Actualités :: Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme (...)

Dans cette tribune, Dr Bouraïman Zongo, maître-assistant au département de sociologie de l’université Joseph Ki-Zerbo, réagit aux propos de Dr Ra-Sablga Ouédraogo qui donnait un avis sur l’université au Burkina, qu’il qualifie de pas « vrais universités ».

J’ai suivi avec étonnement, et pas vraiment de surprise, une vidéo dans laquelle Dr Ra-Sablga Ouédraogo donnait un avis sur l’université au Burkina, qu’il qualifie de pas « vrais universités » dans lesquelles l’Etat paie des gens pour apprendre à réfléchir, mais qui n’y font pas vraiment le travail. Le service est grassement payé et n’est pas fait. Ce genre de propos n’est pas nouveau. Dans les idées reçues sur l’université au Burkina Faso, des propos comme les longues études ne servent à rien, l’université est une usine à fabriquer des chômeurs, l’université devrait adapter ses offres de formateurs aux besoins des entreprises et des recruteurs, avec l’idée en filigrane, que les formations universitaires ne sont pas convenables, et seraient dépassées.

Je suis avec attention de nombreuses interventions publiques dans un pays en crise et/ou de nombreux experts réels ou supposés prennent la parole dans l’espace public, présupposant qu’ils ont cette compétence à y tenir un discours sur les questions de société. En essayant d’en faire une idée un peu plus claire, je constate qu’il y a dans de nombreux propos, une tendance à chercher à chaque fois dans la société des boucs émissaires comme causes des problèmes.

Le bouc émissairisation est mal à propos

L’espace public est un lieu de prise de parole, de discussions et de délibérations. Ce n’est pas parce que vous y faites un spectacle que votre parole fait autorité, surtout dans le domaine de la science où de nombreux pairs ont produit et continuer de produire des recherches au mépris de ceux qui n’ont que faire de la science et des universités.

Il est nul besoin de tenter ici de démontrer que les universités sont utiles à la société par la formation et la production du savoir sur la société. Les ouvrages produits sur la société, et aujourd’hui sur la crise de notre société existent, les articles sortent régulièrement et sont disponibles pour ceux qui cherchent à les lire, les projets et programmes de recherche en cours et en construction sur les différentes crises que connait le pays sont nombreux, les nombreux colloques qui ont lieu dans le pays ou ailleurs et auxquels les universitaires burkinabè ont participé effectivement aussi. La modestie n’est pas un défaut, surtout dans le domaine de la science. La présentation avec zèle et enthousiasme de résultats de recherche doit s’accompagner effectivement de résultats éprouvés, et qui ont été soumis au test de l’expérimentation, puis à la discussion auto-critique et critique.

Il me semble que chaque Burkinabè s’efforce de travailler, d’accomplir ses devoirs, même si les critiques faciles cherchent chaque jour des boucs-émissaires, des citoyens dont ils jugent le rendement professionnel insuffisant, sans donner les preuves de leur jugement. Effectivement, les universitaires enseignent au quotidien dans de nombreuses unités d’enseignement la problématique de la multiculturalité et de l’interculturalité. Ils y enseignent la lutte permanente contre les préjugés, et montrent à leurs étudiants que la différence ne doit pas être un prétexte pour juger l’Autre, le stigmatiser, lui dénier son identité, le combattre, voir le tuer. Or, là, ce que certains intellectuels médiatiques font, malheureusement, c’est d’émettre ce genre de jugements de valeurs sur une institution et une catégorie sociale sans donner les preuves de cette démonstration. On frise là le préjugé sur un corps social tenu par des experts de la société qui ont leurs références et mode argumentatif.

Faire comme certains formateurs de la dernière heure qui proclament l’inutilité des institutions scolaires, c’est participer à la méprise du savoir, de l’école en tant qu’institution, et des acteurs, administratifs et enseignants, qui y agissent pour que la formation universitaire ait un sens pour les apprenants et pour la société. Communiquer à longueur de journée en méprisant des catégories sociales, en prétendant donner des leçons et éveiller des consciences, c’est renforcer la haine des universités et des universitaires. Trop d’experts des médias tentent chaque jour de réinventer l’intellectuel burkinabè, en cherchant à exclure l’universitaire burkinabè de la compétence à être intellectuel, en cherchant à le disqualifier. Il me semble c’est un non-sens intellectuel parce que l’intellectuel, ça ne se proclame pas, ça ne se décrète pas. Si le diplôme n’est pas la principale caractéristique de l’intellectuel, il en est l’un des constituants, et les universitaires ne se gargarisent pas au quotidien des titres et des grades qu’ils ont acquis par le simple fait du travail.

Les universitaires n’ont pas pour habitude de se proclamer ou s’auto-proclamer intellectuels. Ils n’ont pas besoin de décrets ni de déclarations populistes pour l’être ou pour le devenir. Ils le sont par le fait qu’ils sont universitaires et produisent au quotidien des acquis sur la société. Ils continuent de faire ce qu’ils ont à faire, quitte à ce que les attentes de la société soient plus grandes, souvent par ignorance de l’université, de ses missions et de ses capacités d’agir, souvent par simple méprise.

La tendance en matière de démonstration chez certains est de trouver un bouc émissaire dans la société, et d’essayer de construire des idées qui fâchent certains Burkinabè contre d’autres, et espérer être un visionnaire, une sorte de gourou intellectuel en quête de reconnaissance. De nombreuses fois, les propos restent méprisants sur une institution dont la mission classique est de former des cadres, une intelligentsia justement capable de discernement et d’esprit critique, dotée de capacité à se servir de son cerveau, de se projeter, et de contribuer à répondre aux attentes de la société par les missions qui lui sont confiées dans différents champs de l’action publique.

L’applaudimètre n’est pas le baromètre de la vérité scientifique

La critique de la société contre nos universités qui font ce qu’elles ont à faire jusqu’à présent a conduit les universités à ajouter à leurs missions la formation professionnelle ou professionnalisante, selon le vocable préféré par chacun. Cela traduit que l’université, contrairement à certaines croyances décalées, est à l’écoute de la société qu’elle observe à travers les différentes disciplines qui la composent. Elle ne fait ni du sur place, ni dans l’à peu près. Avec les ressources qui sont les siennes, l’université essaye de venir à bout de l’obscurantisme et du dogmatisme, de la propagande et de toutes les idées reçues qui circulent sans avoir été vraiment digérées, soumises à la critique et construites rigoureusement.

Ce que nous apprenons à nos étudiants, c’est bien le contraire du modèle spectacle dont certains tentent de faire la promotion. Nous essayons au quotidien, dans la patience et la rigueur qu’impose la science, de leur apprendre méthodiquement et avec la passion du métier, les sciences qu’ils apprennent, leur histoire, leur objet, leurs démarches, et les méthodes qu’elles utilisent pour produire de la connaissance ; comment observer les processus sociaux et comment les soumettre à la critique avec les instruments techniques que la science qu’ils apprennent met à leur disposition ; en imprimant en eux le sens de l’humilité, de l’écoute, et de la rigueur.

Vous êtes nombreux à tenter de leur dire qu’ils ne savent rien de ce qu’ils ont appris dans les dures réalités de nos universités. Vous avez une présentation de vous-mêmes qui tranche avec le caractère du scientifique qui donne confiance et qui rassure sans extravagance, et sans mépris des autres collègues ni des autres catégories sociales. Le discours sur soi, le discours exhibitionniste sur soi ne saurait être un discours contre l’Autre.

En tant que citoyens burkinabè, nous devons tous avoir le sens de la présentation de la réalité, en utilisant les faits comme prétextes et comme fondements de notre argumentaire. Vous avez le droit, dans l’espace public, de dire ce que vous croyez, mais vous n’avez pas le droit d’opposer la société burkinabè à son université. L’exhibitionnisme sophistique, maladie infantile d’un certain intellectualisme, ne saurait être une caractéristique de l’intellectuel, universitaire ou non.

L’applaudimètre des discours spectacles n’est pas le baromètre de la réalité, encore moins de la vérité scientifique. Il sert son auteur comme moyen de se produire, sinon de se faire voir, sans que toues ces fois ne correspondent à une vraie découverte, à une connaissance scientifique. Recentrons-nous sur l’essentiel, la rigueur dans l’humilité, sans prétention à être un donneur de leçons à tout vent. Arrêtons notre méprise de l’université, sinon notre méprise de l’Autre. Nos peurs, nos angoisses, nos insatisfactions individuelles et collectives ne sauront trouver leur réponse dans l’indexation de l’Autre.

Ouagadougou, le 25 septembre 2022

Dr Bouraïman ZONGO
Maître-Assistant au Département de Sociologie
Université Joseph KI-ZERBO
77863650
bouraiz@yahoo.fr

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