Actualités :: Burkina Faso : De la nécessité de rétablir la catégorie des établissements (…)

Barthélemy Akouwandambou, juriste-gestionnaire, consultant en droit et management des organisations publiques et parapubliques plaide pour le rétablissement de la catégorie des établissements publics de l’Etat à caractère industriel et commercial (EPIC Cela pourrait, de son avis, contribuer à assainir la situation juridique et/ou économique de plusieurs entreprises publiques au Burkina.

Le compte rendu du Conseil des Ministres tenu le 27 mars 2024, annonce l’adoption d’un décret « portant création d’une société d’Etat, dénommée Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques et des consommables médicaux, en abrégé ‘’CAMEG’’ ». Il nous apprend également que la CAMEG avait déjà été créée en 1992, sous la forme d’un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), « dans le but de résoudre le défi crucial de l’approvisionnement en médicaments de qualité à un coût accessible pour les populations » ; elle a ensuite évolué pour prendre le statut d’association en 1998, mais cela n’a pas renforcé sa « capacité à remplir efficacement sa mission ».

Cette information suscite de nombreuses interrogations mais, pour le moment, nous n’en retiendrons qu’une : Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas rétabli le statut d’EPIC de la CAMEG ? En effet, l’argumentaire développé dans le compte rendu du Conseil des ministres n’indique pas que la migration de la CAMEG du statut d’EPIC à celui d’association a été motivé par le fait que le premier était inapproprié ; d’où l’intérêt de cette question.

Une investigation rapide montre que la catégorie des EPIC a été supprimée de façon irrégulière (A), créant un vide juridique dommageable qui ne peut être comblé que par son rétablissement (B).

A. La suppression irrégulière de la catégorie des EPIC

La catégorie des EPIC a été instituée par l’ordonnance n° 74-055/PRES/MF du 26 août 1974 portant création de catégorie d’établissements publics de l’Etat. Ce texte a été abrogé par l’ordonnance n° 82-0017/PRES/ CMRPN du 1er juin 1982 portant réglementation générale des établissements publics de l’Etat qui, à son tour, a été abrogée par l’ordonnance n° 84-58/CNR/PRES du 15 août 1984 ayant le même objet que la précédente.

Les ordonnances ci-dessus citées consacrent la création de trois catégories d’EPE : les établissements publics à caractère administratifs (EPA), les EPIC et les établissements publics à caractère professionnel (EPP). De 2000 à 2006, trois autres catégories d’EPE ont été créées par des lois distinctes ; il s’agit des établissements publics à caractère scientifique, culturel et technique (EPSCT), des établissements publics de santé (EPS) et des établissements publics de prévoyance sociale (EPPS). La loi n° 010-2013/AN du 30 avril 2013 portant règles de création des catégories d’établissements publics a abrogé ces lois, tout en conservant les catégories d’établissements publics qu’elles ont créées ainsi que les EPA et les EPP. Elle y a adjoint trois nouvelles catégories d’établissements publics : les fonds nationaux, les groupements d’intérêt public et les établissements publics à caractère économique.

Par contre, le législateur, à travers la loi 010-2013, est resté inexplicablement muet sur les EPIC et l’ordonnance de 1984. Ce faisant, il a raté l’occasion de ‘’légaliser’’ la mise à mort des EPIC, décidée par un simple décret en 2000. Il s’agit du décret n° 2000-192/PRES/PM/MCIA/MEF du 17 mai 2000 portant organisation de l’Assemblée générale des sociétés d’Etat qui dispose en son article 13 que : « A titre transitoire, les établissements publics à caractère industriel et commercial qui n’auraient pas été transformés soit en société d’Etat, soit en société d’économie mixte, soit en établissement public à caractère administratif conformément aux lois et règlements en vigueur, sont soumis aux dispositions du présent décret ».

Sans le dire explicitement, ce décret venait de sonner le glas de l’EPIC, institué par une série d’ordonnances ayant valeur de lois : c’est le principe de la hiérarchie des normes qui était ainsi royalement foulé aux pieds. Mais, plus rien ne nous étonne car cela illustre bien cette boutade de l’éminentissime juriste, le Pr YONABA Salif : « Au Burkina Faso, le décret modifie la loi qui, à son tour, modifie la constitution » (YONABA, 2004).

B. Un vide juridique dommageable qui ne peut être comblé que par le rétablissement de la catégorie des EPIC

1. Plusieurs entreprises publiques logées à la mauvaise enseigne et incapables de performer

La principale conséquence de la suppression de la catégorie des EPIC est le vide juridique créé, puisqu’aucun mécanisme équivalent ou mieux adapté n’a été mis en place. Cette situation est très dommageable car plusieurs entreprises publiques qui auraient dû bénéficier du statut d’EPIC se retrouvent lestées d’un statut juridique inapproprié les rendant, bien souvent, incapables de performer, conjoncturellement ou structurellement.

En premier lieu, on peut citer le cas des sociétés d’Etat qui n’auraient pas dû être ainsi qualifiées. La liste de ces sociétés est bien longue mais nous nous contenterons de prendre l’exemple de la Société de gestion de l’équipement et de la maintenance biomédicale (SOGEMAB). Cette entreprise publique a été mise à l’index, en 2018, par la Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur le secteur de la santé, pour ses contreperformances ; bien plus grave, la commission l’a désignée comme étant : « la principale responsable des difficultés que vivent certains centres hospitaliers universitaires et régionaux, des CMA, ainsi que quelques centres de santé » (L’Economiste du Faso, 02 juillet 2018).

Par ailleurs, le Rapport de performance des sociétés d’Etat exercice 2022, publié en juin 2023, indique que : « D’une manière générale les ratios de performance économique de la SOGEMAB sont insatisfaisants en 2022 ». Il convient de noter qu’il en a été ainsi pour les exercices précédents. La situation de cette entreprise publique est si mauvaise que l’Etat se retrouve à la maintenir artificiellement en vie, sous perfusion financière, ce qui est un non-sens ; de fait, faut-il encore le rappeler, lorsque l’Etat crée une société d’Etat, c’est pour faire du business, comme et dans les mêmes conditions que les autres opérateurs du secteur économique concerné, afin de générer des ressources financières devant lui permettre de prendre en charge ses attributions régaliennes et non pour en faire un gouffre financier.

En second lieu, le cas des EPA qui auraient dû être des EPIC mérite d’être évoqué. A ce niveau, le Centre national des arts du spectacle et de l’audiovisuel (CENASA) constitue une parfaite illustration. En effet, ses principales missions sont de nature industrielle et commerciale : production, coproduction et production exécutive d’œuvres audiovisuelles ; production de sketchs et de spots publicitaires ; enregistrement et duplication d’œuvres musicales, théâtrales et humoristiques ; organisation de spectacles etc. Cependant, dans la pratique, l’établissement s’investit beaucoup plus dans certaines de ses missions secondaires qui sont de nature administrative. C’est le cas, par exemple, de la gestion des ensembles artistiques nationaux qui absorbe une très grande partie de son budget, sans générer des recettes conséquentes.

Cette situation dégrade significativement les performances de l’établissement, au point où l’Assemblée générale des établissements publics de l’Etat (AG/EPE) a formulé une recommandation l’invitant à « explorer l’expérience d’autres pays en matière de gestion administrative du personnel des ensembles artistiques nationaux ou de personnel similaire […] » (Rapport sur la gestion des établissements publics de l’Etat, exercice 2021). Il nous semble que le CENASA améliorerait ses performances en se concentrant sur ses missions principales (ce qui lui permettrait d’être érigé en EPIC, si cette catégorie venait à être créée) et à rétrocéder ses missions secondaires à des structures mieux indiquées. Par exemple, la gestion des ensembles artistiques nationaux pourrait être dévolue au Musée national, si leur mission consiste à participer à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine musical et chorégraphique national.

Enfin, nous ne pouvons passer sous silence le cas des entreprises publiques ‘’inclassables’’. Nous les qualifions ainsi parce qu’elles ne sont ni des sociétés d’Etat, ni des sociétés d’économie mixte, ni des EPA. Les médias publics, c’est-à-dire les Editions Sidwaya et la Radiodiffusion-Télévision du Burkina(RTB), sont les figures emblématiques de ces entreprises publiques inclassables. De fait, la loi n° 2015-059/CNT du 04 septembre 2015 a accordé le statut de sociétés d’Etat à ces médias publics, mais des études de faisabilité ont montré que l’application de cette loi n’était pas possible dans l’immédiat. En attendant que les conditions requises soient réunies, le Gouvernement leur a accordé, par décret n° 2020-003/PRES/PM/MINEFID /MCRP du 15 janvier 2020, un statut dérogatoire aux règles de la comptabilité et de la gestion publique.

Il en résulte qu’à ce jour, les médias publics burkinabè ne sont ni des sociétés d’Etat, ni des EPA. Cette situation fait désordre et aurait pu être évitée si la catégorie des EPIC existait. En effet, le Rapport sur la gestion des établissements publics de l’Etat, exercice 2021, montre que les performances de ces entreprises sont insuffisantes pour en faire des sociétés d’Etat ; par contre, le statut d’EPIC leur conviendrait parfaitement.

2. Le ‘’besoin d’EPIC’’ est réel et urgent

L’ordonnance n° 84-58 dispose, en son article 2, al. 3, que : « Sont des établissements publics à caractère industriel et commercial, les établissements publics qui, d’une manière habituelle, accomplissent des actes de commerce et fonctionnent conformément aux lois et usages du commerce ».

Les principales caractéristiques de l’EPIC sont les suivantes :
 Le personnel est régi par les dispositions du code du travail ;
 la gestion financière et comptable est conduite selon les règles et usages du commerce (toutefois, la comptabilité publique peut être appliquée dans des rares cas) ;

 les rapports de l’EPIC avec les usagers et les tiers (fournisseurs, par exemple) sont, en principe, soumis au droit privé (application des règles de la responsabilité civile, en cas de contentieux) ;
 en tant qu’établissement public : il peut recevoir des subventions ; son patrimoine relève du régime de la domanialité publique et est donc insaisissable ; des dispositions sont prises pour qu’il soit toujours solvable ; il peut bénéficier de prérogatives de puissance publique (expropriation pour cause d’utilité publique, monopole, recouvrement de ses créances par voie d’état exécutoire) etc.

Au regard de ses caractéristiques, l’EPIC est clairement un mode de gestion du service public très avantageux. Notre professeur de droit des grands services publics, l’immense Laurent BADO, nous enseignait que l’EPIC bénéficie des avantages non seulement de la société d’Etat, mais aussi de l’établissement public, sans pâtir des inconvénients de l’une et de l’autre. C’est dire que si la catégorie des EPIC existait, elle aurait pu permettre à plusieurs entreprises publiques d’éviter la situation inconfortable dans laquelle elles se trouvent aujourd’hui.

De plus, à l’image de la CAMEG, nous assistons ces derniers temps à la création de nouvelles entreprises publiques qui, à défaut d’un statut juridique plus approprié, sont systématiquement érigées en sociétés d’Etat. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il ne sera pas étonnant que, dans quelques années, nous nous retrouvions avec des entreprises publiques en difficultés à cause de l’inadéquation de leur statut juridique. A moins que…

Conclusion

Au total, la catégorie des EPIC a été abandonnée de fait au Burkina Faso, non sans conséquences fâcheuses pour les entreprises publiques qui devraient y être logées. En conséquence, le rétablissement de cette catégorie d’établissements publics pourrait contribuer à assainir la situation juridique et/ou économique de plusieurs entreprises publiques dont quelques-unes ont été citées, à titre d’illustration, dans le présent article.

En fin avril 2024, le Président du Faso a annoncé son intention de mettre de l’ordre au sein des sociétés d’Etat. Nous pensons que les établissements publics de l’Etat ont également besoin d’une « remise en ordre urgente » (pour reprendre les termes du Pr YONABA Salif concernant une autre affaire).

De toute évidence, le seul fait de doter une entreprise publique d’un statut juridique approprié ne suffit pas pour en faire une entreprise performante ; nous le concédons. Néanmoins, nous estimons que cela représente au moins 50% des conditions à réunir pour être en mesure de performer. Cet aspect ne devrait donc pas être négligé. Les autres conditions de performance résident, sans aucun doute, dans la qualité de la gouvernance, du leadership, du management etc. Mais cela est une autre paire de manche !

Barthélemy AKOUWANDAMBOU Juriste-Gestionnaire Consultant en droit et management des organisations publiques et parapubliques


Ressources documentaires :
 Cours de droit des grands services publics de BADO Laurent, ENSP Ouaga, 1996.
 Textes législatifs et réglementaires mentionnés.
 Ministère du développement industriel, du commerce, de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises, Rapport de performance des sociétés d’Etat – exercice 2022, juin 2023.
 Ministère de l’économie, des finances et de la prospective, Rapport sur la gestion des établissements publics de l’Etat – exercice 2021, juillet 2022.
 YONABA Salif, Une nouvelle catégorie juridique en quête d’identité : la loi ordinaire relative aux lois de finances, in Revue burkinabè de droit, février 2004.
 L’Economiste du Faso, SOGEMAB : une enquête à charge, article publié en ligne le 02 juillet 2018 (https://www.leconomistedufaso.com/2018/07/02/sogemab-une-enquete-a-charge/)

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