Actualités :: Coup d’Etat du MPSR : « C’est une occasion de refondation de notre Etat (...)

Pour Selma Farida Touré, le coup d’Etat du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) soulève surtout la question de la démocratie dans nos Etats et la nécessité de refonder le contrat social dans notre pays. Elle s’en explique dans cette tribune.

« Trois coups d’Etat aboutis et une tentative déjouée dans l’espace CEDEAO en seulement 18 mois : hallucinant ! A l’instar du Mali et de la Guinée Conakry, le Burkina-Faso a fait face à un coup de force militaire le 23 janvier 2022. Les militaires se sont-ils rendus compte que la prise de pouvoir par les armes fonctionne ? Nos Etats sont le palimpseste de coups d’Etat récurrents depuis les indépendances. Chacun a son histoire et ses réalités qui la singularisent, mais il y a un point commun entre tous ces coups de force récents : l’adhésion de la population.

Au Burkina Faso, l’insurrection populaire de 2014 provoquée par l’exaspération du peuple face à l’entêtement du pouvoir de Blaise Compaoré à modifier l’art 13 de la constitution pour se maintenir au pouvoir a suscité beaucoup d’espoir. Mais, avec la gouvernance chaotique des nouveaux arrivants, quelques années après, les nombreuses questions soulevées par la vague de changement depuis 2014, n’ont toujours pour la plupart pas trouvé de réponses. De plus, les errances dans la gestion de la crise sécuritaire, l’ampleur de la corruption, les mauvaises décisions politiques, les milliers de pertes en vies humaines et la souffrance de la population ont fini par révolter.

« Souvent l’histoire se répète si on l’écoute au lieu de l’entendre. » C’est dans ces conditions que ce peuple pourtant attaché aux valeurs démocratiques se retrouve aujourd’hui à applaudir un coup d’état, comme au Mali et en Guinée.

Ce sont des situations inédites qui doivent interroger et interpeler tout le monde. L’armée est dans un Etat moderne, placée sous l’autorité des responsables politiques. Elle a pour rôle essentiel la défense du territoire national et la protection des citoyens contre les éventuelles agressions extérieures. Mais, les circonstances exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles. Loin de nous l’idée de les excuser, car toute armée doit être apolitique et républicaine, et la place des militaires est à la caserne. Tout coup d’état est par principe condamnable.

Mais cet énième coup de force soulève surtout la question de la démocratie dans nos Etats et la nécessité de refonder le contrat social dans notre pays.
C’est derrière leur légitimité élective que les dirigeants de nos pays se cachent pour commettre leurs exactions, détournements de deniers publics, injustices, corruption, en toute impunité. Rassurés par le fait que la communauté internationale sera là pour les soutenir en avançant des principes démocratiques.

Cette fois, ces organisations régionales et sous régionales qui ont brillé par leur inefficacité à prévenir ces crises, sont impuissantes. Si des intellectuels se retrouvent à critiquer les sanctions de la CEDEAO, confortant ainsi les putschistes au pouvoir, c’est que le mal est profond. Les critiques contre la CEDEAO et son incapacité à faire plier ces nouveaux régimes militaires malgré les sanctions doivent être un point de départ pour ces organisations sous régionales et régionales pour se réformer. Cette attitude de rester sourds aux revendications et aux souffrances des populations, ignorant les conflits politiques internes dans leur analyse sur l’insécurité qui règne sur le continent et arriver en pompier lorsque la situation se dégrade est révolue.

D’une part, dans nos démocraties de façade, les urnes parlent, mais le résultat n’est pas l’expression de la volonté souveraine du peuple. La démocratisation des institutions est une condition nécessaire, mais pas suffisante pour la pacification de nos sociétés. La liberté politique ne peut avoir de signification que si la pauvreté est vaincue.

Les citoyens ne sont pas capables de jouer pleinement le rôle que la démocratie exige d’eux. La dimension politique de la « citoyenneté », c’est-à-dire le droit de participer, directement ou par représentation, à l’organisation de la vie de la Cité, à mon sens ne vaut que lorsque la dimension sociale de la citoyenneté est remplie, car une personne opprimée, affamée, mal soignée, est privée de son statut de citoyen.

A cette heure de l’aggravation des difficultés sociales dues à la situation sécuritaire, où près de deux millions de Burkinabè sont des déplacés internes, d’aggravation de l’insécurité alimentaire, d’interrogation sur la répartition et la gestion des ressources communes, cette facette de la citoyenneté mériterait sans doute d’être particulièrement prise au sérieux. Les mouvements extrémistes qui ont émergé dans le Sahel, ont utilisé l’exclusion sociale pour des fins de construction identitaire, et de quête de légitimité. Ces groupes se sont déployés dans les zones grises de l’état, où les services publics sont faibles, absents, ou déliquescents.

Mettre à disposition de tous un certain nombre de droits sociaux fondamentaux, une sécurité sociale minimale est un effort pour définir le socle nécessaire pour une société démocratique. C’est le seul moyen de s’assurer la participation effective des citoyens au choix de leurs représentants.

D’autre part les partis politiques tels qu’on les connait n’apportent pas les contributions attendues d’eux, ils sont incapables de répondre aux attentes de la population.

Les partis de la majorité, les titulaires du pouvoir, disposant des ressources et des moyens de la force publique, peuvent tout se permettre, jouissent d’une impunité totale, en avançant qu’ils ont été « démocratiquement élus ».

L’opposition a une grande part de responsabilité et tous ces malheurs ne peuvent pas être imputés au parti au pouvoir. Cette opposition est financièrement dépendante, inconstante, éparpillée, minée par des querelles d’égo et de personnalités, qui créent des compétitions malsaines qui l’empêchent de jouer son rôle.

Quant à la société civile, la majorité se politise au point de devenir un acteur politique de premier plan, et cela s’explique par la faiblesse des partis politiques.
De plus, les institutions comme les parlements, qui sont censés représenter le peuple, sont des institutions faibles, regrouper pour maintenir ceux qui sont au pouvoir, et incapables de contribuer à la consolidation de la démocratie.
La nature et la fonction de ces institutions ont beaucoup évolué, il faut les réadapter, les réformer pour améliorer leur contribution au fonctionnement démocratique.

Toutes les crises majeures ont favorisé les conditions de changements sociaux profonds. Mais, au Burkina Faso, la transition mise en place en 2014 a failli. Saluée par la communauté internationale comme une des rares transitions politiques qui aboutissent à des élections libres et transparentes, elle a pourtant laissé un goût amer et d’inachevé. Elle a pris des décisions populistes et a même commis des dérives dans sa gouvernance, incapable d’assoir les bases saines d’un état démocratique.

Nous revoilà face à l’histoire ! Et les attentes sont urgentes, car nous sommes en guerre. Cette fois le peuple espère que cette vague de changement tiendra ses promesses. Que la transition va hiérarchiser les priorités, opérer des réformes conformes à ces attentes, juger et punir les crimes économiques, pour endiguer la corruption qui mine notre pays, afin d’assoir les bases d’une gouvernance vertueuse et enfin renouer avec l’ordre constitutionnel et l’état de droit.

C’est le défi que nous devons tous affronter collectivement aujourd’hui. C’est une occasion de refondation de notre état, de mettre en place des outils pour améliorer la participation, accroître la transparence et la reddition des comptes. Il est important d’ériger une démocratie endogène qui contribue enfin au bonheur des populations, et qui restaure l’intégrité du Burkinabé. »

Selma Farida TOURE
touselfa@gmail.com

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