Actualités :: Fédération Burkina Faso-Mali : Fuite en avant ou stratégie de survie (...)

Pour François Oubida, l’idée d’une fédération regroupant le Burkina et le Mali, loin de constituer une fuite en avant, est une plutôt une nécessité vitale. L’ancien ambassadeur estime qu’elle n’a rien de contraire à la Constitution burkinabè et est indispensable dans la lutte contre le terrorisme. Il s’en explique dans cette tribune.

Au cours de la visite de travail qu’il a effectuée au Mali les 31 janvier et 1er février 2023, le Premier Ministre du Burkina Faso a émis l’idée d’une fédération avec le Mali. A son arrivée, il a indiqué que trois faits majeurs étaient à l’origine de sa visite : rencontrer les hautes autorités et discuter de l’avenir commun entre les deux pays ; raviver la flamme du fédéralisme jadis portée par ses prédécesseurs ; raccompagner Ibrahim CISSE, ce jeune malien qui a posé un acte fédérateur en ralliant à pied Bamako à Ouagadougou pour ainsi rappeler les liens historiques qui unissent le Mali et le Burkina Faso et aussi appeler les dirigeants des deux pays à œuvrer pour un rapprochement entre les deux peuples.

A la suite de cette visite, une réunion des Ministres des affaires étrangères des deux pays, élargie à celui de la République de Guinée s’est tenue au Burkina Faso du 08 au 11 février 2023. Dans le communiqué final qui a sanctionné cette rencontre tripartite, il est souligné, entre autres, la nécessité de : mettre en place et d’institutionnaliser un cadre permanent de concertation entre les trois pays ; tenir des consultations politiques et diplomatiques au plus haut niveau afin de faire du partenariat Bamako-Conakry-Ouagadougou un axe gagnant pour le bien-être des populations ; le renforcement de la solidarité en vue d’assurer la sécurité.

Profitant de la 28e édition du FESPACO, à laquelle son pays est l’invité d’honneur, le Premier Ministre malien s’est rendu au Burkina Faso, accompagné d’une dizaine de ministres. Au cours de sa visite, il a eu deux activités essentielles : une participation à l’ouverture officielle du FESPACO ; la tenue d’un conseil conjoint de gouvernements.
Selon le communiqué conjoint publié le 26 février 2023 et portant sur les résultats du conseil conjoint de gouvernements, il ressort que le projet de fédération était à l’ordre du jour (cf. paragraphe 8). Il y est également souligné, notamment au paragraphe 14, que ‘’ Conformément aux conclusions de la réunion tripartite des Ministres chargés des Affaires étrangères tenue les 8, 9 et 10 février 2023 à Ouagadougou, les deux Parties ont convenu d’approfondir la réflexion sur le projet de fédération’’.

Comme on le constate, l’idée de la fédération est dès lors officiellement partagée par le Mali et est l’objet d’un suivi prudent mais systématique. Il est important ici de noter qu’elle fait désormais partie intégrante des perspectives de coopération portées par les autorités des deux pays.

Cette initiative, quoique n’étant pas nouvelle, est accueillie par des critiques basées sur le contexte politique dans lequel se trouvent le Mali et le Burkina Faso ainsi que la Guinée : la transition. La critique se fonde aussi, côté burkinabè, sur la constitution, la charte de la transition et les priorités liées à l’insécurité qui prévaut dans notre pays.

Je partage les préoccupations des uns et des autres. Tout autant, je suis loin d’épouser aveuglément ce projet dont les contours restent à être précisés. Cependant les observations suivantes pourraient mieux éclairer les débats :

1. Il n’est pas contraire à cet acte fondamental qu’est la constitution du 02 juin 1991 et ensemble ses amendements. En effet, en ses articles 146 et 147, Titre XII consacré à l’Unité africaine, la constitution prévoit que ‘’Le Burkina Faso peut conclure avec tout État africain des accords d’association ou de communauté impliquant un abandon total ou partiel de souveraineté’’. Elle précise que ‘’l’entrée du Burkina Faso dans une confédération, une fédération, ou une union d’États africains sont soumis à l’approbation du peuple par référendum’’.

2. D’un point de vue diplomatique, économique ou politique, la question de la pertinence trouve sa réponse dans les déclarations du Premier ministre burkinabè telles que relatées dans KOACI.com du 02 février 2023. Je retiens spécifiquement les éléments tels que ‘’Nos devanciers ont tenté des regroupements, comme la fédération du Mali, qui malheureusement n’a pas duré’’ ; ‘’Le Mali est un grand producteur de coton, de bétail et d’or. Le Burkina Faso aussi produit du coton, du bétail, de l’or. Tant que chacun va regarder ailleurs, nous ne pesons pas tellement. Mais si vous mettez ensemble la production du coton, d’or et de bétail du Mali et du Burkina Faso, ça devient une puissance’’.

3. Vis-à-vis de la CEDEAO, un rapprochement à caractère fédéral entre le Mali et le Burkina Faso ne me semble pas violer en quoi que ce soit le Traité de cette organisation régionale dans la mesure où l’un de ses objectifs majeurs est parvenir à ‘’ la suppression entre les Etats Membres des obstacles à la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ainsi qu’aux droits de résidence et d’établissement’’ (art.3, paragraphe 2, alinéa d (iii) du Traité CEDEAO). Les dynamiques bilatérales pourraient diligenter cette intégration attendue depuis plusieurs décennies.

Cependant, il se peut que certaines de nos actions soient contraires aux Traités de la CEDEAO ou à celui de l’Union Africaine. Mais à ce niveau, comme notre constitution nous le rappelle en son article 151, Titre III relatifs aux traités et accords internationaux, il existe un principe phare qui dispose que ‘’Les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie’’.

4. D’un point de vue rationnel ou même stratégique, nos pays devraient-ils juste se replier chacun sur soi, face la marginalisation dont ils font l’objet du fait de la transition ? Devons-nous chacun se replier sur soi sous prétexte que la transition n’a pas aucun mandat pour prendre des initiatives en matière de fédération ? De mon point de vue Il me semble que non ; comme l’avait si bien dit d’ailleurs le Professeur Joseph KI ZERBO, naan laara, an saara. L’Etat est une continuité. Ceux qui prendront la relève de la transition se chargeront des projets inachevés.

Un rapprochement avec le Mali est tout d’abord un acte majeur dans la lutte contre les terroristes qui grignotent progressivement nos territoires respectifs. Il nous permet de mutualiser nos moyens et surtout de mettre au point une stratégie pour mieux traquer les assaillants qui utilisent l’absence de coordination pour se replier sur le territoire de l’un ou de l’autre après les attaques. Il crée également des conditions de négociation avec la CEDEAO qui, autrement, n’aura aucune raison de rouvrir les débats sur les sanctions qu’elle nous a infligées.

De ce qui précède, ma conclusion est que la démarche en cours est loin de constituer une fuite en avant. Elle est une plutôt une nécessité vitale. Elle n’a rien de contraire à notre constitution. Elle est rendue nécessaire par les sanctions et elle est indispensable dans la lutte contre le terrorisme.

L’article 5, Titre I, Chapitre I de notre constitution ne stipule-t-il pas que ‘’ Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas’’ ? Donnons-nous la main autour de ce qui peut nous sortir de tout mauvais pas.

François OUBIDA
Ancien Ambassadeur
oubida@msn.com

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