Actualités :: Paix et sécurité dans le monde : Dr Henry Kissinger a fait tâche d’huile dans (...)

Dans cette tribune, Mathieu Béré, Docteur en Etudes de Paix Internationale et Résolution des Conflits à George Mason University (USA) rend un vibrant hommage à Dr Henry Kissinger décédé le 29 novembre 2023, à l’âge de 100 ans et tire les leçons de sa vie.

« Le 29 Novembre 2023 s’éteignait dans sa résidence de Connecticut, non loin de New York, à l’âge de 100 ans, le Dr. Henry Kissinger, un grand homme d’Etat, un diplomate hors pair, un citoyen du monde, un homme qui aura marqué non seulement l’histoire de son pays mais aussi du monde, surtout pendant et après la guerre froide. Alors que des quatre coins du monde, des hommages lui sont rendus, il est bon de réfléchir sur la vie de ce géant et d’en tirer des leçons.

Au service de la paix comme militaire, professeur, et diplomate

Contrainte de fuir l’Allemagne nazie en 1938 après que les nouvelles lois de Nuremberg aient privé les Juifs allemands de leur citoyenneté, la famille Kissinger (d’origine juive) s’installe à New York alors que Henry n’a que 12 ans. Les USA leur offrent l’opportunité d’une nouvelle vie de liberté et de dignité loin de la dictature nazie et des persécutions anti-sémites.

Mais treize membres de la famille élargie des Kissinger n’auront pas la même chance et périront dans l’holocauste, le génocide des juifs perpétré par le régime nazi. Dans son nouveau pays, terre de liberté et de tolérance où il se rappelle encore qu’il pouvait traverser la rue sans être frappé par des enfants non-juifs, Henry Kissinger servira successivement à divers titres : 1) comme militaire dans l’armée de terre où il a acquis le grade de Sergent, y compris pendant la seconde guerre mondiale où il sera interprète (Anglais-Allemand) du Général Alexander Bolling, 2) comme administrateur civil de la ville reconquise de Krefeld sur le Rhin en Allemagne, 3) comme agent des services de renseignement, 4) comme professeur et auteur prolifique en relations internationales et diplomatie à l’Université de Harvard où il fera toutes ses études universitaires jusqu’au doctorat après avoir quitté l’armée, 5) comme conseiller influent du gouvernement américain sur les questions de sécurité nationale et de politique étrangère puis secrétaire d’Etat, surtout sous l’ administration des Présidents Richard Nixon et Gerald Ford ; et enfin 6) comme consultant international en politique étrangère pour les présidents américains et d’autres chefs d’Etat à travers le monde.

L’impact indéniable de son réalisme sur le monde de l’après-guerre-froide

Henry Kissinger a fait tache d’huile dans l’histoire des Etats-Unis et du monde dans la période qui a suivi la fin de la guerre froide, fin à laquelle il a énormément contribué par sa vision de la paix et des relations internationales, et son engagement diplomatique. Dans sa thèse de doctorat, intitulée Paix, légitimité et équilibre : une étude sur les qualités d’homme d’État de Castlereagh et de Metternich – la thèse la plus longue qui ait jamais été défendue à Harvard – Kissinger soutient que la paix et la stabilité ne découlent pas de la recherche de la paix en tant que telle, mais plutôt, comme nous l’enseignent les succès diplomatiques de Klemens von Metternich et du Congrès de l’Europe, d’un « accord international sur la nature des arrangements réalisables et sur les objectifs et méthodes acceptables en matière de politique étrangère. » Car, soutient Henry Kissinger, la paix « implique l’acceptation du cadre de l’ordre international par toutes les grandes puissances ».

Cette vision extraordinaire de la paix internationale fera de lui un partisan de la realpolitik et le conduira à se ranger du côté des tenants de l’école réaliste des relations internationales qui influencera la politique étrangère de beaucoup de pays pendant et après la guerre froide.

Selon Kissinger et d’autres théoriciens réalistes, le principe de l’équilibre des rapports de force est le fondement de l’ordre et de la stabilité dans le monde. Car dans un monde anarchique, où il n’y a pas de pouvoir supranational assez puissant pour imposer l’ordre, les Etats, principaux acteurs de la politique internationale, se débrouillent chacun comme il peut pour défendre ses intérêts. Et pour défendre ses intérêts, lesquels sont définis le plus souvent en termes de puissance et de sécurité dans un monde hostile et compétitif, chaque Etat doit utiliser tous les moyens à sa disposition, y compris la force et la diplomatie, ce qui conduit le plus souvent à un dilemme sécuritaire et à la course aux armements.

Un militaire-diplomate au service de la paix et de la stabilité internationales

Kissinger est ce que l’on pourrait appeler un « diplomilitaire », c’est-à-dire un diplomate doublé d’un militaire qui sait tenir compte des leçons de l’histoire du monde en regardant le monde tel qu’il est et non pas seulement tel qu’il devrait être, et qui se rend compte, après réflexion, que la diplomatie et les accords négociés restent souvent sans effet s’ils ne sont pas accompagnés par une force dissuasive qui convainc l’adversaire qu’il a plus intérêt à les respecter qu’à les violer.

Le professeur Kissinger croyait à la triangulation comme outil diplomatique, et il a utilisé cette méthode magistralement avec succès à travers sa diplomatie de la navette, en menant des négociations quasi simultanées avec la Chine et l’Union soviétique, pour relier les trois puissances mondiales de l’époque. Cette diplomatie de la navette permettra d’apaiser les tensions entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique en 1972 à travers la signature de deux traités, le Strategic Arms Limitation Treaty (SALT I) ou traité de limitation des armes stratégiques, et le traité sur les missiles anti-balistiques (Anti-Ballistic Missile Treaty).

Kissinger fut un des premiers hommes d’Etat à reconnaitre après plusieurs années de guerre au Vietnam, que les Etats-Unis, malgré leur hyper-puissance militaire, ne pouvait pas gagner la guerre seulement de façon conventionnelle contre le Vietnam communiste, un adversaire pauvre et militairement plus faible qui recourait à la guérilla (comme le font les groupes terroristes actuellement au Sahel) et qui était idéologiquement et militairement soutenu par la Russie et la Chine.

Fort de ce constat, Kissinger s’est impliqué pendant quatre ans dans des négociations avec les Vietnamiens, négociations qui ont abouti aux accords de Paris et à un cessez-le-feu qui a permis en 1973 le retrait des Etats-Unis de cette guerre, guerre qui d’ailleurs prendra fin deux ans plus tard.

De même, la diplomatie de la navette initiée par Kissinger entre Israël, un allié des Etats-Unis, et l’Egypte de Saddat, un allié de l’Union-Soviétique, a permis la même année de limiter les dégâts dans la guerre du Yom Kippur qui opposait les deux pays.

Que nous apprend Kissinger ?

Il est souvent reproché à Kissinger d’avoir parfois placé les intérêts géostratégiques au-dessus des droits de l’homme et des principes moraux. On reproche également à d’autres théoriciens réalistes leur vision pessimiste de l’homme comme étant un être fondamentalement méchant et peu fiable (une conception qui remonte à Thucydide, Hobbes et Machiavel). Cependant, il faut bien reconnaitre que l’histoire de façon répétée a démontré que les naïfs – ceux qui ne voient en l’homme qu’un grand potentiel moral de bienveillance et de bonté oubliant qu’il peut être égoïste et méchant — ont été souvent déçus en entretenant des vœux pieux et en adoptant des politiques idéalistes, désincarnées et hors-sol.

Comme l’a écrit Kissinger lui-même dans son livre Ending the Vietnam War (2003) pour défendre son approche pragmatique en politique internationale, "l’histoire ne présente des alternatives sans ambiguïté que dans les circonstances les plus rares. La plupart du temps, les hommes d’État doivent trouver un équilibre entre leurs valeurs et leurs obligations ou, pour le dire autrement, ils sont obligés d’approcher leurs objectifs non pas d’un seul coup mais par étapes, chaque étape étant par définition imparfaite au regard des normes absolues".

De l’initiative diplomatique de Kissinger qui a permis de mettre fin à l’affrontement des Etats-Unis avec l’Union Soviétique et avec le Vietnam et, d’autre part, de la survie du communisme dans cette partie du monde à la fin de la guerre, nous apprenons que les armes seules ne suffisent pas à vaincre et à tuer les idéologies.

Avec certains adversaires, y compris ceux qualifiés de terroristes, il faut souvent savoir habilement dialoguer pour obtenir une détente, un apaisement des tensions, et la réalisation de certains objectifs négociables (cessez-le-feu, libération d’otages…). Un tel dialogue ne signifie en rien approbation du terrorisme et des ideologies extrémistes qui cherchent à le légitimer. Au contraire, il permet de limiter les dégâts et de poursuivre la paix de façon non-violente. »

Mathieu BERE, GMU (USA)

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