Actualités :: Burkina Faso : Œuvrons à gagner la paix en minimisant la menace en zones (...)

Mais comment bon sang peut-on réconcilier les Burkinabè dans un contexte de crise sécuritaire inédite ? Comment nous réconcilier dans la perspective d’une reconstruction véritable de notre vivre-ensemble ?

Pour apporter des réponses à ces interrogations, s’impose à nous la nécessité de cerner les contours de nos divisions mais aussi, ceux des valeurs susceptibles de nous permettre de nous relier/rencontrer/retrouver. Nous n’avons certainement pas la même perception de la réconciliation. Nous ne partageons probablement pas la même vision sur les moyens et la/les démarche (s) à suivre pour reconstruire notre vivre-ensemble. Rien de plus normal si l’on convient que nous ne vivons pas la crise de la même manière et nous ne l’expliquons pas, en fonction de nos expériences, de notre vécu et de notre sensibilité, de la même manière.

Pour bien de citadins et d’‘‘intellectuels’’ en effet, la réconciliation nationale passe par le jugement des grands dossiers pendants (Thomas SANKARA, Norbert ZONGO, juge NEBIE, incendies de domiciles et bien privés, retour d’exilés particulièrement l’ancien président Blaise COMPAORE, crimes économiques…). Nul ne peut nier la gravité de ces crimes et leurs conséquences politiques. Il ne viendrait à l’esprit de personne aussi qui interroge leur impact sur les rapports entre les forces politiques au Burkina Faso, de les minimiser, de les rejeter comme situation indispensable à résoudre. Mais il se trouve que la situation actuelle du pays a fortement évolué. Et a maintenant dépassé le cadre de ces crimes.

Les divisions les plus profondes et les plus insidieuses se constatent et se trouvent en zones rurales. L’extrémisme violent a trouvé un terreau fertile dans ces zones où les populations étaient déjà divisées pour plusieurs raisons dont la plus grave est la gouvernance de notre pays après la révolution d’août 1983. Nous souhaitons ne pas revenir sur la gouvernance pour nous intéresser à trois autres raisons majeures qui sont rarement évoquées, que nous perdons bien souvent de vue, auxquelles nous prêtons rarement attention.

La première raison est l’affaiblissement de la chefferie traditionnelle qui est une valeur fondamentale de nos sociétés, une valeur qui cimente la cohésion sociale. Le chef traditionnel est la personnalité équidistante de tous les individus et de toutes les communautés. De par le passé, bien que ne faisant jamais l’unanimité, le chef incarnait une relative impartialité (quelques-uns sont encore fort heureusement ainsi perçus) aux yeux de tous. Biens de conflits familiaux d’une certaine ampleur, de conflits agriculteurs éleveurs, des problèmes de terre, des questions de mariage… étaient relativement bien traités par le chef.

Celui-ci prenait rarement partie et quand il le faisait, c’était dans une extrême subtilité au point qu’il était difficile de le percevoir et de lui en vouloir. Il était la personne et la personnalité qui pouvait parler à tout le monde bien que n’étant pas aimé par tous. Il était l’intermédiaire entre tout le monde et toutes les communautés, le régulateur des tensions sociales.
Cet équilibre a été rompu par le colon et détérioré presque totalement par les différents pouvoirs politiques qui se sont succédés à la tête de notre pays.

Après l’indépendance, nous avons manqué hélas et jusqu’à présent, de réfléchir à la préservation de cette valeur/institution qu’est la chefferie traditionnelle. Plus grave, au lieu de légiférer pour lui permettre de se consacrer à sa fonction politique traditionnelle, nous l’avons impliqué dans les jeux et joutes politiques et électoraux insidieux. Des chefs traditionnels se présentent contre leurs administrés pour être députés, maires ou conseillers municipaux. Quel rôle social de stabilité peuvent encore jouer de tels chefs ?

Combien de chefs peuvent aujourd’hui inviter leurs populations et réunir même 100 personnes pour cette raison ? Très peu. La première décision politique courageuse qui s’impose donc maintenant est de légiférer et prendre des mesures pour préserver la chefferie traditionnelle, pour la restaurer, pour restaurer sa dignité. Il est utile de la prendre en charge et de l’encadrer afin d’éviter qu’elle se clochardise. Sa mission est d’unir. Prenons le courage de la sécuriser sur tous les plans, et de la placer au-dessus de la mêlée afin de la mettre à contribution dans la construction d’une nation unie et prospère.

La seconde raison qui a été un facteur ayant contribué non pas à la naissance de l’extrémisme violent mais à son aggravation, est la sous implication justement des grands chefs traditionnels (eux ne sont pas totalement ‘‘finis’’ comme leurs représentants dans les villages) du Burkina dans la recherche de la paix et de la cohésion sociale, du début de la crise à nos jours.

Nous n’avons jusque-là pas observé sur le sujet des actes ou des prises de paroles tangibles des grands rois du plateau central, de l’est, du nord, du centre-nord, de l’ouest, de la Boucle du Mouhoun et les grands émirs du sahel. Visiblement, nous n’avons pas su les solliciter à la hauteur de la crise. Il serait intéressant de trouver les moyens d’incitation et d’implication de ces personnalités, mieux de ces institutions traditionnelles afin qu’elles prennent la parole et s’adresser chacune à l’ensemble des communautés sous sa responsabilité. C’est ce qui a manqué suite aux évènements de Yirgou et d’Aribinda.

C’est ce qui a manqué suite à tous les drames survenus dans l’est, dans le nord, dans la boucle du Mouhuon, dans le sahel etc. Il n’est pas tard de faire quelque chose dans ce sens. On aurait souhaité entendre des messages radiodiffusés et des messages watshap forts de ces chefs/rois/émirs. Deuxième mesure forte donc à prendre. Peut-être qu’il est utile de les accompagner, de les encourager dans ce sens. Ils sont bien indiqués pour susciter le dialogue social dans les zones sous leur autorité. Ils ont des représentants dans tous les villages ou presque. Qui pour susciter cet élan de ces grands leaders de nos traditions ? Est-ce l’un d’eux ? Est-ce l’Etat ? En tout cas la construction de la paix ne saurait se faire sans eux.

La troisième raison réside dans notre système politique qui ne décrit aucun critère pour sélectionner ceux qui ont pour vocation de nous gouverner de la base au sommet. Il est connu que l’esprit de compétition est très nuisible dans un groupe. La compétition par essence entraine plus de divisions et de haine que d’émulation. Une compétition totalement ouverte comme c’est le cas dans notre système politique porte les germes d’une fracture sociale profonde. Il n’existe au monde aucun métier que tout le monde peut exercer.

Chaque métier exige une certaine dose de vocation mais aussi de compétences, d’aptitudes et d’attitudes. Au Burkina Faso, tout le monde peut être député, maire, conseiller municipal... Alors que nous savons tous que cela n’est pas évident et pertinent. Si le député, le maire ou le conseiller municipal doit exécuter des tâches précises comme l’enseignant, l’infirmier, le magistrat, le gendarme…, alors évitons de mettre tous les burkinabè sur un ring en définissant des critères précis pour ‘‘recruter’’ les candidats à chaque mission.

Ainsi, on réduira de plus de 90% les tensions actuelles en ville comme en campagne (surtout). Notre système politique actuel a énormément divisé les populations en zones rurales faisant de ces zones des terreaux propices pour l’implantation et le développement de l’extrémisme violent. Bien souvent, la sélection est une approche qui permet de baisser les tensions et au moins en théorie, de mettre à la place qu’il faut l’homme qu’il faut. C’est la troisième mesure courageuse que nous devons prendre avant les prochaines échéances électorales. C’est le moment de légiférer sur ce sujet. Il est utile de répertorier les tâches de chaque élu afin de mieux définir son profil. Il n’y a pas plus insidieux dans une société que des situations qui mettent tout le monde en compétition.

Une autre mesure non moins importante à prendre enfin, est d’œuvrer à ce que chaque communauté réfléchisse sur notre vivre ensemble et que les communautés se parlent. Des gens vivaient ensemble dans leur village relativement en paix. Des facteurs exogènes sont venus surfer sur leurs différences ou sur leur divergences politiques ou autre. La confiance est rompue entre eux.

Il y a eu des morts, des déplacés et des biens emportés (bétail). Certains connaissent plus ou moins ceux qui leur ont fait du mal à eux et à leurs proches. Le village est devenu invivable pour tous. Les mêmes personnes se retrouvent ensemble en ville ou quelque part dans un endroit plus ou moins sécurisé. Le travail de réconciliation doit être fait en direction de ces gens. Quatrième mesure : créer les conditions d’un dialogue social véritable entre les populations déplacées d’une même localité. Tout ce monde aspire à retourner un jour dans les villages. Cela ne sera possible que si les gens se parlent là où ils se sont réfugiés ensemble.

S’ils disent par exemple, marions nos enfants et retournons chez nous, on les accompagne dans ce sens. S’ils disent jurons sur nos livres saints ou sur la terre de nos ancêtres, accompagnons-les. De toutes les façons, il n’y aura jamais de réconciliation et de cohésion sociale entre des gens qui ne se parlent pas, qui ne se sont pas parlé d’abord, qui n’ont pas crevé l’abcès. Ce type de dialogue doit être initié partout du reste. Dans les localités où se sont retrouvés les déplacés comme dans les villages toujours habités, mais habités par des populations qui ne se font plus confiance.

Nous souhaitons conclure en disant (rappelant) que le problème qui menace la stabilité de notre pays aujourd’hui se trouve en zones rurales. Les fils du pays qui ont choisi le chemin de l’extrémisme violent sont certainement dans leur écrasante majorité, ceux issus de ces zones. La menace est en brousse et c’est là qu’il faut agir par tous les moyens. Au propre comme au figuré, c’est la brousse le lieu du combat, de tous les combats contre l’extrémisme violent.

Tous nos efforts doivent être orientés vers la réconciliation des populations rurales. En tout état de cause, dans l’histoire d’une nation, arrive toujours le moment de prendre des décisions courageuses et bien souvent impopulaires, non pas pour entrer dans l’histoire, mais pour espérer la liberté et le progrès pour chacun et pour tous. C’est à nous de choisir.

Elhadji BOUBACAR
Inspecteur de l’Enseignement du 1er Degré à Dori
boubacar.elhadji@yahoo.fr
Tél : 70 10 05 50

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