Actualités :: L’Afrique au cœur : Les relations compliquées entre la France et l’Afrique (...)

François Warin est un intellectuel et un citoyen français qui a une assez longue expérience de l’Afrique. Il a enseigné la philosophie à l’Ecole Normale Supérieure de Bamako puis à l’Université de Ouagadougou. De retour en France en 1987, il a poursuivi l’enseignement de la philosophie à l’Université d’Aix-en-Provence avant de prendre sa retraite. Dans ce texte qu’il a adressé à Lefaso.net, il livre sans détour ses impressions sur l’état actuel des relations compliquées entre la France et l’Afrique sahélienne notamment, en regard de l’influence de plus en plus marquée de la Russie sur le continent africain.

J’ai passé onze ans au Sahel et l’inexorable chute de ce qui restait, malgré tout, de notre Empire colonial, me désespère, comme s’il signait, avec le déclassement de la France, un échec personnel, la défaite d’un enseignant et contribuait ainsi à rendre bien atone et bien morose une fin de vie où plus personne ne vous écoute.

Mais pas d’équivoque : je ne regrette en rien l’Empire, bien sûr, cet incipit un peu provocateur signifie simplement que j’assume, comme tout citoyen, le poids de notre histoire, le hallal come le haram, le béni comme le maudit. Ce qu’on appelait depuis De Gaule et Foccart La Franceafrique dans le sillage de l’Empire est une longue époque de bien glauques compromissions dont Emmanuel Macron, à Ouagadougou, avait promis de sortir pour mettre en place des partenariats enfin parfaitement transparents.

Mais la colonisation n’a jamais cessé de nous (et de leur) coller à la peau. Elle ne « réussit » en effet que lorsque le pays colonisateur est parvenu a donner sa langue au pays colonisé, écrivait cyniquement un linguiste rencontré à Bamako et cela même si on considère le français, la langue française, comme un « butin de guerre (K. Yacine)…. Ainsi tous les pays de langue romane i.e., tous les pays colonisés par les Romains, parlent désormais une langue romane, issue du latin. Ceci pour se souvenir que colere en latin qui a donné coloniser, c’est d’abord cultiver, prendre soin, avoir souci et que la langue demeure toujours insidieusement une « poche de survivance de l’infrastructure coloniale » (F. Fanon) avec laquelle il faut savoir jouer, qu’il faut, au besoin, cannibaliser aurait dit Ostwald de Andrade, le théoricien brésilien de l’anthropophagisme. Les blancs débarquent, le canon ! écrivait sans doute Rimbaud dans Une saison en enfer. Mais avec le canon, ils ont aussi quelque fois, fort timidement il est vrai, apporté l’école et l’institut Pasteur au risque de voir se retourner contre eux des populations acquises aux maximes républicaines et aux droits de l’homme enseignés à l’école… Mais il n’y a pourtant pas à tergiverser, après le discours sur le colonialisme de Césaire, il n’est plus possible de parler des bienfaits de la colonisation. Elle a fini par être reconnue comme un pan peu glorieux de notre histoire et, moralement, comme un crime contre l’humanité ce qui est hélas instrumentalisé et considéré comme première cause du retard de l’Afrique par des pouvoirs corrompus en crise et en quête de légitimité démocratique.

Depuis mon retour en France en 1987, nous avons, il est vrai, changé d’époque, une "forme de vie" a vieilli, aurait dit Hegel, l’Afrique est entrée dans la mondialisation, une bonne partie de la jeunesse est à présent connectée et la Chine, la Russie, la Turquie, l’Arabie Saoudite… ont sonné depuis longtemps à la porte d’un continent qui représentera demain 40% de l’humanité. Dans ces conditions, la France, ex puissance coloniale, non seulement n’est plus au centre du jeu en Afrique mais, en tous les sens du terme, elle est en train d’être progressivement remerciée…

« Merci la France » clamait la foule en agitant des drapeaux tricolores et en applaudissant les convois de soldats français qui revenaient du Nord où, répondant, dans l’urgence, à l’appel du gouvernement malien, ils avaient libéré Tombouctou, Gao et Kidal soumises à la charia et à la terreur des djihadistes. Ils étaient parvenus à stopper, selon les dirigeants de l’époque, une colonne de djihadistes qui fonçait sur Bamako. « Le plus beau jour de ma vie politique » disait alors François Hollande en ajoutant un peu plus tard que, hélas, « rien n’avait été réglé ».

Et en effet rien n’avait été réglé et pendant les plus de neuf ans de présence militaire française au Mali la situation n’a fait qu’empirer pour finir par se retourner, l’armée française s’est attirée la haine d’une population lassée par une décennie d’attaques meurtrières que « la septième puissance militaire mondiale », perdant toute crédibilité, a été incapable d’endiguer, sans parler des bavures qu’elle ne pouvait lui pardonner. Combien de malentendus, d’illusions, d’aveuglements, d’erreurs d’analyse sur un Etat malien en état de déliquescence avancée qui avait érigé la corruption en mode de gouvernement et qui n’était plus guère qu’une façade, une pure fiction, sont à l’origine de cet échec collectif et de ce retournement de situation !

Les Français, devenus personnes non grata, ont « dégagé », souvent sous les injures et les crachats haineux de foules chauffées à blanc. Les nouveaux pays qui nous ont remplacé proposent leur aide et leurs services sans conditions, sans être trop regardants sur la nature de ces juntes ou de ces régimes dictatoriaux au pouvoir qui cherchent à faire accroire aux pays du Sud que le soit disant respect de la dignité de la personne humaine n’est qu’une valeur occidentale alors que les droits humains, qu’ils aient été proclamés comme Chartre du Mandé, à Kouroukan Fouga en 1236 sous le règne de Soundiata Keita, premier souverain de l’Empire du Mali, à Paris ou ailleurs, sont universels et que l’Occident n’en a pas le monopole. La Chineafrique notamment a remplacé la Franceafrique et offre, comme autant de pièges, des prêts à des taux très attractifs. Le cas du Sri-Lanka est à cet égard emblématique et devrait faire réfléchir. Les potentats locaux sont trop heureux de se trouver sécurisés, confortés dans la durée surtout quand c’est par un grand pays progressiste et anticolonial comme la Russie. Moyennant quelques rapines de milliards de dollars, en or, en diamants, en terres rares… les Russes se sont installés en réactivant des réseaux plus ou moins dormants datant de l’Indépendance comme ceux que j’ai pu connaître dans la République du Mali initiée par Modibo Keita où mes cinq collègues soviétiques enseignaient le diamat (la version la plus stalinienne du marxisme). Quelques uns de mes collègues maliens avaient été encore formés à la prestigieuse Université Lumumba de Moscou.

Une certaine arrogance de la France n’est sans doute pas pour rien dans ce soudain désamour, dans ce soudain remplacement qui nous a aussi surpris que profondément affligé. On se souviendra longtemps de l’Afrique qui ne serait pas encore « entrée dans l’histoire » du discours de Sarkosy à Dakar, ou de la plaisanterie d’un goût très douteux de Macron dans notre amphithéâtre de Ouagadougou… dans ce Faso, dans le pays des hommes intègres où Sankara, le leader tiers-mondiste, avait redonné sa fierté et le sentiment de sa souveraineté à l’ancienne Haute Volta.
Le demi échec de l’opération Serval, puis des neuf ans de l’opération Barkhane, opérations militaires dépourvues de stratégie et de vision politique- ont été ponctués par deux événements majeurs qui ont été comme deux coups de pied dans la fourmilière djihadiste : fin de la guerre civile en Algérie et déstabilisation de la Lybie, soit, pour revenir sur quelques épisodes emblématiques : en 1997, le GSPC passe la frontière algérienne et s’installe au Mali puis c’est l’affaire des otages lors de laquelle les dirigeants maliens profitent des rançons versées par la France, le trafic de 47 tonnes de cocaïne eu plein Sahara, la constitution de l’Azawad et le jeu complexe des Touaregs du MNLA, l’apparition de l’Akmi en 2006, l’allégeance à Al qaida et à l’Etat islamique, Ansar Dine (2012), Mudjai, précédée par la chute de Mouamar Kadafi, grand défenseur du Sahel, en 2011, avec l’opération Harmattan, la déroute de l’armée malienne en 2012, le renversement d’ATT, l’élection d’IBK… A chaque fois c’est le prix du sang, les investissements financiers couteux dans un désert commercial, donc sans l’ombre d’un avantage à gratter pour le coq gaulois, les détournements de fonds, le trafic d’influence, une guerre sans fin, pour rien… 2020, départ d’IBK, coup d’Etat militaire, prêche de l’imam wahhabite Dicko, fermeture d’écoles, interdiction de la musique…Fin de l’opération Barkhane, les djihadistes étendent leur influence sur le Togo, le Bénin, le Ghana, la Côte d’ivoire, tout le golfe de Guinée…. La junte malienne, séduite par les méthodes autoritaires, féroces et radicales du Kremlin, se tourne alors vers un autre partenaire, la Russie, qui a toujours soutenu le Mali « dans les moments difficiles » mais qui semble jusqu’ici essentiellement déterminée, en alliée (au moins en alliée objectif ) des djihadistes, à diffamer la France et à réduire à néant son influence : les livres, les « books », l’ensemble de cette culture occidentale est, pour les deux complices ou comparses, haram, maudite comme le dit l’appellation d’une officine de sinistre réputation : Boko Haram.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine la France est alors conspuée, censurée et remerciée. A cela il faudrait ajouter les lavages de cerveau, les campagnes de désinformation systématique, la propagande à laquelle le pouvoir russe, expert en la matière dans son propre pays, se livre au Sahel, pour expliquer le ralliement d’une population souffrante et exaspérée à la junte militaire. Depuis Tchakotine on savait depuis longtemps comment on viole les foules et renverse l’opinion dominante d’un pays. C’est ainsi que la France est devenue subitement, le bouc émissaire aborrhé de toute une décolonisation ratée, d’une indépendance bâclée, de l’incurie de régimes corrompus qui ont bien vite renoué avec la pratique des coups d’Etat.

Les opérations de l’ONU, avec la Numisma, ont connu un semblable discrédit auprès des populations mais c’est la France qui focalise désormais sur elle seule, l’immense rejet de l’Occident tout entier par les pays du Sud.. Au moment même où les deux mille mercenaires de la milice Wagner multiplient leurs prédations en Centre Afrique, l’ex colonisateur, la France, est accablée de tous les maux, couverte d’opprobre, outrageusement ridiculisée dans des films de propagande, devenue l’objet de ce sentiment réactif et empoisonné qui vise à rabaisser ce qu’on ne peut égaler. Nietzsche en avait importé le nom français dans la langue allemande avec le vocable de ressentiment. Les bons ressentiments selon l’expression du Sénégalais Elgas, sont devenus la marque des relations postcoloniales et la matrice d’un genre de populisme qui alimente l’autoritarisme omni-présent dans les postcolonies.

Le 8 mars, c’est le Mali qui a rejoint le groupe des dictatures qui ont gardé une façade démocratique que l’on appelle démocratures, ces pays bien peu recommandables au regard du droit international et des conventions de Genève (Russie, Iran, Syrie…) et qui soutiennent ouvertement ce qu’il faut quand même bien appeler l’agression russe contre l’Ukraine. Elle ressemble bien à ce qu’une agression coloniale peut avoir de pire si coloniser, comme le soutenait un livre imbécile, se réduisait vraiment à exterminer, exterminer la population civile en bombardant écoles et hôpitaux, par exemple. Cette agression sortie tout droit des fantasmes délirants d’un Président psychopathe, incapable d‘assumer la disparition de l’Empire des Tsars et de celui des bolcheviques est, de l’avis unanime, stratégiquement indéfendable. Le Kremlin y creuse sa tombe s’il n’y creuse pas, en même temps, notre tombe. La guerre a été pour la Russie jusqu’ici totalement contre-productive, l’agression a allumé le feu sacré de la Résistance chez les Ukrainiens qui ont réussi à mette à mal « la deuxième armée du monde ». Elle a en outre provoqué le réveil de l’Europe et celui de l’OTAN dont E. Macron soulignait pourtant naguère qu’il avait « l’ encéphalogramme plat ». La demande d’adhésion de la Suède et de la Finlande a rapidement suivi (et non précédé) l’intervention russe.

Il n’y a donc peut-être pas à désespérer… Le temps est un enfant, un enfant qui joue, disait Héraclite et qui joue quelques fois au milieu des impérialismes et qui peut jouer en faveur de plus de clarté et de fraternité dans nos vieilles relations avec une Afrique que nous avons, que nous gardons au coeur. C’est le mot qui nous est venu alors que, dans un article, nous revisitions l’horreur avec le J. Conrad de Heart of darkness. Au Burkina, l’Observateur Paalga ainsi que Omega media, après que les radios France 24 et RFI aient été suspendues et les correspondants du Monde et de Libération, renvoyés, dénoncent aujourd’hui les atteintes à la liberté d’expression et le terrorisme intellectuel qui est en train de s’abattre sur un pays qui s’est livré au plus offrant. Un peu de patience, des intellectuels burkinabés ont déjà pris la relève et sont prêts à démonter les contre-vérités que les mercenaires russes ne cessent de diffuser et à distinguer clairement ce qui est Justice et ce qui est crime. Et contre la raison, il n’y a pas de recours.

F.W.

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