Actualités :: Affaire Thomas Sankara : quand la famille reprend l’avantage (...)
Thomas Sankara

On se rappelle que la famille de Thomas Sankara, devant le blocage du dossier au Burkina Faso, avait saisi le Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Cela a fait grand bruit à l’époque, beaucoup espérant que l’affaire pourrait être après constat de la persistance du déni de justice, évoqué dans d’autres instances internationales.

Et puis, le Gouvernement burkinabé a battu froid aux recommandations du Comité des droits de l’homme, laissant désappointée l’opinion qui craignait qu’ainsi, le dossier ne soit définitivement enterré comme du reste une certaine presse l’avait fait entendre. Mais voilà que par une réponse aussi vigoureuse que pertinente, la famille de Thomas Sankara et ses avocats relancent de belle manière le dossier. Mais avant d’y revenir, refaisons le point des prétentions des uns et des autres.

LES RECOMMANDATIONS DU COMITE DES DROITS DE L’HOMME

Voici ce que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a demandé au gouvernement burkinabé le 5 avril dernier :

« - la famille de Thomas Sankara a le droit de connaître les circonstances de sa mort

- le comité rappelle que toute plainte contre les actes prohibés à l’article 7 dudit Pacte (qui dit que « nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants... ), que le Burkina a d’ailleurs ratifié, doit faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales des autorités compétentes

- le comité estime également que le Burkina Faso a violé l’article 9 du Pacte. Pour leur sécurité, Madame Sankara et ses enfants ont eu raison d’avoir quitté le Burkina Faso

- le comité considère que le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille et la non ratification de l’acte de décès, constituent un traitement inhumain et contraire à l’article 7 du Pacte

- le comité estime aussi que le Burkina Faso n’a pas respecté les principes sacrés et fondamentaux qui garantissent l’égalité, l’impartialité, l’équité devant les tribunaux

- le comité condamne les violations faites en raison de l’opinion politique

- le comité considère que, contrairement aux arguments du Burkina Faso, aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire ».

Le constat est clair : le Comité a fait droit à l’essentiel des demandes de la famille Thomas Sankara.

LA REPONSE DU GOUVERNEMENT

Premièrement, sur la reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara, le gouvernement a dit que bien que celui-ci soit connu de notoriété publique et qu’il ait déjà élevé Thomas Sankara au rang de héros national, il est prêt à « indiquer officiellement à Madame Mariam SANKARA et à ses enfants la tombe de Thomas SANKARA qui se trouve au sein du cimetière de Dagnoin, au secteur 29 de Ouagadougou ». Il va même au-delà en annonçant la construction d’un Mausolée sur sa tombe.

Deuxièmement, sur le certificat de décès, un jugement supplétif d’acte de décès a été établi et joint en annexe à sa réponse.

Troisièmement, il affirme qu’il engagera la procédure de liquidation de la pension militaire de Thomas Sankara, après quoi le produit sera mis « à la disposition de la famille SANKARA auprès de la Caisse autonome de retraite des fonctionnaires (CARFO) ».

Quatrièmement, sur les mesures d’indemnisation, il annonce que dans le cadre du Fonds mis en place suite à la Journée nationale de pardon le 30 mars 2001, 43.445.000 fcfa ont été prévus pour Mariam Sankara et ses deux enfants.

Cinquièmement, sur les mesures de publication des constatations, il révèle les dispositions prises à cet effet et renvoie pour vérification notamment aux sites Internet des Ministères.

Le constat est ici également limpide : le Gouvernement rejette l’essentiel des demandes de la famille comme les recommandations du comité.

LA REACTION DE LA FAMILLE ET DE SES AVOCATS

- La famille met d’abord directement en cause les magistrats M.A. Traoré et Adama Sagnon qui ont refusé de saisir le tribunal militaire contrairement aux déclarations du Comité : « ... aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire, et dès lors la non-dénonciation de l’affaire auprès du Ministre de la défense revient au Procureur, seul habilité à le faire ».

Les avocats mettent ici en cause personnellement les magistrats suscités, estimant qu’ils poursuivent dans le délit qu’il est leur reproché en refusant d’ouvrir l’enquête.

Au passage, les ayant droits démontent la prescription que la partie gouvernementale invoque pour éteindre le dossier : « en droit international aucun État partie ne peut invoquer ses lois internes pour justifier de faillir à ses obligations au Pacte. L’article 27 de la Convention de Vienne sur la Loi des Traités est clair sur ce point ».

- Les ayant droits et leurs conseils relèvent ensuite à travers les commentaires du gouvernement une propension à se complaire dans le faux. La critique ici concerne en premier le faux certificat de décès, rectifié à la sauvette en dehors de toute procédure judiciaire : « À l’insu de Mariam Sankara et de ses fils - et des membres du Comité des droits de l’homme - le Burkina Faso a entrepris des procédures clandestines ex parte au Burkina Faso pour modifier unilatéralement le certificat de décès falsifié de Thomas Sankara en date du 17 janvier 1988. Ces procédures ex parte ont résulté en une “décision” secrète confectionnée le 7 mars 2006, avant que le Comité pour les droits de l’homme ne siège à sa quatre-vingt-sixième session (des 13 au 31 mars 2006) pour délibérer et émettre ses Constatations sur le fond dans la communication n° 1159/2003.

Les victimes et leurs procureurs n’ont appris l’existence de ces procédures clandestines que lorsque les commentaires du Burkina Faso, en date du 30 juin 2006, ont été produits comme l’atteste l’Annexe 1 en la présente. Les faits sur lesquels se fondent les autorités du Burkina Faso et sur lesquels ils basent leur “décision” du 7 mars 2006 sont inconnus. Le Burkina Faso n’a divulgué aucune information, preuve directe ou expertise scientifique se rapportant à la “décision” du 7 mars 2006 ».

La famille et les avocats concluent en disant que « Le défaut d’établir par enquête judiciaire les circonstances de la mort de Thomas Sankara avant la modification clandestine du certificat de décès falsifié ne constitue pas un recours adéquat et effectif pour les violations continues de l’article 7.

La matière de la “décision” du 7 mars 2006 au Burkina Faso n’établit pas judiciairement les circonstances de l’assassinat de Thomas Sankara en 1987- même si elle tente de modifier prima facie le certificat de décès de ce dernier.

Comme telle, la “décision” du 7 mars 2006 ne peut caractériser un recours adéquat et effectif pour Mariam Sankara et ses fils sous le Pacte pour ce qui est de l’établissement des circonstances de la mort illégale de Thomas Sankara à laquelle ils ont droit selon l’article 7 ».

- Lieu de sépulture

Dans sa recommandation, le gouvernement burkinabé disait que, de notoriété publique, on sait que les victimes du 15 octobre 1987 sont au cimetière de Dagnoen. Les ayant droits montrent que cela n’a aucun sens juridique : « Pour les membres de la famille Sankara, la “reconnaissance officielle” réelle de l’emplacement sépulcral de la dépouille de Thomas Sankara ne peut venir qu’après une enquête judiciaire établissant par témoignage direct, certificat d’inhumation, analyse d’ADN, autopsie ou rapport médico-légal des circonstances de la mort et de l’inhumation illégale de Thomas Sankara, ce qui est leur droit selon l’article 7 de la Pacte ».

- Insuffisance des mesures compensatoires décrites par le gouvernement burkinabé

La famille dit d’abord que le gouvernement a statué, comme on dit, « ultra petita » en parlant de pension militaire. Elle n’a jamais fait de demande par rapport à la pension militaire. Venant à la compensation proprement dite, elle dit que non seulement elle ne l’a jamais demandée mais qu’elle l’a déjà écartée d’avance. Et c’est vrai qu’on ne fait de transaction que lorsque les parties sont d’accord !

Autrement dit, les demandes de la famille Sankara, qui ont été traitées par-dessus la jambe, subsistent et engagent toujours le Comité des droits de l’homme. La famille n’a pas été édifiée par les circonstances de la mort de Thomas Sankara ; elle ne sait toujours pas si c’est bien lui qui est enterré à Dagnoen ; elle n’est pas d’accord pour un règlement à l’amiable ; elle n’a toujours pas eu sa procédure en justice, et elle ne peut toujours pas, par conséquent, faire son deuil.

Mais que propose-t-elle par conséquent pour battre en brèche l’idée qui veut que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies soit sans force exécutoire ?

Elle demande, et c’est là l’originalité, que le Rapporteur spécial sur le suivi entendent les autorités burkinabé sur leur obstination à verrouiller le dossier et qu’ensuite, il diligente un rapport au cas où l’Etat burkinabé persisterait dans son déni de justice. La famille demande surtout que le rapport soit « présenté devant l’assemblée générale de l’O.N.U. par le Secrétaire Général de l’O.N.U. afin d’assurer que le Burkina Faso s’y conforme ».

C’est là qu’on voit la piste nouvelle qui peut contrecarrer la volonté d’enterrement du dossier par la partie gouvernementale car, en saisissant l’Assemblée générale des Nations Unies, on se retrouve dans le contexte du dossier Rafic Hariri voire demain du dossier de la journaliste Anna Politkovskaïa et pourquoi pas, de celui de Norbert Zongo ?

Une jurisprudence existe déjà qui peut permettre au Conseil de Sécurité de se saisir du dossier et de prendre des résolutions comme cela a été fait dans le cas de l’ancien premier Ministre libanais.

Affaire à suivre.......

VT

San Finna

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