l’esclavage moderne était « un crime de “lèse-humanité” » et invité les humains à « travailler ensemble » pour éradiquer ce « terrible fléau ». Certes, ce dernier n’a qualifié que de crime que l’esclavage moderne laissant de côté la traite atlantique ou occidentale qui aurait fait douze (12) millions de déportés, dont 90 % sur 110 ans, principalement au XVIIIe siècle selon John Pinfold dans The Slave Trade Debate : Contemporary Writings For and Against (2007). Mais c’est, comparé à l’omerta des hauts dignitaires religieux arabo-musulmans, faire preuve d’une humanité certaine. En fait, la prise de position du pape peut être interprétée comme un repentir ou un mea culpa de l’Eglise catholique puisque son lointain prédécesseur qu’est Nicolas V avait, dans la bulle (écrit public sous forme de lettre établissant un droit ou un privilège) Romanus Pontifex de 1455, sanctionné la possession des territoires du cap Boujdour en Afrique (situé au Sahara occidental, dans la partie contrôlée par le Maroc) au roi Alphonse V et accordé aussi une base légale (aux contours religieux) à la colonisation et à l’esclavage des non-chrétiens.

Pour autant, le sens de la mesure est une valeur et une qualité à adopter

Cependant, s’enfermer hermétiquement et une bonne fois pour toutes dans ce regard orienté vers les pays européens, nord-américains, (dans une moindre mesure) asiatiques (Corée du Sud et Japon par exemple) et océaniens (Australie en l’occurrence) ne manque pas de comporter des erreurs d’appréciation dans les discours, les décisions et les pratiques que le temps pourrait se charger d’en prouver l’inopportunité et l’inconvenance. En effet, le bien-fondé d’un sentiment, d’une humeur ou d’un état d’âme ne justifie pas toujours et à lui seul des décisions surtout si, en interrogeant l’histoire, des exemples foisonnent qui recommandent tempérance et modération qu’il ne faut pas confondre avec renonciation de soi ou asservissement.

Ainsi donc pour légales que puissent être certaines de ces décisions, la fragilité de leur légitimité peut faire facilement d’elles les victimes des vicissitudes sociopolitiques d’un pays comme le Burkina Faso étant donné que la légalité est simplement l’expression d’un rapport de forces dans l’arène sociale à un moment donné du continuum politique des collectivités humaines. D’ailleurs, dans les récriminations contre cet Occident qui possède « L’art de vaincre sans avoir raison » comme l’affirme Cheikh Hamidou Kane dans L’aventure ambigüe (1961), on compte en Europe et en Amérique du Nord des philosophes, des écrivains, des artistes et même des politiques au pouvoir comme dans l’opposition qui se sont souvent élevés contre le traitement dont les Subsahariens ont fait et font encore l’objet en Europe et de par le monde.

La traite orientale ou arabo-musulmane, un phénomène toujours d’actualité et beaucoup plus ancien que le commerce triangulaire

Cela dit, même si comparaison n’est pas forcément raison, il importe de noter qu’avant la traite négrière pratiquée les Européens, les Arabo-musulmans (dont certains des pays sont des partenaires stratégiques du Burkina Faso aujourd’hui) ont également réduit les Noirs en esclavage. Non seulement cet esclavage a commencé bien plutôt comme le relève Murray Gordon dans L’esclavage dans le monde arabe, VIIe-XXe siècle (1990) mais il aurait fait plus de victimes et était doublé d’un génocide (tueries, castration pour éviter qu’ils se reproduisent ou qu’ils aient des relations sexuelles avec les femmes arabes, perses, etc.) et d’un ethnocide (génocide culturel ou acte de d’acculturation violente et assimilation forcé). C’est ce que soutient également Patrick Manning dans Slavery and African Life : Occidental, Oriental, and African Slave Trades, (1990) pour qui la traite orientale, dont la traite arabe était la composante principale, aurait concerné dix-sept (17) millions d’êtres humains sur treize (13) siècles.

Aujourd’hui encore, selon de multiples témoignages, le racisme anti-Noirs est bien enraciné, souvent théorisé et visiblement pratiqué dans les pays arabo-musulmans (même d’Afrique) sans que les gouvernants se décident franchement à l’éradiquer ou simplement à le condamner. De plus, presque personne n’y dénonce les esclavagistes jusqu’aujourd’hui comme si ce sont les Etats eux-mêmes qui continuent de couvrir (voire) d’encourager une telle inhumanité en ce 21e siècle naissant. Par ailleurs, dans certains pays arabes (même d’Afrique), il est rare de rencontrer des Noirs autochtones car ils ont été purement et simplement anéantis depuis bien longtemps. Par contre en Occident, des lois condamnant et réprimant l’esclavage existent et sont appliquées en dépit des insuffisances que l’on peut relever. De même, dans beaucoup de ses pays, des lois sur « la discrimination positive » au profit des minorités visibles (à commencer par les Noirs) ont été adoptées et mises en œuvre.

Dans le domaine universitaire, excepté quelques rares chercheur dont l’anthropologue algérien Malek Chebel à travers, dans son célèbre ouvrage intitulé L’esclavage en terre d’Islam : un tabou bien gardé (2007), très peu d’auteurs arabo-musulmans, à notre connaissance, ont osé aborder la question. Pas plus que d’ailleurs les écrivains et universitaires subsahariens spécialistes du monde arabo-musulman. S’il est vrai que les soupçonner de complicité avec les apologistes de l’esclavage (qu’ils soient du 10e ou de 21e siècle) participe d’un procès d’intention inacceptable, on peut tout de même déplorer ce silence à ce moment précis de notre histoire où l’Occident, aux yeux d’une certaine opinion ignorante en la matière mais parfois instrumentalisée, représente le grand Satan en termes de crimes contre les Subsahariens tandis que l’esclavage arabo-musulman ou oriental toujours pratiqué est tu ou omis. Même les programmes d’enseignement dans nos pays n’en font même pas cas ou, en tout cas, très peu laissant ainsi croire que les Etats et les gouvernants subsahariens sont les complices passifs de ce négationnisme de fait.

Face à l’esclavage oriental contemporain, un certain silence complice de l’Occident

Face à cet esclavage oriental, la plupart des leaders européens et nord-américains, connus pourtant pour leur attachement aux droits humains, brillent, intérêts économiques obligent, par leur timidité ou leurs prises de position molles vis-à-vis de ces pratiques criminelles que les pays concernés cautionnent en fait et (peut-être) en droit. Ils contribuent ainsi à accréditer les thèses selon lesquelles les droits humains pour l’Occident sont à géométrie variable et que moins vous êtes fortuné plus il vous est exigé de respecter les droits humains. Cette attitude fort regrettable est critiquée avec véhémence par les Subsahariens mais ces derniers se gardent bien de (ne serait-ce que) déplorer publiquement ce que les Arabo-musulmans leur ont fait subir et leur font subir. Et pourtant, beaucoup de Subsahariens y ont étudié le coran et d’autres les sciences dites exactes, les sciences humaines et la littérature dans ces pays arabo-musulmans. A l’exception des confidences, des murmures ou des parlottes dans des cercles familiaux et amicaux restreints, il est extrêmement rare qu’ils témoignent de ce qu’ils en savent à travers un article de presse (information ou commentaire), une émission (radio ou télé) ou un article scientifique. Les travaux académiques sur la question de la part des universitaires sont quasi-existants pendant que ceux qui concernent l’Occident foisonnent.

Il faut également noter le caractère idéologiquement spécieux de cette perception selon laquelle ce sont les Occidentaux seuls qui, dans leur volonté de dominer le monde et particulièrement les Subsahariens, ont perpétré les atrocités physiques, économiques, culturelles, politiques et psychologiques sur le continent. De même, il serait malhonnête de ne condamner que les Arabo-musulmans qui, au nom de l’islam, du besoin de main d’œuvre servile dans leurs élevages, cours et palmeraies se sont adonnés à la traite orientale. Dans la réalité, les Subsahariens pratiquaient déjà l’esclavage entre eux Ces derniers se combattaient même s’il est indéniable que les Arabo-musulmans et les Européens ont fait preuve d’une inhumanité inqualifiable.

L’esclavage intra-subsaharien, l’attitude injustement taiseuse des élites

Si l’esclavage occidental à l’encontre des Subsahariens est un fait réel et dénoncé pendant des siècles et que celui, plus ancien, des Arabo-musulmans s’apparente à un sujet tabou officiellement peu évoqué ou ignoré et par les victimes (les Subsahariens) et par les descendants de leurs bourreaux, qu’en est-il de l’esclavage intra-subsaharien ? Dans la réalité, celui-ci a bien précédé les deux premiers et les a ensuite accompagnés car, contrairement à ce que des esprits peu informés peuvent penser, l’Afrique en général et sa partie subsaharienne en particulier n’était pas ce jardin d’Éden (encore que même là il y avait le serpent) où tout le monde était empathique, altruiste, charitable vis-à-vis de tout le monde. En effet, les grands empires et les royaumes renommés subsahariens dont nous sommes tous fiers n’ont pu voir le jour que grâce essentiellement à des conquêtes et à l’asservissement de certains peuples par d’autres plus puissants organisationnellement et militairement. Les razzias dont étaient victimes les populations vaincues débouchaient bien souvent sur la réduction en esclaves des captifs et de leurs descendances et sur l’accaparement de leurs biens matériels, l’occupation de leurs territoires et l’imposition (à travers des formes diverses) de la langue et de la culture des vainqueurs. Il en est né une sorte de mode de production (manière dont les différents facteurs de production sont organisés et traités pour réaliser un produit ou un service dans une économie) razzia et/ou esclavagiste. Ainsi, la traite intra-africaine aurait fait quatorze (14) millions d’esclaves selon Marcel Dorigny, dans « Une approche globale du commerce triangulaire » (Le Monde diplomatique, 1er novembre 2007).

Les sociétés segmentaires comptaient aussi des esclaves en leur sein

On aurait pu croire que dans les sociétés segmentaires (collectivités politiques traditionnelles non centralisées) dont le village (et rarement quelques villages) est la composante, le caractère plus ou moins égalitaire des conditions socio-économiques des individus et le fait que ces peuples sont généralement très jaloux de leur indépendance leur aurait permis d’échapper à la conception bipolaire antagonique des sociétés humaines de Karl Heinrich Marx dans le Manifeste du parti communiste. Pour lui, comme on le sait, l’histoire de toute société est l’histoire de la lutte des classes : « Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurandes et compagnon, bref oppresseurs et opprimés, en opposition constante ». Mais que nenni ! De l’esclavage, ces peuples en ont également fait un système. « L’Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales » de l’écrivain de renom David Diop n’a en fait été d’abord que l’Afrique arène des guerres inter-ethniques ou inter-collectivités politiques ou encore fratricides se soldant parfois, entre autres, par des massacres de masse, des génocides, des ethnocides et de la réduction en esclavage des membres des populations défaites. Du reste, cela a constitué un terreau favorable aux traites orientale et occidentale et à la colonisation. En effet, si dans certains cas, les Subsahariens étaient obligés de livrer certains des leurs aux esclavagistes arabo-musulmans ou européens, dans d’autres, ils le faisaient pour en tirer des bénéfices matériels et politiques ou afin d’étouffer toute velléité de contestation de la légitimité de leur pouvoir de la part de leurs contempteurs ou de la descendance de ceux-ci.

« Toutes les sociétés anciennes, les sociétés africaines comme les autres, ont connu l’esclavage » comme l’affirme Catherine Coquery-Vidrovitch et Eric Mesnard dans Être esclave (2013). Ils y ajoutent que l’ « On peut émettre l’hypothèse qu’en Afrique l’usage servile eut constamment tendance à s’accroître avec l’essor de la traite des esclaves, sous l’influence conjuguée de l’expansion des marchés arabo-musulmans de la Méditerranée et de l’océan Indien, et des plantations américaines. » Et ils concluent : « Mais on ne peut certainement pas en inférer que les sociétés africaines anciennes ignoraient l’esclavage : ce serait bien les seules dans l’histoire de l’humanité ! Moins la technologie était développée, et plus la production devait être assurée par le seul travail physique des hommes et des femmes… »

Tout esclavage (passé ou actuel) mérite d’être dénoncé et combattu

Au demeurant, si les Occidentaux ont belle et bien commis des atrocités de toutes sortes en Afrique subsaharienne, les considérer comme les boucs émissaires idéaux par ignorance ou à dessein en passant sous silence ce que les Orientaux ont fait aux Subsahariens et ce que ceux-ci ont réservé comme traitement à certaines communautés vivant sur le même terroir qu’eux est un négationnisme et comme tel ce n’est pas acceptable. C’est d’autant plus inacceptable que des personnalités de notoriété académique ou religieuse et des décideurs politiques de haut niveau choisissent d’instruire exclusivement à charge contre l’Occident chrétien en faisant table rase de la cruauté des Arabo-musulmans et de certains de nos ascendants. Si l’on ajoute à cela, les carences de l’Etat en matière de gouvernance administrative, culturelle et économique, les limites de l’option exclusivement militaire dans la lutte contre le terrorisme, les conflits intercommunautaires et les survivances des tensions séculaires entre certaines communautés, les ingrédients semblent réunis pour retarder l’échéance tant attendue d’une victoire totale et définitive sur l’extrémisme violent dont les idéologues exploitent à la perfection les contradictions intercommunautaires, politiques et militaires qui minent notre cité.

Issaka SOURWEMA
Dawelg Naaba Boalga

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