Actualités :: Sortie sur Sputnik du ministre burkinabè de la défense : Décryptage de Dr (...)

A travers les lignes qui suivent, Dr Evariste Faustin Konsimbo fait un décryptage de la sortie du ministre burkinabè de la défense le 18 aout 2023 au sujet de l’éventuelle intervention militaire de la CEDEAO suite au coup d’Etat qui a renversé le président Mohamed Bazoum

Quand on ne peut changer la réalité, on change les mots ! [1]

Voici quelques réflexions sur les éléments de langage développés par le ministre de la Défense et des Anciens combattants du Burkina Faso dans un entretien diffusé sur la chaîne russe Sputnik. (18/08/2023)

1. La seule agression est celle de la garde présidentielle contre les autorités politiques du Niger, et c’est contre cette garde présidentielle et ses soutiens opportunistes que la CÉDÉAO a décidé, si le pouvoir n’est pas rendu au président Bazoum, de conduire une opération internationale de maintien de l’ordre républicain conformément à ses protocoles additionnels. En aucun cas, le Niger et ses populations ne sont directement visés, sinon par effets collatéraux du fait qu’ils sont pris en otage par la nouvelle junte, dont ils sont le rempart contraint.

Ne pas inverser les rôles : les militaires nigériens sont les agresseurs et la CÉDÉAO va libérer le peuple nigérien de ces agresseurs, si bien que les juntes du Mali et du Burkina veulent se porter au secours des agresseurs, et non des victimes.
Pour résumer : Les seuls agresseurs du peuple nigérien et de ses institutions sont les putschistes.

2. Que signifie être prêts à soutenir les putschistes du Niger ? Engager une partie du matériel militaire, et des hommes qui le servent, que les populations burkinabè ont financés et financent par leurs impôts et leurs contributions exceptionnelles pour lutter contre les groupes insurgés ? En cas d’intervention à Niamey, les vecteurs aériens seront les premiers visés ; que restera-t-il alors de la flotte aérienne du Burkina dont des aéronefs sont désormais basés au Niger ? Idem pour les moyens terrestres et l’infanterie ?

Plus inquiétant, en cas de destruction, quels moyens complémentaires, nécessairement prélevés sur le front intérieur, seront alors engagés et à quel niveau ? Pire, le Burkina étant alors en état de belligérance — pour reprendre le vocabulaire des amis russes de ce régime militaire — aux côtés de la junte nigérienne, quel sort lui sera réservé à l’issue de cette opération internationale de maintien de l’ordre républicain ?

Une chose est certaine : si les putschistes engagent les moyens militaires du Burkina à Niamey, c’est pour sauver la peau de leur régime, qui ne survivra pas à un retour à l’ordre constitutionnel au Niger sous l’égide d’une CÉDÉAO alliant les actes de police internationale aux paroles politiques.
Pour résumer : La junte du Burkina mobilise les moyens de l’État burkinabè en faveur des putschistes de Niamey pour sauver la peau de son régime.

3. Ce qui n’est pas logique, c’est qu’une garde présidentielle censée protéger les autorités politiques s’attaque à celles-ci et ruine par intérêts corporatistes les conditions du vivre-ensemble de la nation nigérienne, faisant ainsi le jeu des groupes insurgés. La logique n’a jamais été que les gendarmes deviennent les voleurs, c’est pourtant cette aberration que soutiennent les juntes du Mali et du Burkina — par quelle perversion morale ?

S’il y a des bagarres inutiles, c’est toujours celles provoquées par les fauteurs de troubles, que sont les putschistes qui profitent de leur position de force pour ravir le pouvoir aux autorités civiles que les citoyens ont élues ; jamais celles induites par ceux qui veulent mettre hors d’état de nuire ces fauteurs de troubles.
Pour résumer : Au Niger, les gendarmes du pouvoir sont devenus les voleurs du pouvoir, et ce sont ces voleurs que soutiennent les juntes du Mali et du Burkina.

4. La menace de retrait de la CÉDÉAO est purement rhétorique, puisque le Mali et le Burkina ne pèsent quasiment rien dans l’économie sous-régionale, qu’ils seraient isolés économiquement et financièrement, sans accès à la mer, et même sans monnaie, et que leurs populations perdraient d’un coup tous leurs avantages dans cet espace, d’où elles fournissent une grande partie des apports financiers de la diaspora (192 millions de $ par an depuis le Ghana pour le Burkina).

Au contraire, il est nécessaire que la CÉDÉAO adopte une ligne d’action politique très claire et automatique devant les coups d’État : suspension immédiate, 3 batteries de sanctions de plus en plus sévères pour les instances politiques du pays et ses militaires (immédiates, à 6 mois et à 12 mois), impossibilité de reconnaître une transition militaire comme gouvernement légitime d’un pays-membre, engagement de la procédure d’éviction si le pouvoir n’est pas rendu aux autorités déposées au bout d’une année.

Pour résumer : Pour le Burkina, quitter la CÉDÉAO serait un suicide et la junte le sait parfaitement. Le reste est bavardage.

5. Le président élu d’un pays où prévaut l’État de droit n’est pas un individu et ne représente pas des intérêts particuliers, il est la personne investie du pouvoir suprême par le choix de la majorité des électeurs pour représenter les intérêts de la population dans son ensemble et dans sa diversité.

Au Niger, ceux qui agissent comme des individus au nom d’intérêts corporatistes sont les militaires, premiers et seuls bénéficiaires du coup d’État. L’argument des intérêts de la population, que ces putschistes sont incapables de définir, est un écran de fumée pour dissimuler une réalité triviale : un putschiste prend le pouvoir politique pour le pouvoir, pour rester au pouvoir, et pour retirer aux citoyens la capacité d’exercer leur pouvoir souverain par l’élection libre.

En ce sens, ils sont les usurpateurs des intérêts des populations, et non pas leurs défenseurs.
Pour résumer : Au Mali, au Burkina et maintenant au Niger, les militaires ont pris le pouvoir pour y rester, sans considération de l’intérêt prétendu des populations.

6. Admettons que la CÉDÉAO manque d’un organe de représentation populaire — comme l’ONU où ne siègent que des États alors que cette organisation est censée représenter des nations —, mais en aucun cas cette CÉDÉAO des peuples, pour reprendre le slogan des putschistes, ne saurait être une CÉDÉAO de la rue, où les plus bruyants et les mieux financés par des groupes d’intérêts très particuliers l’emporteraient sur la majorité.

Dans leur exercice quotidien du pouvoir, les putschistes, au Mali comme au Burkina, ont montré ce qu’est leur conception d’un gouvernement prétendument du peuple : un groupe de militaires armés jusqu’aux oreilles, bunkérisés, appuyé par des factions qui vocifèrent sur instruction et financement partout en ville, avec une société civile, des médias et des contre-pouvoirs réduits au silence, des citoyens ponctionnés sous prétexte de l’effort de guerre, et partout l’arbitraire, dans les décisions comme dans les actes, toujours au profit de ceux qui prennent ces décisions ou de ceux qui les soutiennent. De cette CÉDÉAO façon putschiste, qui en veut ?

Pour résumer : Les putschistes ne veulent pas une CÉDÉAO des peuples, mais une CÉDÉAO de la rue où des factions à la solde du pouvoir militaire décident pour la majorité.

7. Le Burkina est certes membre de la CÉDÉAO, mais membre suspendu (comme de l’Union africaine), ce qui signifie que, du fait du coup d’État et de lui seul, il n’a plus guère de droits communautaires.

Si vraiment le Burkina est membre de plein droit de cette organisation, pourquoi n’est-il pas allé faire entendre sa voix lors des réunions concernant le Niger. Le mensonge prospère dans les oreilles de qui veut l’entendre par intérêt.
Pour résumer : Du fait des coups d’État, et d’eux seuls, le Burkina n’est plus que membre suspendu de la CÉDÉAO, autrement dit sans droit au chapitre communautaire.

8. Dans la perspective des décisions prises par la CÉDÉAO, il ne s’agit pas de faire la guerre à un pays, mais de mener une intervention de police d’envergure internationale contre des putschistes ayant déposé par les armes les autorités élues d’un pays et utilisant pour rester au pouvoir les moyens militaires de cet État. C’est une opération internationale de police contre des délinquants militaires qui veulent se faire passer pour les représentants d’une population qu’ils tiennent en respect par les armes.

La CÉDÉAO, au nom de ses principes et dans l’intérêt de la stabilité politique de la sous-région, entend juste répondre à la force illégitime par la force légitime. Que les putschistes de Niamey se constituent prisonniers et pas un coup de feu ne sera tiré ; à défaut, l’emploi de la force collective contre eux est de l’ordre de la légitime défense.
Pour résumer : La CÉDÉAO ne déclare pas la guerre au Niger, elle engage une opération internationale de police contre des délinquants militaires.

9. À travers ses protocoles additionnelles, qui ont la même valeur juridique que les traités initiaux puisque formés selon la même procédure d’approbation, et que le Burkina a accepté sans aucune réserve ni exception, il a y longtemps que la CÉDÉAO a étendu sa compétence au-delà du domaine économique, domaine qui relève à l’évidence du pouvoir politique — dans l’esprit des putschistes, économique doit signifier commercial.

Ni les putschistes du Mali, au pouvoir depuis 3 ans, ni ceux du Burkina, au pouvoir depuis près de 2 ans, n’ont à aucun moment cherché à délier leur pays des protocoles additionnels. Pourquoi ? Une question à leur poser pour mesurer leur incohérence.
Pour résumer : À travers ses protocoles additionnels, la CÉDÉAO a depuis longtemps une compétence en matière de contrôle des normes de gouvernance et de démocratie.

10. Pour autant qu’on puisse avoir des échos fiables sur les discutions ayant lieu dans les différentes instances de la CÉDÉAO, l’unanimité semble acquise quant à la nécessité d’une opération internationale de police contre les putschistes de Niamey en cas d’échec des négociations visant à rétablir le président Bazoum dans ses pouvoirs constitutionnels ; et même l’unanimité quant à la participation des États-membres à cette opération à différents niveaux d’engagements.

Là encore, faire passer la décision d’intervention pour la volonté de quelques chefs d’État relève de la simple désinformation. Si des voix discordantes existaient à ce propos, il y a longtemps que les putschistes de la sous-région et leurs chambres d’échos internationales auraient inondé leurs canaux habituels de propagande.

La réalité est là : ils sont seuls, et même la Guinée pourtant putschiste se retire progressivement de leur bande (sortie du projet de fédération, refus d’aller au sommet Russie-Afrique, neutralité militaire dans la situation nigérienne).
Pour résumer : La CÉDÉAO est unanime et les putschistes sont seuls entre putschistes : voilà la réalité.

11. Pour les putschistes, la gouvernance et la démocratie n’ont pas assez de valeur pour qu’une institution comme la CÉDÉAO veuille les défendre contre des délinquants militaires qui ont déposé manu militari un président élu au nom et pour ces principes. Pour sûr, quand on entend exercer le pouvoir politique pour le pouvoir par les armes, aucun autre principe n’a de valeur que la force armée elle-même.

À longueur de discours, sous prétexte de patriotisme et de défense des intérêts supérieurs des populations, les putschistes plaident contre la (bonne) gouvernance et la démocratie, dont le dénigrement est le seul moyen pour eux de s’enkyster au pouvoir.

De leur point de vue, le plus choquant est de vouloir ramener au pouvoir un régime déchu par un coup d’État : y a-t-il manière plus claire d’affirmer que, sous leur emprise, la dévolution du pouvoir politique est le seul fait du coup d’État ?

Désormais, pour accéder au pouvoir suprême, il faudra soit être désigné par ses pairs militaires, soit être capable de ravir ce pouvoir à un autre militaire par les armes. Ce que nous proposent ces vaillants putschistes, dont l’échec sur le front intérieur apparaît dans toutes les statistiques sincères, c’est un retour à la meute originelle, où chacun est un loup pour l’autre, et dont le chef l’est tant que plus fort ne l’a pas renversé.

La restauration qui, outre la victoire sur le champ de bataille contre les insurgés — que l’on attend comme une arlésienne —, devait être l’autre champ de bataille de ces putschistes climatisés porte un nom moins glorieux : la régression. Qui veut sérieusement de cette société d’instinct, de soumission et d’iniquité, où la force et la sujétion sont la mesure de tout ?

Pour résumer : Le modèle de société des putschistes est celui de la meute originelle où le plus fort l’emporte par les armes. C’est une régression.

[1] D’après Jean Jaurès, Congrès socialiste international (Paris), 23-27 septembre 1900.

Dr Evariste Faustin Konsimbo

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