Actualités :: Bras de fer entre acteurs de la justice et autorités de la transition : « Le (...)

Dans le débat devenu national sur l’affaire « Adja », du nom de cette guérisseuse à quelques encablures de Ouagadougou, Sidzabda Damien Ouédraogo nous a fait parvenir la tribune ci-après. Pour lui, au-delà des pouvoirs et des procédures, il faudrait penser au Faso. Tribune !

La tension a été plus que vive les jours passés, entre acteurs de la justice et autorités de la transition. Motif, l’interpellation et l’incarcération manquée d’une jeune guérisseuse traditionnelle de renommée, connue sous l’appellation de « Adja de Komsilga », par de très nombreux patients qui affluent chaque jour et de toutes parts vers elle dans le village de Rakissé en périphérie de Ouagadougou, pour des consultations, soins et guérisons mystiques.

Arrêtée le 26 juillet 2023, au même titre que quelques-uns de ses supposés proches ou employés à elle, accusés d’avoir molesté puis publié sur les réseaux sociaux les images d’une rude bastonnade infligée à un individu par ces derniers, l’exécution du mandat de dépôt décerné par le Parquet du Tribunal de Grande Instance de Ouaga II contre la dénommée NIKIEMA Larissa à l’état civil, dite Adja Amsetou de Komsilga, s’est heurtée à l’opposition musclée, pour le moins inattendue et inhabituelle d’un groupe de militaires en armes, débarqués à la surprise générale dans les locaux même du palais de justice.

Tollé d’indignation et de protestations, dans les rangs des différents corps et ordres des acteurs de la justice. Puis s’en est logiquement suivi un véritable psychodrame, qui a secoué le microcosme sociopolitique, passionné les débats au sein de l’opinion publique, envenimé le dialogue social, mis en cause l’équilibre et la bonne intelligence nécessaires et indispensables entre deux institutions principales et essentielles, en charge des libertés et garantes de la nation.

Publiquement, l’on a assisté à des passes d’armes verbales musclées entre pouvoirs politiques et judiciaires. Les uns et les autres s’invectivant, s’étripant à coups de mots d’ordre syndicaux et d’accusations de complotisme. Le mercure est ainsi monté à des niveaux presque jamais atteints, inacceptables et intolérables. Pour un pays qui vit les moments particulièrement difficiles que notre chère patrie endure face au terrorisme, une telle polémique au sommet de l’Etat est apparue impensable, surréaliste, hautement irresponsable. Vindicative et destructrice, puérile et dangereuse, elle interpelle à plus d’un titre.

Sans alarmisme ni pessimisme aucun. Sans nécessairement devoir se poser en pourfendeur ni défenseur d’aucune partie dans cette affaire ténébreuse, dont l’urgence chaque jour plus impérieuse pour les Burkinabè de s’unir véritablement et au-delà de toute forme de divergence afin de tenter de sauver le Faso commun et unique à tous se serait sans doute bien passé, il est grand temps à tous les niveaux et charges, que les acteurs et responsables de la vie publique prennent la bonne et juste mesure de leurs devoirs et de leurs engagements.

Au risque que la fin du film, si l’on persiste dans ce mauvais scénario, fait de haine fratricide et de désamour patriotique, soit désastreuse, calamiteuse et détestable pour tous ; héros ou bandits chefs. Dans une déclaration courroucée à ce sujet, le capitaine Ibrahim TRAORE, chef de l’Etat, est allé jusqu’à se dire prêt à mettre un rapport de l’Agence nationale de renseignement sur la place publique, pour témoigner de la bonne foi des agissements survenus dans ce dossier. Faut-il pousser le bouchon aussi loin ? Divulguer des informations qui relèvent de la sûreté de l’Etat, pour justifier la légitimité gouvernementale d’agir, au nom et pour l’intérêt supérieur de la nation ? L’intersyndicale des magistrats de son côté a finalement appelé ses membres à reprendre les activités juridictionnelles, qui étaient jusque-là suspendues, en réaction à cet incident survenu au TGI Ouaga II. Avec les dernières mesures prises de part et d’autre, il faut vivement espérer une décrispation définitive, responsable et salutaire dans cette affaire.

Pour autant, il ne faut pas se voiler la face. En s’insurgeant vivement contre ce qu’elle considère comme une immixtion de l’exécutif dans ses propres affaires à elle, la justice a fini par obtenir que Adja de Komsilga, comme tout justiciable incriminé et poursuivi, soit mise en détention provisoire, pour être présentée en temps voulu devant le juge, afin qu’elle réponde aux chefs d’inculpation pour lesquels elle est poursuivie. On a envie de dire bravo aux acteurs de la justice, pour ce courage, cette ténacité et une telle opiniâtreté. Néanmoins, l’indépendance de la justice, fruit d’une haute lutte menée par le peuple burkinabè dans son ensemble, ne devrait-elle pas s’exercer au quotidien et en réponse aux attentes et espérances de tous les citoyens Burkinabè ? Ne devrait-on pas légitimement être en droit d’attendre du juge qu’il exerce ses prérogatives de garant des libertés et des égalités de tous devant la loi dans un spectre plus large qu’une simple opposition (parfois nécessaire et justifiée certes) érectile et réactive face aux interférences supposées du politique sur ses plates-bandes ou une certaine forme de susceptibilité corporatiste, matérialiste et inégalitaire ?

Disons-nous les choses telles qu’elles sont. La transition de 2014-2015 a fait un lit bien douillet pour l’indépendance de la justice. Roch Marc Christian KABORE n’a eu d’autre choix par la suite que d’entériner une série de mesures exceptionnelles et extraordinairement avantageuses pour le corps de la magistrature. Forts de cette liberté et de ces avantages, les principaux administrateurs de notre système judiciaire sont-ils devenus des super Burkinabè ? Des gens aux intérêts intouchables et, le cas échéant, au-dessus des considérations même de sécurité et de sûreté de l’Etat, dans un contexte pourtant que tout le monde sait très sensible en la matière ? Il n’y a de lois et de justice que dans un pays en paix, un Etat libre et indépendant. Dans un environnement de guerre sauvage, lâche et injuste comme celle imposée au Burkina Faso depuis 2016, à quoi rime donc une administration de la justice aussi procédurale et tatillonne ? Sinon à vouloir déstabiliser le pouvoir politique et à quelles fins ?

Au moment où, outre la lutte implacable engagée contre l’ennemi terroriste et pour la reconquête complète du territoire national, une refondation profonde de l’Etat et de ses institutions est au cœur de l’agenda et au centre des préoccupations affichées par les autorités de la transition actuelle, la question est loin d’être dénuée de sens. De quel côté se placent les acteurs de la justice dans le combat de renaissance mené par le peuple Burkinabè ? Il est bon de se poser en garant de principes universels doctrinaux. Mais il est sans doute meilleur, lorsque l’histoire des peuples et des nations l’impose, de pouvoir s’adapter au rythme de la marche. Sortir du classicisme, pour oser se battre et savoir inventer l’avenir pour paraphraser Thomas SANKARA. Toute autre posture questionne la loyauté et le patriotisme. Il n’y a pas de « république des juges », s’il n’y a pas de république, tout court.

La levée de boucliers, la montée d’adrénaline, puis l’accalmie dans le traitement du dossier Adja de Komsilga semblent, de ce point de vue, symptomatiques d’un malaise certain et plus profond qu’il n’y parait. La grande frilosité observée dans les réactions est tout sauf hasardeuse ou anodine. Le mal est et demeurera, tant que l’on n’aura pas eu le courage de crever l’abcès. Il faut le guérir à la racine.

Tant pour la justice, que pour toute autre forme de corporatisme social ou professionnel, la nécessité s’impose aux autorités de la transition, de poursuivre les réformes engagées ou envisagées. Sans faiblesse, sans état d’âme, sans stigmatisation et sans favoritisme. Avec lucidité et courage, avec abnégation et conviction. La marche des nations a toujours été ainsi faite. Les uns s’arcboutent sur des avantages et prérogatives, les autres s’obstinent sur des visions et une mission qu’ils ont jugé salvatrice pour leurs peuples.

Fort heureusement, bien souvent jaillit des contradictions apparentes les plus flagrantes et des confrontations conjoncturelles les plus virulentes, la lumière historique qui guide l’évolution positive des choses. Il faut souhaiter et espérer qu’au sortir de cet épisode entre acteurs de la justice et autorités de la transition, chaque partie ait compris et retenu la seule et unique leçon qui vaille. A savoir que nul certes n’est au-dessus de la loi, mais que le respect dogmatique non plus d’aucune loi n’est au-dessus des intérêts du peuple et de la survie du Burkina Faso.

Que chacun, dans le respect du principe démocratique de séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, veille à ne pas trop piétiner les prérogatives de l’autre. Mais que la susceptibilité d’aucun non plus n’empêche le Burkina Faso d’aller de l’avant, dans sa marche victorieuse entamée vers la conquête d’une souveraineté réelle. Que cela soit dit, entendu et pris en compte, sans faiblesse ni arrogance, pour l’avenir commun et un mieux-être collectif.

Sidzabda Damien Ouédraogo

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