Actualités :: Étudiantes et mères : Devront-elles à terme choisir entre la garde d’enfants (...)

La note prise par le Président de l’université Norbert Zongo le 03 mars 2023, interdisant désormais « l’accès aux salles de cours, travaux dirigés, travaux pratiques et évaluation à toute personne accompagnée d’un enfant ou d’un nourrisson » (NDRL : il s’agit des étudiantes bien sûr) rappelle ainsi le rôle des rapports de genre inégaux dans les disparités de scolarisation entre les filles et les garçons dans notre pays.

Ces rapports de genre asymétriques pèsent encore aujourd’hui sur l’accès des filles à une ressource fondamentale pour l’épanouissement sociale et économique de tout être humain, à savoir l’éducation scolaire. La raison invoquée pour justifier cette interdiction est que la présence des enfants et nourrissons dans ces lieux présente un risque pour leur propre sécurité. Le bien-fondé du motif à l’origine de la note paraît a priori évident. Cependant, lorsqu’on y réfléchit, on voit très vite qu’elle met surtout en lumière les obstacles auxquelles doivent faire face de nombreuses jeunes femmes qui veulent poursuivre leurs études dans nos institutions universitaires.

Cette note révèle aussi les limites objectives des politiques éducatives inclusives menées jusqu’ici dans notre pays, celles qui ont permis l’accès à l’école aux enfants de nos compatriotes les moins nantis, et parmi ces derniers et ces dernières, les filles qui étaient éminemment discriminées dans ce domaine. Ces politiques, parce qu’elles pas n’ont suffisamment pris en compte les questions d’inégalités de genre dans la société, n’ont pas su anticiper à la fois leurs effets sur l’arrivée des filles aux niveaux d’études supérieurs, et les ambitions qu’elles ont fait naitre chez elles, notamment le désir de se créer un avenir meilleur.

Les résultats de ces politiques sont là aujourd’hui : les filles égalent désormais les garçons dans les cycles d’enseignements primaire et post-primaire. Toutefois, elles sont à la traine pour ce qui est des cycles secondaire et supérieur. Les raisons principales de leur retard à ces niveaux s’expliquent par les statuts qui sont les leurs dans la société, les expectatives qui y sont liées, et des normes inégalitaires de genre immuables afférentes. Assurément, si leur immaturité biologique leur permet de terminer le cycle primaire et quelquefois le premier cycle du secondaire sans être perturbées, le reste de leur cursus scolaire est sérieusement hypothéqué par les attentes autour des rôles de genre qui leurs sont assignés.

Aussi, dès l’adolescence qui correspond pour une grande partie aux âges de fréquentation au secondaire, la scolarisation des filles entre en compétition directe avec le mariage. Un grand nombre de celles qui font partie des catégories sociales les plus pauvres et celles des zones rurales sont contraintes de renoncer à l’école pour être mariées. Celles qui échappent à ce premier écrémage et continuent leurs études sont très vite rattrapées par une demande sociale pressante qui leur est faite de se marier et d’avoir des enfants. La période de fréquentation au supérieur croise ainsi le moment de leur vie où la société estime que sans plus attendre, elles doivent faire leur entrée dans la vie matrimoniale.

Une fois devenues épouses, elles doivent très vite faire la preuve de leur fertilité en devenant mères, sous peine d’être « renvoyées » ou de se voir adjoindre une seconde épouse. La présence d’enfants en bas âge dans nos enceintes universitaires n’est donc que l’expression des tentatives des jeunes femmes de répondre à cette double injonction qu’est le fait d’être mariée mais aussi de pouvoir terminer les études et avoir un emploi rémunéré.

La pression sur les jeunes pour le mariage et la procréation, bien que plus systématique et plus marquée chez les jeunes femmes, s’observe aussi chez les jeunes hommes de qui on attend qu’ils fassent montre de maturité en fondant une famille, quand bien même elle se manifeste moins lorsqu’ils sont en situation d’apprentissage. Toujours est-il qu’un grand nombre d’étudiants sont aussi des pères. Pour certains, ils sont les époux des étudiantes mères qui viennent dans le campus avec leurs enfants.

Le fait pour un étudiant d’avoir une femme et un ou plusieurs enfants, ne gêne nullement la poursuite de ses études s’il dispose des moyens financiers nécessaires. Il en va tout autrement pour l’étudiante mère. Elle doit suivre des cours en étant enceinte, rattraper ceux qu’elle a ratés pendant les périodes d’inconfort dues à sa grossesse et son accouchement, en même temps qu’elle apprend à s’occuper de son bébé et se remet des suites de couches, revenir en classe avec son nouveau-né et une petite aide maternelle pas toujours qualifiée pour tenir l’enfant pendant qu’elle est en classe, essayer de se concentrer sur ce qui s’y dit tout en ayant une oreille dehors qui guette tout signe de son bébé indiquant qu’il a besoin d’elle. Elle se doit d’avoir son bébé non loin, pour pouvoir assurer l’allaitement maternel que toutes les politiques de santé promeuvent en lieu et place de l’allaitement artificiel. Les cours finis, elle doit retourner rapidement à la maison pour remplir son devoir d’épouse, à savoir faire le ménage, la cuisine, s’occuper de son enfant. Elle doit également trouver un moment pour réviser ses cours. Elle dort tard, se réveille plusieurs fois au cours de la nuit pour allaiter son bébé ou répondre à un autre de ses besoins. Les différences entre les pères étudiants et les mères étudiantes sont une parfaite illustration des manifestations des normes sociales asymétriques fortement enracinées dans notre société.

La grande majorité des étudiantes sont donc obligées d’abandonner le cursus universitaire même si quelques-unes parmi elles parviennent à traverser ce parcours de combattante en achevant leur cursus académique, parfois même avec brio. Très souvent, celles qui abandonnent sont celles qui n’ont pas les ressources matérielles et humaines nécessaires pour les aider à mener de front leur vie de mère et leurs études.
La note du Président de l’université Norbert Zongo – qui au passage indexe les conséquences et non les causes de la situation décriée – offre l’opportunité aux membres de la communauté universitaire s’il en est besoin de réfléchir sur la situation des mères étudiantes. La question première qu’elle pose est celle de savoir pour quelles raisons ces jeunes mères se résolvent à amener leurs enfants dans des lieux qu’elles savent sans conteste – parce que oui, elles en ont conscience – potentiellement dangereux pour eux. La réponse tout aussi évidente est qu’elles n’ont pas d’alternative.

Comme l’a rappelé l’ANEB/UGEB de Koudougou dans sa déclaration de contestation de cette note, ce sont surtout les étudiantes des couches sociales les plus défavorisées qui vont pâtir de l’interdiction voulue par le Président de l’université Norbert Zongo. Exclure les enfants en bas âge des lieux d’enseignement peut certes paraître pertinent, mais cela revient de facto à exclure ces mères des études. Cette exclusion des mères aura non seulement pour conséquence d’accentuer les inégalités de scolarisation au supérieur entre les filles et les garçons et entre les catégories nanties et celles défavorisées, mais aussi de conforter les inégalités dans les rapports sociaux dans un cadre censé œuvrer à leur réduction.

Pour assurer à toutes les filles et fils du Burkina Faso les mêmes chances de réussite, le projet de mettre en place des crèches dans les universités mérite d’être remis à jour. Mais en attendant, une solution alternative et transitoire serait de mettre à disposition des salles dans lesquelles seront gardés les enfants pendant le temps d’occupation scolaire de leurs mères.

Madeleine WAYACK PAMBE
Maitresse de Conférences en Démographie
Université Joseph Ki-Zerbo

Séni KOUANDA
Directeur de Recherches en Santé Publique
Institut de Recherche en Sciences de la Santé

Photo : ©Afrique Soir

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