Actualités :: Macron et « sa » CEDEAO : Un fourvoiement annoncé ?

L’actualité politique africaine est dominée depuis le 26 juillet 2023 par la crise nigérienne. Pendant que le débat oppose toujours les pro interventionnisme aux anti interventionnisme, un de nos lecteurs, François Ouédraogo nous a fait parvenir la tribune ci-après.

Après la conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France de la Baule, tenue du 19 au 21 juin 1990 et marquée par la célèbre allocution (le discours de la Baule) du président français, François Mitterrand, personne ne s’imaginait encore un retour cauchemardesque des coups d’Etat en séries en Afrique en général, en Afrique de l’Ouest en particulier. Mais voilà, pour ne s’en tenir qu’à l’Afrique de l’Ouest seulement, c’est-à-dire la sphère d’influence supposée de la CEDEAO et en grande partie de la France :

Coup d’Etat au Mali le 22 Mars 2012 avec Amadou Aya SANOGO déposant ainsi le président « démocratiquement élu » Amadou Toumani TOURE ; puis le 18 Août 2020 avec le colonel Assimi GOITA ; puis enfin un coup d’état dans le coup d’Etat le 24 Mai 2021, toujours avec le colonel Assimi GOITA ;

Tentative de coup d’Etat au Burkina Faso le 16 Septembre 2015 sous la houlette du général Gilbert GUINGUERE, ancien chef d’état-major particulier de l’ancien président du Faso « démocratiquement élu », Blaise Compaoré et Chef du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) ;

Coup d’Etat en Guinée le 05 Septembre 2021 sous la houlette du colonel Mamadou DOUMBOUYA, commandant en chef des Forces spéciales (FS), commises à la sécurité rapprochée du président « démocratiquement élu », le professeur Alpha CONDE ;

Tentative de coup d’Etat en Guinée Bissau le 1er Février 2022 contre le président « démocratiquement élu », Umaro Sissoco EMBALO ;
coup d’Etat des lieutenants colonels au Burkina Faso le 22 Janvier 2022 et sous la houlette du lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo DAMIBA, déposant ainsi le président « démocratiquement élu », Roch Marc Christian KABORE ; puis coup d’Etat dans le coup d’Etat, celui des capitaines cette fois et sous la houlette du capitaine Ibrahim Traoré, le 30 Septembre 2022, déposant ainsi l’homme « fort » du 22 janvier 2022, seulement huit (8) mois après son coup d’Etat à lui ;
Enfin Coup d’Etat au Niger le 26 juillet 2023, celui des généraux, sous la houlette du général Abouramane Tchiani, chef du régiment de la Garde nationale, donc chargé à ce titre de la sécurité personnelle du président « démocratiquement élu », Mohamed BAZOUM, ainsi déposé à son tour ;

A quelques nuances près, le dénominateur commun à tous ces coups d’Etat s’appelle : mauvaise gouvernance politique et économique, échec économique et social, pauvreté endémique, insécurité et terrorisme, etc.

Mais le dernier en date, semble avoir piqué au vif M. Emmanuel MACRON, président de la France et « sa » CEDEAO, on ne sait trop pour quelles raisons particulières. Il est vrai qu’il s’agit dans ce dernier cas, d’un coup d’Etat très peu élégant, puisque c’est le chargé même de la sécurité personnelle du président « démocratiquement élu », Mohamed BAZOUM, à savoir le commandant en chef de la Garde nationale, le général Abdouramane Tchiani en personne, qui se trouve être en même temps, l’auteur en chef des événements.

Ce qui fait dire d’ailleurs à certains qu’il s’agit d’un coup d’Etat pour « convenance personnelle ». Pour les lecteurs qui ne comprendraient pas très bien cette inélégance, je ferai ce parallèle en disant que c’est exactement comme si en son temps, le général Gilbert GUINGUERE faisait un coup d’Etat à son mentor Blaise COMPAORE. Mais notons que le guinéen Mamady DOUMBOUYA n’est pas loin de ce « péché originel » d’inélégance, lui qui a été spécialement promu et choyé par Alpha CONDE pour assurer sa sécurité personnelle.

En soi, aucun coup d’Etat n’est quant au fond élégant, si l’on s’en tient au caractère « sacré » que l’on veut donner aux institutions démocratiques et à la démocratie elle-même. C’est pourquoi, beaucoup de citoyens, y compris moi, condamnent et réprouvent par principe et avec juste raison, les coups d’Etat, en tant que facteurs objectifs de recul des nations et des sociétés, en termes de progrès et de libertés. Je crois même que parfois, certains auteurs de coups d’Etat l’ont perpétré à leur cœur et corps défendants.

Mais alors questions : Quelles en sont les causes ? Que faire ?

D’abord, les causes : Les causes générales telles qu’avancées par les auteurs des coups d’Etat en Afrique, me conviennent amplement, à savoir insécurité, mauvaise gouvernance politique et économique, échec économique et social, pauvreté ambiante, etc. Or, on est bien obligé de se rendre à l’évidence, aucune démocratie depuis la Baule n’a trouvé de solutions véritablement satisfaisantes à ces maux qui perdurent depuis maintenant des décennies en Afrique. D’où de légitimes questions sur la valeur ajoutée de nos démocraties bananières, issues de la Baule. Or, comme l’a dit un penseur, « la preuve que la pomme existe, c’est qu’on la mange ».

Personnellement je n’ai pas encore vu ni mangé, la « pomme » de la démocratie en Afrique et c’est précisément le cas hélas, de la plupart des citoyens de nos républiques non moins bananières. Ce qui est plutôt visible, encore hélas, ce sont les détournements et autres malversations impunis, puis l’enrichissement illicite de quelques-uns, en somme des voleurs de la république, présentés à tort comme des gens qui ont socialement réussi.

Le récent procès pédagogique de Dabilgou et autres, confirme à souhait ce que la démocratie produit pour nous en Afrique. A cela s’ajoute bien entendu, l’inextricable question sécuritaire de ces dernières années, particulièrement au Sahel. C’est entre autres ces raisons fondamentales qui font que les coups d’Etat sont, ou franchement applaudis et soutenus, ou au moins bénéficiaires d’une bienveillante neutralité populaire.

Celui du Niger comme ceux ailleurs avant lui, obéissent à cette implacable réalité que constituent la mal gouvernance, l’insécurité et la pauvreté, sources objectives d’instabilité.

Ensuite, ce qu’il y a lieu de faire : D’emblée, j’écarterais sans hésitation l’option belliqueuse et va-t-en guerre de MACRON et de « sa » CEDEAO, telle que retenue pour traiter le cas nigérien. Cette option est, à tout point de vue ; tout simplement contre-productive, absurde, dangereuse, pas seulement pour le Niger ! Mais je dirais même plus, pour toute la sous-région, y compris pour l’avenir de MACRON et « sa » CEDEAO eux-mêmes !

Je ne rentrerai pas dans les détails ici, puisque manifestement les opinions populaires nationales et internationales sont très majoritairement contre cette option, et ne manquent pas, mieux que moi, d’arguments multiformes pour étayer l’option de la sagesse et du bon sens. On retiendra en gros de cet argumentaire : (i) l’échec des politiques publiques ; (ii) le déficit d’actes concrets en faveur des populations ; (iii) la faillite d’un certain modèle démocratique ; (iv) les difficultés voire l’incapacité des gouvernants face à l’insécurité et au terrorisme.

C’est pourquoi si j’ai une suggestion à verser à ce dossier, je dirais tout simplement de faire confiance aux peuples africains en général, ceux sous régimes de coups d’Etat en particulier qui restent à mon avis les seuls réalités légitimes, donc les seuls capables d’assumer, tôt ou tard, leur destin commun. Alors, comme mon doyen, le Professeur Laurent BADO, je conseillerais aux commissaires de la CEDEAO de se tenir tranquille et de continuer à toucher et manger « tranquilos », leurs, 8, 10, 12 millions ou plus, de FCFA par mois. Tout comme s’ils transportaient eux, des montagnes !

Ce qui est sûr, la disparition de la CEDEAO aujourd’hui en tant que « syndicat des chefs d’Etat » comme on le constate hélas à travers ses actes et prises de position, ne fera ni chaud, ni froid, aux populations de ses Etats membres. Alors, pour ne pas se fourvoyer en politique, il faut toujours avoir présent à l’esprit, non pas seulement les « démocraties » renversées, mais aussi et surtout ce qu’en pensent les couches et classes sociales populaires des pays concernés.

*Mon « sa » a sa place ici lorsque je me réfère aux propos suivants de la ministre des affaires étrangères française, Cathérine COLONNA à l’issue de son entretien avec le ministre des affaires étrangères de BAZOUM, Hassoumi Massoudou et je cite : « Les putschistes du Niger ont intérêt à prendre au sérieux, la menace de la CEDEAO ». Notez-le, exactement comme si elle était commissaire de la CEDEAO !

** Le dossier Dabilgou et autres concerne l’ex-ministre burkinabé des transports et ses collaborateurs pour détournement de deniers publics. Le principal accusé s’en sort avec 7 ans de prison ferme et plus de 3 milliards de FCFA d’amende.

O. Frank
E-mail : ouedfan@yahoo.fr

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